La vinification du vin
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La vinification du vin

Après les vendanges, regardons maintenant les différentes étapes de la vinification, qui voit la transformation du raisin en vin.Je vais commencer par quelques observations générales, qui vont aider à mieux comprendre la suite.

Les grands principes

  1. On ne peut pas produire un bon vin si les raisins ne sont ni sains ni mûrs. Par conséquent, le travail effectué tout au long de l’année dans les vignes est le préalable à toute bonne vinification. L’ultime étape est la vendange, mais elle n’est pas la seule.
  2. Il faut déterminer d’abord quel style de vin on cherche à produire. Ce point peut sembler superflu à ceux qui sont installés depuis longtemps sur un même domaine. Mais les progrès de la science et de la connaissance, et les goûts des différents marchés, font qu’aujourd’hui on peut et on doit choisir entre plusieurs options de style pour chaque vin. Entrent également en ligne de compte les moyens financiers et techniques dont on dispose ainsi que la taille de sa production. Récolter du chardonnay à Mâcon ou à Meursault n’a pas les mêmes implications. Le prix du vin qui en résultera variera, le style aussi, et les choix techniques doivent souvent diverger en conséquence. Je dis souvent, mais pas nécessairement, car on peut aussi faire le choix d’appliquer une même vinification à tous les vins d’un même type et d’une même couleur, en laissant parler les différences issues du milieu naturel. Mais cela est rare, sauf quand tous ces vins se vendent au-dessus d’un certain niveau de prix, disons 20 euros.
  3. Il faut évidemment faire en sorte que tout le matériel de vinification soit révisé et dans un état de propreté impeccable. Cela pour éviter la contamination du vin par des bactéries indésirables, ou des phénomènes d’oxydation non recherchés : les deux pouvant anéantir les efforts de toute une année.

La vinification des vins blancs

Première remarque : le terme « vin blanc » est un peu bizarre car aucun vin dit « blanc » ne possède cette couleur.Un vin blanc peut être très pâle, mais il montre toujours des reflets jaunes ou verts. Dans certaines conditions, il peut aussi être de ton presque ambré. Mais tous ces vins sont dits « blancs ».

Le jus de la quasi-totalité des variétés de raisins étant presque incolore, il est techniquement possible de faire un vin blanc avec des raisins rouges. C’est d’ailleurs ce que l’on fait en Champagne, où plus des deux tiers des raisins sont rouges. Dans ce cas, il faut cueillir des grappes entières et les amener rapidement au pressoir où elles sont pressées doucement, pour éviter que la couleur passe de la peau du raisin au jus. Mais l’écrasante majorité des vins blancs est produite avec des raisins dits « blancs », mais dont les peaux ont des tons verts ou jaunes.

Presser les raisins pour obtenir un jus

Généralement, la première étape de vinification en blanc consiste à presser les raisins pour en libérer le jus. Cela se passe habituellement dans le chai. Dans certains cas, et pour développer des arômes dans le vin, on laisse macérer les raisins avant le pressurage dans une chambre froide. Il existe différents types de presse, mais le résultat est que le jus s’écoule dans un récipient. Parce que certaines particules colorantes contenues dans les peaux de raisins noirs jouent aussi un rôle d’anti-oxydant, un jus de raisins blancs est plus sensible à l’exposition à l’oxygène qu’un jus de raisins rouges. Dans le cas des raisins blancs, laisser trop longtemps le jus en contact avec les peaux fait courir le risque d’une trop forte coloration et d’une oxydation excessive de ce jus. Or la plupart des constituants aromatiques se trouvent dans la peau des raisins. C’est pour ces raisons que la vinification en blanc est considérée comme plus délicate et plus « technique » que la vinification en rouge.  Le vigneron est sur le fil entre absence de saveurs et présence de défauts majeurs.

Un des outils à sa disposition pour empêcher l’oxydation du jus fraîchement pressé (et éviter l’arrivée de bactéries ou autres bêtes indésirables) est le soufre. Utilisé en doses raisonnables, ce produit est sans danger pour les buveurs, d’autant que la quasi-totalité se sera évaporée avant la fin du processus de vinification. Et je rappelle que le soufre est un produit « naturel », car constituant 0,5% de la croûte terrestre ! Un autre outil est le froid, sous différentes formes.

Nous voilà avec notre jus blanc de raisins (parfois appelé moût à ce stade), dans un récipient propre, prêt à être transformé en vin par la fermentation.

