L’élevage du vin
Matériel pour faire le vin

L’élevage du vin

Le mot « élevage », lorsqu’il est appliqué aux vins, signifie l’ensemble des opérations réalisées dans une cave (ou parfois dans un chai, car ces deux lieux sont un peu interchangeables selon les régions et peuvent héberger des fonctions similaires) entre la fin de la fermentation et la mise en bouteille d’un vin.« Elever » un vin, c’est un peu élever un enfant : le but est de le préparer à une vie « indépendante », une fois qu’il aura quitté le bercail, en lui prodiguant les soins nécessaires, en le rendant résistant et capable d’assumer sa propre personnalité.

On peut distinguer différentes étapes dans ce processus qui peut durer plus ou moins longtemps. Ces étapes peuvent porter un nom spécifique, comme « soutirage » ou «assemblage », par exemple. Elles peuvent aussi varier en fonction du style et du type de vin que l’on souhaite produire. Prenons quelques exemples pour illustrer cette question de la durée de la phase d’élevage.

Le vin qui subit certainement l’élevage le plus simple et le plus court est le vin dit « nouveau », qu’il soit du Beaujolais ou d’ailleurs. A peine sa fermentation terminée, il sera filtré (ou non, car même dans ce cas il y a des variations !) et mis en bouteilles, puis expédié vers les marchés très peu de temps après. Autorisé à être mis en vente le 20 novembre (le troisième jeudi du mois), le Beaujolais Nouveau 2008 a été vendangé environ 8 semaines plus tôt.

A l’autre bout du spectre, certains très grands vins, destinés à une longue garde, peuvent être élevés pendant des années, parfois jusqu’à dix ans, voire bien au-delà dans le cas des vins mutés (des vins dont on a arrêté la fermentation par adjonction d’alcool, comme les portos, les xérès ou les banyuls/maury/rivesaltes du Roussillon).

Au milieu de ces extrêmes se trouvent les vins de garde (secs ou doux), comme ceux du Bordelais, de la Bourgogne, du Rhône ou d’ailleurs, dont la période d’élevage s’étend sur 18 à 24 mois en général. Cette période est plutôt une habitude qu’une obligation issue des lois sur les appellations, mais il y a des exceptions : par exemple les bandols rouges, qui doivent subir 18 mois d’élevage, ou les vins jaunes du Jura et leurs 6 ans et demi. Les champagnes ont aussi leur période d’élevage, qui est (chose rare) imposée a minima par les décrets de l’appellation : pratiquement 18 mois pour le non-millésimés et 3 ans pour les millésimés.

On trouve des obligations de ce type aussi dans certains vins d’autres pays. Par exemple le Reserva ou Gran Reserva en Espagne, les Riserva ou Amarone en Italie.

L’élevage en barrique

L‘élevage en contenants faits de bois est bien plus courant pour les vins rouges que pour les blancs, car il est souvent (mais pas toujours) souhaitable d’y apporter un peu d’oxygène.  Cela se fait assez naturellement lorsque le vin est logé dans des vaisseaux en bois qui ne peuvent pas être totalement étanches.Plus le vaisseau est petit, plus l’apport d’oxygène sera important, mais aussi celui du bois lui-même, à cause du rapport entre surface et volume.  Le vaisseau le plus couramment employé s’appelle la barrique, et il contient environ 220 litres de vin, avec de petites variations suivant les régions.

Les barriques modernes sont presque toujours faites de chêne. Pendant leur confection, on cintre les lames de bois (appellées « douelles ») par le feu et un peu d’eau. Plus de brûlage sera fort, plus on changera la nature de l’intérieur de la barrique. On appelle cela le « toastage » ou la « chauffe ». Différents degrés de chauffe vont apporter des nuances de goût variables au vin qui sera logé dans la barrique, et cette touche fait partie des recettes de l’élévage. Certains opteront pour un apport minimal, donc probablement peu ou pas de bois neuf. D’autres voudront marquer les vins un peu plus. Question de style et de préférence.

