Aux plaisirs du cidre

Aux plaisirs du cidre

C’est à une pomme de discorde que l’on devrait tous nos malheurs. Celle croquée par Eve nous aurait précipités dans la précarité, la maladie, le travail, la mort et j’en passe, bref que des pépins. La symbolique médiévale en fera le fruit tentateur et corrupteur par excellence. La pomme n’y est pourtant pour pas grand-chose, Eve n’ayant jamais rien croqué d’autre que le fruit « de l’arbre de la connaissance », mais pas de pomme connue dans le Jardin d’Eden si ce n’est celle d’Adam. Et dire qu’elle n’avait pas encore fermenté… Il faudra atteindre quelques siècles pour que s’ajoute à ses pêchés celui de l’ivresse. Les Anciens aimaient la légère euphorie née de boissons aigrelettes produites à base de pommes mais les premiers cidres dignes de ce nom naîtront au Moyen-Age avec l’invention du pressoir à cidre. Les obstacles techniques levés, sa production a vite augmenté dans les terres de pommiers à cidre d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne ou de France. En France, sa consommation a culminé au début du XX ème siècle, boostée par la chute de la production de vin après le phylloxéra. Après la Seconde Guerre Mondiale, et les ravages des pommiers normands, le cidre est passé de mode, dépassé par la bière. Sa consommation, stable depuis quelques décennies, est en moyenne de 2 litres par an et par habitant.

Une image à rajeunir

Bus sans beaucoup d’égard, très souvent dans les crêperies de Bretagne ou d’ailleurs, dans des contenants pittoresque mais pas franchement valorisants (les bolées !) les cidres méritent mieux que ça. La filière cidricole a organisé une dégustation très instructive sur un produit qui n’a pas les égards qu’il mériterait. La faute à une image un peu rustique et bas de gamme, parfois entretenue par les producteurs avec des étiquettes franchement vieillottes.

Les cidres ont plusieurs points communs avec les champagnes et autres effervescents : la bulle, des robes du jaune au rosé, un style qui oscille du brut ou doux, un équilibre entre rondeur, acidité et amertume mais aussi l’effet terroir au sens large et la pratique de l’assemblage. Mais pour ce qui est du prix et de l’image, un monde les sépare. En Bretagne et en Normandie, qui sont les bastions de production et de consommation, on n’imagine pas mettre plus d’une poignée d’euros (2 à 4 euros en moyenne) dans une boisson perçue comme sympathique mais pas forcement capable de nuances et de raffinement. La réussite d’un Eric Bordelet, ancien sommelier reconverti dans la cidriculture au début des années 1990, montre qu’il n’y a pas de fatalité. En faisant fructifier son carnet d’adresses, il a forcé les portes des restaurants étoilés et des cavistes réputés grâce à ses cidres et ses poirés raffinés, aux flacons élégants et vendus à des prix supérieurs. Bref, le cidre pourrait monter en gamme et se faire connaître au moins auprès des amateurs de vins qui y retrouvent bien des parallèles, quelques réflexes de dégustation et un nouveau monde à explorer.

Le cidre, pas si facile !

On produit du cidre d’abord là où on ne fait pas de vin. La Normandie et la Bretagne (76% des vergers à cidre) ont ainsi peu à peu abandonné la vigne en même temps qu’elles apprenaient à faire du cidre. Les pays de Loire, la Picardie, la Brie, le pays d’Othe, le Pays Basque et quelques autres régions se partagent le reste. Les cidres ont leurs appellations, IGP et AOC, avec des typicités parfois marquées : rondeur pour les cidres du Pays d’Auge, amertume pour la Cornouaille ou pour le Cotentin (qui attend son AOC). Comme les cépages pour les vins, il existe une large diversité de variétés de pommes à cidre, moins charnues et plus astringentes que les pommes « à couteau ». Une cinquantaine sont exploitées avec quelques vedettes dont la Kermerrien (amère) et la Douce Moën (douce amère) qui sont les cabernet, merlot ou chardonnay du cidriculteur. Les variétés sont plus ou moins amères, acides ou sucrées et, comme le raisin, sont sensibles aux effets du terroir : influences maritimes, topographie, expositions… En général, l’assemblage de plusieurs variétés prévaut : à l’instar d’un Champagne, on marie les espèces en fonction de ce qu’elles apportent dans l’assemblage. Après la récolte qui se fait en ramassant les fruits au sol, les pommes sont stockées, puis lavées, broyées et pressées. La fermentation de la pulpe va mettre en jeu plusieurs types de levures indigènes, qui vont faire l’essentiel des arômes d’un cidre : différentes souches se succèdent, apportant à chaque étape ses notes spécifiques. Les fermentations lentes (jusqu’à 2 mois) qui s’achèvent en bouteille dans le cas des cidres artisanaux apportent nécessairement plus de complexité que les cidres calibrés produits à grande échelle. Le producteur interrompt la fermentation lorsqu’il a obtenu le niveau d’alcool (de 2% à 7%) et le taux de sucre résiduel souhaités (de brut à doux). Les cidres sont ensuite filtrés puis embouteillés. Malgré son image rustique, produire un cidre, du moins un bon, n’a rien d’évident : le sucre, le pH élevé et le faible degré d’alcool forment un milieu très tentant pour les bactéries, phénols et autres levures indésirables.