La fermentation

Vous savez maintenant comment on obtient, par pressurage (et éraflage), un jus de raisin blanc prêt à être fermenté. Pour le débarrasser des morceaux de pellicule en suspension (peau de raisins), on les laisse sédimenter, soit naturellement, soit par refroidissant, pendant quelques heures.Ce jus relativement clair est ensuite transféré (par pompage ou par écoulement direct sous l’effet de gravité) dans un récipient. Il s’agit généralement de cuves de formats très variables, dont la taille est parfois en rapport avec la quantité de jus provenant d’une seule et même origine (cépage et parcelle). Plusieurs matériaux sont utilisés, comme le béton ou la fibre de verre mais, depuis une vingtaine d’années, l’acier inoxydable est devenu la norme. D’autres matières utilisées dans le passé, comme la terre cuite ou la pierre, ont été abandonnées (sauf à de très rares exceptions) mais on continue à utiliser le bois, notamment pour vinifier certains vins blancs parmi les plus chers. La taille de ces vaisseaux en bois peut varier, même si la barrique de 220 ou 228 litres tend à se généraliser. Le bois n’est pas « neutre », à la différence d’une cuve en inox, surtout s’il est neuf, et il est plus difficile de protéger le vin de l’air dans un tel récipient. Cela implique aussi plus de main d’œuvre. Son usage est donc réservé à des vins d’un certain niveau de prix, et dont la richesse de matière et la complexité de saveurs permettront de digérer cet apport de bois sans qu’il ne devienne dominant.

Il est intéressant de noter d’ailleurs qu’un vin blanc fermenté, puis stocké après fermentation, dans les barriques sera souvent moins « marqué » par des arômes issus du bois que le même vin fermenté en cuve, puis vieilli en bois. Le bouillonnement de la fermentation « protège », en quelque sorte, le vin en devenir, en partie par l’action du gaz carbonique dégagé, en partie par la couche de lies projetée contre les parois internes de la barrique sous l’action de ce processus fermentaire.

J’ai déjà parlé des agents de cette fermentation dans une leçon précédente. Ce sont les levures, et il en existent de nombreuses variétés (on les appelle parfois « souches »). Pour résumer d’une manière un peu schématique le choix du vigneron, on peut dire que si le chai est ancien, si les levures indigènes ont fait leur preuve depuis des années, et que vous produisez de petites quantités de vin, alors vous avez probablement intérêt à poursuivre avec ces levures « naturelles » présentes dans le chai et le vignoble. Mais si votre chai est neuf ou si vous produisez des volumes importants de chaque vin, il vaut mieux avoir recours à une souche cultivée, bien adaptée au type de vin que vous souhaitez obtenir. En tout cas vous éviterez les mauvaises surprises comme des arrêts de fermentation et des goûts parfois désagréables. Les spécialistes m’excuseront cette grossière simplification d’un sujet aussi complexe !

Une fois votre vin en cuve, ou en tonneau, vous rajoutez vos levures cultivées ou vous laissez faire les levures indigènes.

L’impact des levures et de la température de fermentation

Vous vous rappelez que notre jus de raisin, que nous appelons « moût », est maintenant plus ou moins clarifié et qu’il a été mis, en présence de levures, dans un récipient approprié. Les levures deviennent actives sur les sucres – naturellement présents dans le moût (comme dans tout jus de fruit) – à partir d’une certaine température, autour de 10°C, selon le type de levure. On fermente généralement les vins blancs à des températures inférieures à celles des vins rouges, soit entre 12 et 18°C, en général. Cela s’explique par la plus grande fragilité des arômes d’un vin blanc, dont certains sont altérés ou détruits par des températures de fermentation plus élevées. D’ailleurs les cépages aromatiques, comme le muscat ou le sauvignon blanc, sont fermentés vers le bas de cette fourchette. D’autre part, des températures de fermentation plus élevées pour les vins rouges sont nécessaires pour extraire tanins et couleur, ce que l’on évite pour les blancs.

Plus basse est la température de fermentation, plus long sera le processus.  La fermentation des blancs prend ainsi plus de temps que celle des rouges, et peut même durer plusieurs semaines (et même des mois dans certains cas). On peut, sous les climats frais (comme la Bourgogne, par exemple), se contenter de la température ambiante mais très souvent, (et toujours dans les climats chauds) on préfère la contrôler par des systèmes de réfrigération. Cela est évidemment plus facile avec une cuve en inox qu’avec une barrique, car on peut faire circuler de l’eau froide dans une double paroi de la cuve ou dans un serpentin à l’intérieur de la cuve.

