Bergerac – moelleux, liquoreux…délicieux

Bergerac – moelleux, liquoreux…délicieux

Ce n’est pas dans les terroirs du Périgord pourpre que je suis allé en quête de ces nectars qui sont aussi une spécialité de cette région vantée par ailleurs pour sa gastronomie. C’est donc plus prosaïquement dans les allées du Salon des Vignerons Indépendants que je les ai trouvés, manifestation qui tenait dernièrement sa session parisienne. Là, une quinzaine de domaines de la région de Bergerac présentait ses vins doux, qualifiés suivant un système d’appellations un peu compliqué, au point que je m’attacherai à le décrypter avant d’entrer dans le vif du sujet.

Au préalable, je ferai remarquer que si les vins doux, surtout dans leurs versions liquoreuses n’ont généralement pas la cote, ceux du Bergeracois se défendent bien, Monbazillac en tête. Hormis ce dernier, le plus connu et le plus produit, Bergerac recèle de toute une catégorie de vins dits moelleux, d’une teneur en sucre modérée, faisant d’agréables expressions aux vocations multiples et tout spécialement apéritives, car plus légères et non dépourvues de fraîcheur.

 

Décryptage

On peut produire des vins moelleux partout sur l’ensemble du vignoble de Bergerac en bénéficiant alors de l’appellation Côtes de Bergerac blanc, une dénomination trompeuse pour les non-initiés, car ici « blanc » ne sous-entend pas sec, comme c’est généralement l’usage. On peut ensuite faire des moelleux sur des zones plus restreintes. Ainsi sur celle de l’AOC Rosette, proche de la ville de Bergerac et exploitée actuellement sur seulement 24 ha. Les Côtes de Montravel désignent ceux produits au sein de l’aire de Montravel, la plus à l’ouest de la région. Ils sont tout aussi rares (27 ha), comme d’ailleurs les liquoreux qui y sont produits sous le label Haut-Montravel (29 ha). Voisin du territoire de Monbazillac et dans une même vocation de liquoreux, le territoire de Saussignac est également modeste en superficie exploitée (environ 50 ha).

Par sa notoriété et l’importante superficie de son vignoble (3.600 ha), Monbazillac constitue l’appellation phare de la région. On y produit donc des liquoreux, qui peuvent même bénéficier de la mention « sélection de grains nobles », reconnue à l’échelle européenne et qualifiant des vins issus exclusivement de raisins cueillis manuellement par tries successives, atteints en l’occurrence de pourriture noble, dits aussi botrytisés.

 

Des interprètes de choix

Voici les domaines dont les vins ont retenu mon attention. Parmi ces derniers, j’ai choisi de commenter ceux qui m’ont paru présenter l’équilibre le plus achevé, un critère fondamental en la matière, la recherche de la richesse pour elle-même n’étant pas forcément un gage d’harmonie. Il va de soi que cette remarque vaut essentiellement pour les liquoreux. Cela dit, je n’ai pas trouvé de vin excessif au point d’en paraître sirupeux, cependant, certaines cuvées m’ont donné l’impression d’être davantage des exercices d’épate que des boissons épicuriennes ! Dans cette considération et afin d’être plus explicite sur la nature d’un vin, j’ai parfois mentionné sa teneur en sucre, en grammes par litre (g/l).

Le classement suivant ne correspond pas à une hiérarchie, mais simplement à l’ordre de ma dégustation.

 

 

 

Vignoble des Verdots

Vigneron perfectionniste, David Fourtout, surtout reconnu pour des rouges et des blancs de haute expression, met autant d’application à faire des liquoreux, jusqu’à proposer des interprétations distinctes d’une même vendange (Cuvée Lucie et Cuvée Emma). Ces absolus du genre, reflets d’une grande année (2009) restent malgré tout équilibrés.

Monbazillac « sélection de grains nobles » – Château Les Tour des Verdots 2014 – 16 € (en 50 cl)

Riche, l’intensité aromatique distingue à la fois des notes douces (miel) et confites (raisins secs). Ample, équilibrée et d’une chair tendre, la bouche dispense une teneur raffinée qui se prolonge par un effet minéral ponctuant opportunément l’ensemble.

 

Domaine de Pécoula

Ce domaine familial est largement voué à la production de Monbazillac, auquel il dédie toute une gamme. Expressifs et équilibrés, ils font preuve d’un savoir-faire dont on mesure l’accomplissement avec le temps, ainsi qu’en atteste un 1999 (Prestige) au toucher délicat, d’un goût original et qui ne se ressent aucunement de sa haute teneur en sucre (210 g/l).

Monbazillac – « Cuvée du Millénaire » 2014 – 12,60 €

Il se distingue par des arômes de fruits confits, une amplitude notable, source de son grand équilibre, et un goût très franc à la fois gourmand et tonique, rappelant des agrumes. Une fine assise minérale, typique du terroir de Monbazillac, ponctue l’ensemble.

 

Château Bélingard

Ce grand domaine est l’une des valeurs sûres de Monbazillac et reste parmi ses références. C’est la cuvée Ortus qui succède à Blanche de Bosredon, restée longtemps l’emblème de son excellence.