La tendance actuelle est de moins influer sur le goût du vin par des saveurs issues du bois, bien qu’il y ait encore beaucoup de vins qui ont des goûts assez « boisés ». Cela plait à certains consommateurs, qui s’y sont habitués, et des techniques de boisage « artificielles » ont été introduites, d’abord dans les pays du Nouveau Monde, mais aussi en France, pour les vins les moins chers. Car une barrique coûte assez cher, jusqu’à 500 euros (ce qui rajoute tout de suite au moins 2 euros au prix de revient d’une bouteille). Il est évidemment bien plus économique, si cela est autorisé, de mettre un peu de « saveur de bois » dans une cuve sous forme de planches ou de copeaux de chêne.

Il y a des défenseurs de ces techniques, et ils disent qu’il faut pouvoir les utiliser puisque les pays du nouveau monde le font. Je ne fais pas partie de ces défenseurs. Ma position est que cette technique constitue une aromatisation artificielle qui néglige la fonction première d’un élévage en barriques : l’apport progressif d’oxygène au vin. Si on fait cela maintenant, pourquoi ne pas introduire des arômes de cassis demain, puisque certains consommateurs aiment le goût du cassis dans un cabernet sauvignon, par exemple. Si on continue comme cela, on aura des cocktails à base de vin.

Revenons au véritable élevage en barriques. Si on change toutes ses barriques chaque année pour des neuves, on dira que le vin a été élévé dans 100% de bois neuf. Les vins capables d’absorber un tel apport de bois neuf sans en être dominés sont rares et nécessairement assez concentrés. Outre la question du coût, il y a l’aspect du style choisi par le producteur. Un apport de 25% à 50% de barriques neuves est la norme pour la plupart des rouges de garde.

On a parlé de l’élevage en barriques, de son rôle et des facteurs qui déterminent son usage comme le coût et l’apport d’oxygène, de saveurs ou d’« arrondi » aux saveurs existantes. Cette fois je vais essayer de compléter ce chapitre avec quelques autres points importants.

Premièrement la barrique est un contenant dont la taille et la forme encouragent la clarification naturelle des vins. Avant la mise en bouteilles d’un vin, il faut le débarrasser de certaines particules solides, notamment des résidus de peaux de raisin, des levures, etc. La forme plus large que profonde d’une barrique facilite la sédimentation, surtout par temps froid.

Deuxièmement, l’apport progressif d’oxygène, si important dans l’évolution d’un vin destiné à la garde, peut être augmenté en cours d’élevage en barrique par différentes techniques : le soutirage, qui implique de transvaser le vin d’une barrique à une autre via une pompe ; l’ouillage, qui consiste à compléter le vin évaporé en retirant la bonde de la barrique et en le remplissant avec du vin ; enfin le bâtonnage ou le roulage, qui consiste à brasser le vin dans la barrique pour remettre en suspension les lies et enrichir le goût, mais aussi pour oxygéner le vin.

Hormis l’ouillage (et en dehors du cas très spécifique du vin jaune qui bannit ce remplissage) ces techniques sont facultatives, et leur emploi (ou non) dépendra du type de vin que l’on souhaite produire. Certains cépages, comme le pinot noir, sont plus fragiles que d’autres et souffrent de trop de manipulation. D’autres, plus robustes, comme le cabernet sauvignon, tendent à en bénéficier davantage.

Enfin, avant la mise en bouteille, on peut procéder à une ultime manipulation en barrique qui est le collage. Cette technique n’est pas employée par tous, mais reste largement répandue dans le Bordelais, par exemple. Elle consiste, dans sa version traditionnelle, à verser des blancs d’œufs battus dans la barrique, à brasser le contenu, puis à laisser se reposer le tout. L’albumine de l’œuf agglutine les particules solides dans le vin, comme une sorte de filtre actif, les entraînant vers le fond de la barrique, rendant le vin plus brillant. A cause du risque de tomber sur un œuf à la fraîcheur douteuse dans le lot, on peut préférer utiliser de l’albumine industrielle.

Je pense que la célèbre pâtisserie bordelaise, le cannelé, qui utilise le jaune d’œuf, est une conséquence indirecte de cette technique, car il fallait bien faire quelque chose avec les jaunes de tous ces œufs (il en faut 6 par barrique !).