Les levures transforment les sucres en éthanol et dioxyde de carbone. On laisse ce dernier s’échapper, sauf dans le cas de certains vins pétillants. Pendant le processus, on limite l’entrée d’oxygène dans la cuve, car les levures travaillent en milieu réductif (sans oxygène). On sait que la fermentation est terminée quand tous les sucres ont été transformés par les levures. On peut simplement regarder et constater que le liquide a cessé de « bouillonner ». Mais il vaut mieux mesurer pour plus de précision, avec différents appareils, et notamment par un densitomètre.  On dit qu’un vin blanc est sec lorsqu’il contient moins de 3 grammes de sucre par litre.

Dans certains cas, on souhaite conserver un peu de sucre dans le vin fini. C’est notamment les cas des vins doux ou demi-secs. Dans ce cas on interrompt la fermentation avant son terme. Parfois, lorsque les raisins sont très riches en sucre, c’est le milieu alcoolique élevé qui tue les levures, mais en général on décide de cet arrêt pour mieux le contrôler. Le froid, la chaleur et le soufre sont employés pour arrêter et tuer la population de levures. On peut, ensuite, filtrer ces levures mortes (qu’on appelle « lies ») ou bien les laisser en contact avec le vin un certain temps. On expliquera, dans la prochaine leçon, l’intérêt de cette pratique.

La fermentation des vins doux

j’ai parlé d’une fermentation « classique » dans le cas d’un vin blanc sec, où tout le sucre contenu dans le jus de raisin est transformé en alcool par l’action des levures.La proportion d’alcool, exprimée par volume de liquide, va se situer entre 5% (cas extrême du bas du tableau, pour certains vins d’apéritif comme le Moscato d’Asti italien) et 15%, qui est  généralement (mais pas toujours) la limite haute du tableau. La plupart des vins blancs titrent entre 12 et 14%.

Les levures qui ont fini leur travail de fermentation peuvent avoir une sorte de « vie après la mort », en provoquant dans le vin, avec lequel elles sont plus ou moins en contact (on peut brasser le vin afin de les remettre en suspension par un processus dit de « bâtonnage »), de subtiles modifications de texture et de saveurs. Ce processus de largage s’appelle autolyse et est particulièrement utile dans le cas de vins complexes, subissant un élevage long, comme les champagnes ou des vins élevés en barrique pendant six mois ou plus.

Maintenant, disons un mot sur les particularités de la fermentation dans le cas des vins doux.

Le sucre de tous les bons vins doux provient de sucre naturel, contenu dans le raisin. Je parlerai du processus appelé « chaptalisation » une autre fois. Il va sans dire que, s’il faut entre 200 et 230 grammes de sucre (par litre) dans un raisin pour produire un vin sec qui contiendra entre 12 et 14% d’alcool, il en faut bien plus pour faire un vin doux avec le même degré alcoolique. Et ce sucre, il faut qu’il soit présent au départ de la fermentation, autrement dit dans le raisin. Pour ce faire, et si le climat en arrière-saison le permet, on va vendanger plus tard, récoltant des raisins contenants plus de 250 grammes de sucre (par litre) pour produire un vin de 12%, par exemple. L’effet combiné d’un degré alcoolique au dessus de 12% et de la présence de sucre non fermenté inhibera les levures. Elles se fatiguent, cessent de travailler, et on peut les éliminer par le froid ou par filtration. On peut aussi utiliser le soufre pour les tuer, mais il vaut mieux en mettre le moins possible.

Des vins demi-secs ou doux peuvent contenir entre 6 et 200 grammes de sucre dit « résiduel ». Plus vous monterez en sucrosité, plus le vin apparaîtra liquoreux. Mais les vins très sucrés vont fermenter très lentement, car, je le rappelle, une telle masse de sucre fait un peu peur aux levures. C’est comme nous devant une énorme assiette de dessert !

Je vais vous parler d’une autre « fermentation », qui n’en est pas une : la fermentation dite « malolactique ».