Monbazillac – « Ortus » 2014 – 14,50 € (en 50 cl)

Le millésime inaugural de cette cuvée découvre une expression qui ne manque pas de fraîcheur grâce à son accent acidulé, un profil ample et bien enlevé où la richesse s’exprime harmonieusement avant de subir un heureux decrescendo en fin de bouche, sous les effets conjugués de la minéralité et de sucs nerveux.

 

Château Les Grimard

Située sur le secteur de Montravel, cette propriété élabore des moelleux d’une réjouissante vivacité et d’un prix extrêmement sage.

Côtes de Montravel – « Cuvée Spéciale » 2010 – 6 €

Parfumé et fleurant la gourmandise d’un fruit étonnamment jeune, cette cuvée présente une nature franche et foisonnante sur un profil élancé et structuré par le jeu de la minéralité.

 

Château Le Chabrier

Original à plus d’un titre, ce domaine propose des moelleux et des liquoreux longuement vieillis en fûts de chêne. Outre la cuvée mentionnée, je retiendrais volontiers son « Moelleux d’Octobre » 2011, en Côtes de Bergerac, généreux pour son genre (70/75 g/l en sucre) mais toujours pêchu au nez comme en bouche (8,30€).

Saussignac – «  Cuvée Eléna » 2006 – 27 €

Déjà sa robe surprend par sa teinte d’un ambrée foncé. Ses arômes sont également singuliers avec un aspect rappelant le rancio des Vins Doux Naturels. On est enfin agréablement surpris par sa fraîcheur de texture, malgré une très grande richesse en sucre (180 g/l), et par un goût patiné, à la fois gourmand et nerveux (chocolat noir/cerise). Une sensation minérale encadre son expression avec de l’allure.

 

Château La Robertie

Brigitte Soulier est la vigneronne de ce domaine conduit en biodynamie. Ce mode cultural doit être pour quelque chose dans la fraîcheur et la franchise de vins qui ne se ressentent aucunement de vendanges sans compromis sur le potentiel des raisins.

Monbazillac – « Vendanges de Brumaire » 2014 – 14 €

Son expression retenue désigne un vin encore jeune, avec des arômes concentrées de raisins secs ou dits de « rôti ». Un profil ample et élégant, doublé d’une matière bien aérée ne laissent pas soupçonner sa grande concentration en sucre (142 g/l). Sa finale dément également cette impression et se fait sur une fine note minérale, rappelant du poivre.

 

Château Le Fagé

Benoît Gérardin et sa sœur Valérie perpétuent une lointaine ascendance vigneronne, élaborant une gamme de liquoreux d’une richesse en sucre graduelle (de 105 à 155 g/l). Tous sont aboutis dans un style exaltant la fraîcheur du fruit.

Monbazillac – « Grande Réserve » 2015 – 22 €

Sa nature reflète sensiblement l’apport du sauvignon, qui se traduit par un aspect nerveux du fruit, rappelant des agrumes. Son incidence se perçoit dans les arômes et parvient même à donner du croquant à une matière tout en amplitude, bien palpable, à la fois souple et fraîche. A peine sensible, la minéralité souligne élégamment ses contours.

 

Château Les Marnières

Brillant dans toutes les catégories et notamment en Pécharmant, ce domaine excelle également dans les doux, élaborant à la base un Côtes de Bergerac moelleux où la sensation sucrée est minimale, tout au bénéfice de sa digestibilité (2016, 7 €).

Monbazillac – « Les Nobles Fruits » 2014 – 12 €

Dans un style léger en sucre (100 g/l), il fleure des arômes typés (raisins secs, agrumes confits) et présente en bouche un équilibre appréciable, avec un caractère presque gouleyant, une richesse mesurée et une minéralité sous-jacente.

 

Domaine de la Grange Neuve

Ce grand domaine du bergeracois et largement impliqué dans la production de Monbazillac, en propose même une version avec une richesse en liqueur l’apparentant sans déplaisir à un sauternes (cuvée « Soma », 10,35 € en 37,5 cl). Dans une même conception, on trouve un 2009, fruit éloquent d’un grand millésime (9,20 € en 50 cl).

Monbazillac 2015 – 9,30 €

Son approche aromatique est stimulante (zeste confit) et, par un aspect fumé, dévoile un rare indice du botrytis. L’ampleur en bouche donne de la fluidité à une chair tendre et intensément fruitée sur un registre d’agrumes confits. Une minéralité typique s’exprime discrètement en finale.

 

Château Poulvère

Très vaste domaine et l’un des acteurs les plus importants en Monbazillac, il dispose de plusieurs millésimes à la vente, parmi lesquels j’ai apprécié un 2013 tout en équilibre et en harmonie, ainsi qu’un 2007 à la texture affinée et délicate, et d’une surprenante senteur réglissée.

Monbazillac – « Picata » 2015 – 30 €

Dans ce liquoreux, le maître-mot est la finesse, ainsi des arômes tout en subtilité et un toucher de matière raffiné dans un contexte d’équilibre et de fraîcheur. Une interprétation magistrale du genre qui le doit aussi à un assemblage singulier, réunissant à parts égales les trois cépages principaux, sémillon, sauvignon et muscadelle.

 

Crédits photo : Loïc Mazalrey et Olivier Diaz de Zarate

 

L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France, et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin », il est actuellement collaborateur au magazine en ligne La Feuille de Vigne.

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