Les autres techniques d’élevage

Après avoir parlé de l’élevage en barrique, qui est le système le plus traditionnel et celui utilisé pour la vaste majorité de vins de garde, examinons les autres techniques d’élevage d’un vin avant sa mise en bouteille.Les vins qui sont destinés à être vendus jeunes et qui n’ont pas vocation à être conservés longtemps en cave sont généralement élevés en cuve, une fois leur fermentation (et macération, dans le cas d’un vin rouge) terminée.

La cuve de stockage sera différente de celle utilisée pour la fermentation, et le transfert entre les deux permettra une aération du vin. Puis on le gardera quelques mois en cuve (qui peut être faite en béton ou en acier inoxydable), ce qui permettra une lente clarification par précipitation. Parfois, et si elle est souhaitée, la fermentation malolactique aura lieu pendant cette période. Dans ce cas on surveillera la température.

En général, pour ce type de vin, on ne souhaite pas d’apport d’oxygène et la cuve sera bien fermée, pour conserver les arômes les plus délicats. Avant la mise en bouteille on procédera éventuellement à un assemblage de différents lots de vins ainsi stockés (pouvant être issus de différents cépages, parcelles, types de vinifications, selon le cas). Puis le vin sera collé et filtré, ou juste collé, ou juste filtré, plus rarement mis en bouteille sans filtration aucune.

La mise en bouteille est une phase très technique qui implique une hygiène irréprochable. En général, on ajoute au vin une petite dose de soufre pour empêcher toute action de bactéries ou de levures qui peuvent rester dans le vin, et pour protéger le vin d’une oxydation trop rapide.

Voilà, rouge ou blanc, barrique ou cuve, notre petite exploration du monde de l’élevage s’achève. Evidemment des techniques mixtes et des variations sur les principales techniques mentionnées sont fréquentes.

Les copeaux de chêne

Ça n’est pas grand chose, juste une pelure de chêne, mais qui fait jaser dans le monde du vin.

Les copeaux font partie de ces nouveaux adjuvants à disposition des producteurs. Le but : donner au vin, à peu de frais, un peu de sucrosité et surtout les arômes du bois et en particulier des notes vanillées ou grillées puissantes qui peuvent plaire (parfois) ou fatiguer (souvent).

Concrètement il s’agit d’éclats de chêne de petite taille, chauffés puis mis à macérer entre 1 et 3 mois dans la cuve selon l’intensité de goût recherché. Plus les copeaux sont petits et fortement chauffés, plus l’extraction des arômes est forte. La forme la plus « efficace » est la sciure, une poussière de chêne qui imprègne très rapidement le vin. Leur avantage est évident : ramenés à l’hectolitre de vin, les copeaux coûtent plus de 15 fois moins chers qu’une barrique. Ils n’en ont évidemment pas les mêmes vertus. Outre les arômes qu’elle induit dans les vins jeunes, la  barrique neuve provoque une lente et légère oxydation, affine la structure et donne de l’ampleur aux vins de garde au terme d’un élevage qui peut se prolonger bien au-delà d’un an. Le copeau lui est une simple aromatisation du vin, utilisée pour coller au goût supposé d’une partie du public. Elle n’est pas en cela foncièrement différente des boissons aromatisées à base de vins, tels les rosés pamplemousse à la mode en Provence.

Coller au goût de la demande, cela a été le pari réussi des grands groupes viticoles du Nouveau Monde qui ont largement popularisé cette technique, introduite en Europe y compris au sein des AOC françaises (dont chacune se réserve le droit de l’autoriser ou non dans son cahier des charges). Pour autant, l’origine de la technique est bien européenne. C’était même une pratique courante au XVIII è siècle chez les producteurs comme chez les particuliers : on râpait du chêne ou du hêtre dans les barriques pour « faire du vin prompt à boire », c’est-à-dire améliorer des vins médiocres, verts ou fatigués. Fondamentalement, 200 ans plus tard, la fonction du copeau n’a pas beaucoup changé : donner un semblant de charme à des vins qui n’en ont pas, ou pas suffisamment, par leurs qualités intrinsèques. Comme d’autres techniques, elle pose la question des adjuvants et donc de la définition officielle du vin, «produit obtenu exclusivement par la fermentation alcoolique, totale  ou partielle, de raisins frais, foulés ou non, ou de moûts de raisins ». Du raisin, que du raisin !

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