La fermentation « malolactique »

Vous avez peut-être entendu dire un jour, par un vigneron ou par un spécialiste quelconque : « ce vin a ‘fait sa malo’ », ou bien, « mes vins ne font jamais de ‘malo’ ». Vous avez peut-être pris un air savant en hochant la tête, mais sans avoir la moindre idée de ce que signifiait ce mot bizarre : ‘malo’. Vous ne pensiez pas, j’imagine, qu’il s’agissait d’un aller et retour rapide entre le vignoble en question et la ville de St. Malo pour bonifier le vin, sauf si vous êtes breton !La « fermentation malolactique », pour lui donner son nom courant, n’est pas exactement une fermentation au sens de la fermentation alcoolique. On devrait d’ailleurs l’appeler « conversion malolactique », car il s ‘agit d’une conversion, dans un vin, de l’acide malique en acide lactique. Ce deuxième ayant une acidité totale plus faible que l’acide malique, il en résulte une baisse d’acidité dans le vin, une fois ce processus terminé. Les agents de cette conversion sont des bactéries d’acide lactique. Ces bactéries peuvent être présentes naturellement dans certains chais, mais doivent parfois être cultivées, comme les levures.

Le processus peut donc être spontané et désiré, spontané et non désiré, ou induit volontairement. Il peut se dérouler pendant la fermentation alcoolique, très rarement avant, mais souvent après. C’est pourquoi on l’appelle parfois « fermentation secondaire », car on pensait autrefois qu’il s’agissait de cela, étant donné qu’il provoque un petit dégagement de gaz carbonique. D’ailleurs il n’a été reconnu et bien compris qu’au milieu du XX ème siècle. Avant cela, on avait tendance à dire que le vin « travaillait » avec l’arrivée du printemps et des températures plus élevées.

Vous voulez la formule chimique de ce processus ? La voici :

COOH-CHOH-CH2-COOH →COOH-CHOH-CH3 + CO2

Acide malique→acide lactique + dioxyde de carbone (gaz carbonique)

Il y a des techniques pour inhiber, ou pour encourager la « malo ».

On peut dire, pour simplifier, que la conversion malolactique est désirable dans des vins qui contiennent trop d’acidité, et particulièrement dans des vins rouges issus de climats frais (car autrement cette acidité rendrait les tannins très durs), mais aussi dans certains vins blancs des mêmes climats. L’acide lactique peut aussi ajouter une sensation de densité et de complexité à certains vins blancs (particulièrement les chardonnays). Enfin, il vaut mieux éviter qu’elle ait lieu dans la bouteille, ce qui rendrait le vin pétillant, entre autres !

En revanche elle n’est pas souhaitable dans les blancs issus de pays chauds, (sud de la France par exemple) car ces vins ont besoin de toute leur acidité naturelle pour apparaître un peu frais et équilibrés.

La vinification des vins rouges

Premier point : il faut des raisins rouges pour faire un vin rouge. Cela peut paraître un truisme stupide, mais il faut rappeler qu’on peut tout à fait faire du vin blanc avec des raisins rouges ! Mais, sauf tricherie énorme, l’inverse est impossible !Les raisins ne sont pas toujours rouges à 100%. Il est parfois admis d’assembler une petite proportion de raisins blancs avec les rouges. Cela se fait, par exemple, dans certains Côtes du Rhône septentrionaux, comme Côte Rôtie ou Hermitage, et dans un nombre croissant de vins australiens (comme d’autres pays du Nouveau Monde) qui utilisent les mêmes cépages (syrah et viognier). Mais cela est rare.

Le tri du raisin

Alors nous voilà avec nos raisins rouges, fraîchement vendangés. Comment en faire du vin ? D’abord il faut remonter en arrière pour savoir quel est le type de vin que nous voulons produire, car cela va déterminer bon nombre de choix en amont de la récolte. Quelques vins rouges (les Beaujolais, par exemple) nécessitent une vendange de grappes entières, ce qui exclut le recours à la machine à vendanger. Pour la plupart des vins, on a le choix entre vendanger à la main ou à la machine. La machine secoue la vigne, faisant tomber les raisins mûrs. Il est donc impossible de ramasser des grappes entières à la machine. Mais une bonne machine moderne, bien conduite, et avec un système de tri derrière, fait un excellent travail. D’ailleurs les trois quarts (au moins) des vendanges en France se pratiquent ainsi de nos jours.