Plaisirs doux-amers

La technique bien maîtrisée, les producteurs ont donc pas mal de cordes à leur arc pour affiner leur style. Les couleurs, les arômes et les équilibres surtout offrent beaucoup de variations, du simple au plus complexe, du rustique à l’élégant. Les cidres, ce sont d’abord des saveurs de pomme, verte, cuite ou blette, qui s’expriment avec des notes de levures plus ou moins intenses mais le spectre des arômes est plus large avec des notes florales, épicées, végétales, caramélisées… En bouche, le sucre joue le chef d’orchestre : peu sucrés, les cidres font valoir leur acidité et surtout leur amertume, plus ou moins prononcée, qui font le caractère des meilleurs. Ceux-là ont leur place à table ailleurs que sur les desserts : fromages, fruits de mer (moules), viandes banches… Les doux sont plus tendres, très peu alcoolisés, et agréables quand la fraîcheur et la bulle leur donnent ce qu’il faut de peps. Les cidres fermiers, entendez ceux produits par des indépendants à partir de leurs propres fruits, montrent souvent plus de personnalité mais sont peu disponibles. L’écrasante majorité des cidres largement distribués proviennent de deux coopératives (75% de la production).

Dégustation

Sélection issue d’une dégustation d’une vingtaine de cidres (et deux poirés) organisée par l’interprofession.

Poiré Fournier, Fournier Frères

Origine : La Lacelle (Normandie, Orne)

Délicieux poiré artisanal issu de plusieurs variétés (Fausset, Morduet, poire de Champagne…). Une nez sucré et acidulé très proche du fruit. Bulle fine, texture épanouie, saveurs très gourmandes avec une agréable fraîcheur en finale. Apéritif tout en arômes et en douceur.

2,85 € – 2% Vol

http://www.cidreslapommeraie.com/

Poiré Leroyer, Ferme de la Poulardière

Origine : Saint Fraimbault (Normandie, Orne)

Même origine que le précédent mais avec des variétés différentes (Plant de blanc, Branche de Cloche, Gaubert, Rouge Vigné…). Plus pâle en robe, avec un nez plus complexe, entre poire verte, agrume et levures, et une bouche bien vivace, plus fraîche et moins sucrée. Tonique et fruité, avec une tarte aux fruits.

4 € – 4 %Vol

http://www.lapoulardiere.com/

Cidre artisanal Kerné

Origine : Pouldreuzic (Bretagne, Finistère)

Trois variétés bigoudennes dans ce cidre ambré, aux notes riches de pomme u
n peu blette, avec une pointe d’épice et de miel. Excellent fruit, de la rondeur et une touche amère/acide bienvenue.

3 € – 4,5 %Vol

http://www.cidre-kerne.fr/

Cidre Contentin Brut, Théo Capelle

Origine : Sotteville (Normandie, Manche)

On retient ce brut pour son style tranché. On aurait pu être rebuté par le nez, pas très sexy, entre levure et buis, mais la bouche offre de belles sensations corsées, franchement amères, intéressantes à table (fromage). Du caractère.

4,10 € – 5% Vol

http://www.theo-capelle.com

Cidre Ferme du Pressoir, Remy Viel

Origine : Craon (Pays de Loire, Mayenne)

Nez riche et fermentaire de pomme confite et de miel. Assez rond, bien équilibré, très parfumé, avec une amertume de pamplemousse pour finir.

2,5 € – 5,5% Vol

http://www.bienvenue-a-la-ferme.com

Cidre Kerisac, Brut Traditionnel

Origine : Guenrouët (Bretagne, Loire-Atlantique)

Un peu oxydatif, saveurs riches, bonne structure, un fruit net et ferme, avec une finale douce/amère agréable.

2,15 € – 5,5% Vol

http://www.kerisac.com

Le Pressoir d’Or Bouché, Eric Doré

Origine : Boisemont (Normandie, Eure)

Sept variétés dans cet assemblage pour un cidre frais, aux notes florales et de fruit blanc dont on aime la rondeur de fruit et la jolie vivacité qui laisse la bouche parfaitement fraîche. Facile et élégant.

4 € – 4,5 % Vol

http://www.pressoirdor.com/

Cidre de Cru du Pays d’Othe, Doux, Bellot

Origine : Chaource (Champagne-Ardenne, Aube)

Robe or et nez riche, levure, pomme mûre et pâtisserie. La rondeur d’un doux mais avec un fruité acidulé et une forte acidité qui allège et prolonge le fruit. Beaucoup de sensations et de gourmandise.

2,2 € – 2,5 % Vol

Tel : 03 25 40 11 01

Blanc de Pomme, Les Celliers Associés (Coopérative)

Origine : Pleudihen/Rance (Bretagne, Côtes d’Armor)

Composé à partir de 3 variétés acidulées. Un nez tonique, d’agrume et de pomme verte, une bouche vivace, parfumée. Style fruité et rafraîchissant.

3 € – 3 % Vol

www.valderance.com/

Cidre rosé Ecusson

Une marque. Une robe rose cuivre qui provient d’une pomme à chair rouge (rouge délice). Fruit frais au nez comme en bouche avec des notes de végétaux secs. Plein de vitalité, de croquant, avec une belle acidité et une amertume très légère. Eclatant de fruit et rafraîchissant.

2,6 €, 3 %Vol

www.cidre-ecusson.com

Kerisac de Glace, Moelleux de cidre, Guillet

Une autre version du cidre, bien connue au Canada, qui est une sorte d’essence (sans bulle) produite à partir de pommes congelées et d’une pulpe très concentrée. Il en ressort un nectar à la robe fauve, aux arômes puissants, très complexes, de coing confit, de fruit sec, de nougat, de café, de pomme caramélisée…Sirupeux, riche mais avec une acidité bien présente qui allège cette belle matière. Une vraie alternative aux vins liquoreux. A laper seul, ou avec un foie gras, une pâte persillée…

14 €, 9 %Vol

http://www.kerisac.com

 

Crédit Photo : Le Pressoir d’Or

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