Il y a des diktats absurdes qui disent qu’une vendange manuelle est nécessairement supérieure à une vendange mécanique. Cela peut être vrai ou faux, selon plusieurs critères : par exemple, une vendange manuelle de raisins délavés et abîmés après un orage ne sera jamais aussi bonne qu’une vendange à la machine conduite juste avant le même orage, car la machine permet souvent de « sauver » une récolte en travaillant bien plus vite que les mains de l’homme. Et puis, si vous ne trouvez pas assez de vendangeurs expérimentés, vous faites comment ? Alors je ne tomberai pas sous la coupe de cette idée reçue absurde qui veut que la vendange manuelle soit toujours meilleure, même si, il faut le reconnaître, presque tous les vins de la plus haute qualité sont vendangés à la main.

Revenons à nos raisins.  On peut choisir de les trier, soit à la vigne, soit au chai. Ou de ne pas trier du tout. Bien trier les raisins sert à séparer du reste tout ce qui n’est pas sain ou parfaitement mûr. Et aussi, bien entendu, à ôter tout ce qui n’est pas du raisin, comme des feuilles. Cela coûte un peu, soit en matériel, soit en main-d’œuvre, soit les deux. Les techniques de tri sont donc réservées aux vins les plus soignés, et donc généralement aux plus chers.

Des vendanges à la cuve

La vaste majorité des vins rouges nécessite la séparation des baies de la partie ligneuse de la grappe, avant la phase de fermentation (je parlerai des autres cas, qui implique la fermentation avec grappes entières, dans un cours ultérieur). Si vous avez vendangé à la machine, pas de problème, le travail de séparation est déjà fait. Sinon, il faut « égrapper », c’est à dire retirer les baies des tiges de la grappe. Cela se fait dans une machine qui s’appelle, très logiquement, égrappoir.

Mais il faut aussi briser les peaux des baies avant de les mettre en cuve, afin que la pulpe, (incolore, je le rappelle) entre en contact avec les peaux des raisins. Pourquoi ce besoin de contact intime dans la chaleur douillette de la cuve ? Si on utilise des levures indigènes, certaines se trouvant sur la peau des baies, il faut encourager leur mise en action. Mais surtout, et dans tous les cas, il est nécessaire de favoriser un contact prolongé afin d’extraire couleur, tanins, et d’autres substances qui sont concentrées dans la peau.

Il ne faut pas confondre « fouler » et « presser ». Presser un raisin implique d’extirper tout le jus contenu dans une baie. Fouler veut juste dire écraser. Cela se fait aujourd’hui dans une machine appelée… fouloir. Parfois on combine cela avec la phase d’égrappage, dans un fouloir-égrappoir. Autrefois on pratiquait le foulage au pied, dans des cuves en bois ou en pierre. Cette pratique subsiste aujourd’hui au Portugal, pour la production de certains des plus grands vins de Porto, les « vintages ». Je l’ai vu aussi en oeuvre il y a quelques années sur un domaine en Afrique du Sud, Kannonkop. Mais aujourd’hui le foulage est mécanique dans au moins 99% des cas.

Puis on met tout cela (les peaux, parfois les pépins, et bien sur le jus qui en est déjà partiellement sorti) dans une cuve. Qu’est-ce qu’une cuve ?

Une cuve peut être faite avec tout matériau étanche et solide, et sa taille variera en fonction du volume à vinifier et de l’espace disponible. Elle doit juste résister au poids de ce que l’on y met, et ne pas laisser fuir le liquide. Donc les premières cuves destinées à la fermentation étaient en pierre ou en terre cuite, puis en bois. Cela a été ainsi pendant environ 2000 ans puis, vers le début du XX ème siècle, on a introduit le béton, puis l’acier et, bien après la deuxième guerre mondiale, l’acier inoxydable. Cette dernière innovation est devenue la norme aujourd’hui, mais il est intéressant de noter qu’elle a sa source dans un « transfert technologique » venant de deux industries différentes : la bière et la laiterie, qui utilisaient ce matériau bien avant. Ce matériau a plusieurs avantages : il est léger et peut être assemblé sur place, avec des dimensions très variables ; il est facile à nettoyer, car lisse et « neutre » ; enfin, on peut facilement contrôler la température du moût en fermentation, puis du vin, par différentes dispositions dont on reparlera un peu une autre fois.

Il faut aussi dire que l’insistance des Professeurs Paynaud et Ribereau Gayon (à l’Université de Bordeaux) sur une hygiène impeccable dans le chai a fait beaucoup pour répandre cette nouvelle technologie. C’était, je crois, Château Haut Brion qui a été le premier domaine à installer des cuves « inox ». Les grands noms peuvent aussi être à la pointe de l’innovation. Et, comble de l’ironie, je constate que cette technologie est appelé par certains aujourd’hui « vinification traditionnelle », par opposition à une vinification sous bois, pourtant bien plus ancienne ! C’est dire si le mot « tradition » est à géométrie très variable !

La fermentation

Vous vous souvenez que nos raisins (rouges) ont été égrappés (peut-être, car certains producteurs, en Bourgogne ou en Beaujolais par exemple, n’égrappent pas, ou juste partiellement) et foulés, avant d’être introduits dans la cuve. Ces cuves peuvent être ouvertes en haut ou bien fermées, avec juste une trappe pour faire entrer les raisins foulés.  Dans ce cas, on ferme ensuite la trappe pour exclure l’air, mais la cuve doit être équipée d’une soupape laissant s’échapper le CO2 qui se dégagera en cours de fermentation.

Nos raisins foulés, avec le jus qui s’en est échappé pendant l’opération de foulage, se trouvent maintenant dans la cuve. La fermentation démarrera à partir d’une certaine température, soit grâce à des levures présentes sur les raisins ou dans le chai, soit grâce à des levures sélectionnées et mises dans la cuve. La plupart des variétés de levures ne commencent à travailler qu’à partir de 10°C, mais une fermentation en rouge est généralement conduite à des températures bien plus élevées que pour un vin blanc : entre 25 et 30°C.

Selon le style de vin qui est à produire, la durée de la fermentation alcoolique sera de quelques jours à une semaine. La température variera aussi, et parfois on la laissera remonter vers la fin, mais elle doit toujours être contrôlée pour éviter des accidents dus à des températures trop élevées ou trop faibles. Mais une fois tout le sucre du raisin transformé en alcool, votre vin rouge n’est pas prêt à être bu, loin de là ! D’abord il ne sera pas très foncé en couleur. Si vous voulez obtenir un vin rouge très coloré, il faudra prolonger la durée de contact entre la partie solide du raisin, qui contient toute la couleur, et le jus. Cette phase s’appelle la macération, et peut durer encore une ou plusieurs semaines, selon le cas.

Pendant le processus fermentaire, la matière solide va se mettre à flotter à la surface de la cuve, selon le principe d’Archimède et par la poussée exercée par le dioxyde de carbone. On appelle cette masse flottante le « chapeau ». Par conséquent, la surface de contact entre les peaux, qui contiennent la couleur, mais aussi d’autres ingrédients comme les tanins, est réduite à la section haute de la cuve. Si la cuve est très haute, cela sera nettement insuffisant pour extraire assez de couleur et de tanins.

Vous pouvez utiliser différentes techniques pour encourager l’extraction de ces éléments. Une des ces techniques s’appelle le « remontage ». Elle consiste à attacher une pompe à une vanne vers le bas de la cuve, puis à pomper le vin vers le haut de la cuve pour arroser le chapeau. Le jus traverse le chapeau lentement, entraînant des particules colorantes dans le vin. Vous pouvez aussi faire plonger le chapeau dans le vin par des moyens mécaniques (autrefois c’était le pied, ou des bâtons, mais on peut aussi automatiser le processus). Cette technique s’appelle le pigeage.

Au bout d’une ou plusieurs semaines vous avez obtenu assez de couleur et de tanins, et votre jus de raisin est devenu vin depuis longtemps. Le temps est venu maintenant d’écouler le vin de la cuve.

La sortie de cuve

Sortir du vin d’une cuve est un peu comme vider une baignoire qui contiendrait aussi des masses de matière solide (des cheveux, par exemple). Assez rapidement, la matière solide vient boucher l’orifice de sortie. Il faut donc une sorte de grille dans la cuve pour retenir les peaux et pépins qui formaient le chapeau.Une fois le vin écoulé, il reste dans la cuve toute cette partie solide qui ne passera pas par la vanne mais par une trappe plus large. Ces peaux de raisins contiennent encore du jus, car les raisins n’ont été que foulés. On les apportera à la presse (ou on mettra une presse mobile sous la cuve) et on extirpera le jus résiduel. On mettra ce jus dans une autre cuve, plus petite, pour terminer sa fermentation. Ce vin s’appelle vin de presse et sera incorporé, ou non, dans le vin fini, en fonction du style de vin recherché. Il est généralement assez foncé en couleur et contient plus de tanins et d’acidité que le reste.

Il faut maintenant mentionner deux autres variantes parmi les techniques utilisées pour la fermentation de certains vins rouges.

Une version très traditionnelle est la fermentation par grappes entières. On peut dire que les premiers vins étaient probablement produits comme cela. Les grappes sont mises en cuve sans égrappage (évidemment) et sans foulage. Le jus est libéré progressivement dans la cuve sous le poids des grappes, puis la fermentation démarre, parfois aidée par la constitution de ce qu’on appelle un « pied de cuve », sorte de bouillon de jus de raisin et de levures qui va encourager la prolifération des levures. Pour que cette technique offre ses avantages, il faut que les raisins soient très mûrs, sans quoi les tannins paraîtront spécialement durs et verts à cause de la présence des tiges des grappes. Le pigeage va être souvent utilisé ici, pour remettre les grappes dans le liquide et pour libérer progressivement le jus. Un des avantages de cette technique, qui est parfois utilisée en Bourgogne, est cette présence des tiges qui peut faciliter la circulation du jus à travers la masse des raisins. L’autre avantage est la bonne oxygénation du vin car la cuve est nécessairement ouverte. Bien sûr, le danger est une oxydation excessive et la piqûre acétique.

La macération carbonique (totale ou partielle) constitue une variation de cette technique. Elle est largement utilisée dans le Beaujolais, et parfois ailleurs pour des vins destinés à une consommation rapide. Son nom se réfère au fait que le dioxyde de carbone chasse l’oxygène dans une cuve fermée. La fermentation dans ce cas est intracellulaire dans les raisins entiers, du moins dans la partie supérieure de la cuve. Elle s’effectue aussi, au moins partiellement, sans l’influence des levures, qui ont besoin d’oxygène pour se développer. Ce type de fermentation a tendance à produire des vins plus légers et fruités, avec moins de tannins. La période de macération variera aussi selon le cas, entre une et trois semaines.

La vinification du beaujolais nouveau

On aime le bon beaujolais nouveau pour la pureté de son fruit, son croquant, sa fraîcheur et sa légèreté en bouche qui désaltère et parfume.

Mais il y a tous les autres : chimiques, maigres, décapants… Il y a des chances que ceux-là aient été produits selon une formule pas vraiment magique : un procédé plus industriel qu’artisanal qui consiste à chauffer une vendange pléthorique, diluée et très « corrigée » puis à saupoudrer le tout de levures « aromatisantes ». Pas vraiment une invitation au rêve et à  peu près tout l’opposé de la vinification beaujolaise, carbonique ou semi-carbonique, traditionnelle et tout sauf facile : des vendanges entières, donc manuelles, que l’on dépose dans une cuve large, parfois fermée et saturée de gaz ou ouverte.

Dans la version semi-carbonique, il y a un phénomène complexe de double fermentation : une fermentation alcoolique classique pour les raisins écrasés par le poids en bas de cuve, et une fermentation intracellulaire dans les baies entières du haut de cuve qui baigne dans le  gaz carbonique généré plus bas. Cette seconde fermentation, qui se produit à l’intérieur d’un raisin non foulé et placé en anaérobie, est responsable de ces arômes intenses et très fruités (fruit rouge, kirsch, notes de bonbon, épices légères..) qui signent les vins primeurs.

Le but de ce type de vinification : extraire tout le fruit du gamay sans extraire de tanins même si beaucoup de bons producteurs n’hésitent plus à prolonger les durées de macération pour donner un peu de muscle et de structure à leurs vins « nouveaux ».

Ce type de vin qui reste tout proche du raisin exalte les qualités de la vendange ou ses défauts. Il n’est pas de bons beaujolais nouveaux sans raisins mûrs et sains.

Produire un primeur de qualité n’est donc pas une sinécure et c’est tout à l’honneur des bons producteurs qui n’en tirent ni gloire ni fortune car les beaujolais primeurs, y compris les meilleurs, dépassent rarement la poignée d’euros. Pour l’amateur, il n’y aura que quelques euros d’écart entre la bonne bouteille et l’ersatz mais un monde en termes de plaisir.

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