Du vin à Paris !

Du vin à Paris !

Si vous avez visité Paris, sans doute êtes-vous passé à proximité du vignoble de Montmartre, un petit clos de vigne situé à quelques pas du Sacré-Cœur. Dans le XV ème arrondissement vous pourriez aussi avoir côtoyé les vignes du Clos des Morillons ou celles du Parc de Bercy dans le XII ème arrondissement. Mais c’est surtout en franchissant le périphérique, du côté de Suresnes, Chaville, Aulnay et bien d’autres que l’on mesure le désir de faire revivre le vignoble francilien, jadis l’un des plus prospères de France.

Le temps des bons vins de Paris

« Jusque dans la ville même, on respirait alors, selon les saisons, la fumée des sarments qu’on brûle ou l’odeur de la vendange fraîchement pressée ». Difficile de s’imaginer le Paris du XIII ème siècle que nous décrit ainsi l’historien Roger Dion. Il faut voir la capitale comme un gros bourg, massée sur et autour de l’île de la Cité, ni tout à fait rurale ni tout à fait urbaine, où la vigne couvre les coteaux environnants et s’insinue jusqu’au cœur du bâtit. En Ile-de-France, on apprécie le vin d’Argenteuil, « le plus digne par sa bonté, par sa poissance, d’abrever bien le roi de France » (Henri d’Andeli), ceux de Pierrefitte, de Deuil, de Marly ou de Montmorency. Les vins parisiens figurent en première place dans les caves royales, et les rois possèdent en propre des vignobles sur l’actuelle butte Sainte-Geneviève, pas très loin de leur palais du Louvre. En dehors du Royaume, on vient du Danemark, d’Angleterre ou de Flandre pour acheter quelques barriques de ces vins très prisés.

Vignes populaires contre vignes bourgeoises

Mais, en ce début de XIV ème siècle, la ville s’agrandit à un rythme rapide. Aux vignobles soignés de la bourgeoisie et de la noblesse s’ajoutent des vignobles populaires qui se développent autour de la ville à grand renfort de mauvais cépages. Le poète Eustache Deschamps s’afflige de l’invasion du « gouay » (gouais), cépage médiocre à gros rendements. Ces petits vins vendus à vil prix dans les tavernes et les cabarets de la ville soulagent les soifs populaires, au grand dam de la bourgeoisie qui voit d’un mauvais œil cette concurrence qui flétrit la réputation des crus de la région. Pendant les siècles qui suivent, elle tentera en vain d’enrayer leur progression. En 1577, un arrêt du Parlement de Paris interdit aux cabaretiers parisiens « d’aller achepter aucuns vins aux champs » et aux marchands professionnels de se fournir en vins à moins de vingt lieues (88 km) de Paris. Seuls les nobles et les bourgeois parisiens propriétaires de vignes conservaient le droit d’écouler leur vin sur les marchés de la capitale. Rien n’empêchait légalement un petit vigneron de faire entrer ses vins à Paris mais la lourdeur des droits d’entrée rendait l’opération impossible.

Les guinguettes parisiennes

Quelques vignobles de la grande ceinture ne s’en remettront pas mais les marchands et cabaretiers allaient vite trouver la parade. Au XVII ème siècle se développent, de l’autre côté de la ceinture fiscale, des cabarets populaires, baptisés plus tard guinguettes (de guinguet qui désigne le petit vin vert des environs de Paris), où les vignerons viennent écouler leur production à bas prix sans s’acquitter des droits d’entrée. Les Parisiens affluent en masse dans ces lieux de plaisir où l’on boit à moindre coût. C’est le temps béni pour le vignoble populaire qui draine toute la main-d’œuvre disponible. Bientôt les vignobles réputés de Suresnes, d’Issy, de Meudon, de Vanves ou de Sèvres sont cédés aux vignerons populaires ou transformés en jardins d’agrément. A Argenteuil le gamay remplace les mesliers, morillons (pinot noir) et meuniers, à Montreuil et Montmorency les vignes de coteaux sont arrachées au profit des pêchers et des cerisiers. On plante en plaine à grands renforts de « boues », c’est-à-dire de déchets urbains, qui donnent au vin un « goût fort mauvais et puant » (Traité de Viticulture, 1759). Soixante ans plus tard,  Louis-Augustin Guillaume Bosc dénonce toujours cet abus de fumure qui transmet au vin « une odeur et une saveur repoussante ». Le temps des bons crus parisiens est désormais lointain. Le vignoble populaire va connaître encore quelques décennies de prospérité avant de disparaître sous l’effet des maladies de la vigne, de l’urbanisation et du chemin de fer qui jette un pont entre Paris et les vignobles du sud. En 1920, l’Ile-de-France ne compte plus qu’un millier d’hectares, bientôt arrachés.

Redécouverte

Montmartre fut le premier à ressusciter le souvenir des vins de Paris en créant, sur le versant Nord de la butte, un petit clos de vignes en 1932. En 1965 la mairie de Suresnes plante le Clos du Pas-Saint-Maurice, suivie par d’autres municipalités. On compte aujourd’hui autour de 130 vignobles plantés en Ile-de-France et quelques dizaines de projets en cours de réalisation. Aux mairies se sont joints beaucoup d’indépendants dont Yves Legrand, issu d’une famille de marchands de vin bien connue de la capitale. A Issy-les-Moulineaux, devant la terrasse de son restaurant, la « Guinguette », et à quelques mètres de l’entrée des crayères, quelques 265 pieds de chardonnay et de pinot gris donnent chaque année entre 200 et 300 bouteilles. En 1989, lorsqu’il plante ses premiers ceps, il est alors le treizième vigneron francilien. Le projet n’a pas d’ambition commerciale mais il prend sa tâche très au sérieux, parce que c’est un amoureux du vin et par respect, avoue-t-il, pour les vignerons qui l’ont jadis précédé sur ces mêmes coteaux. Rien n’a été laissé au hasard : composition du sol, sélection de cépages, orientations, soins méticuleux dans le traitement de la vigne. Après des premières vinifications un peu délicates, l’expérience a fait son œuvre et l’apprenti œnologue est aujourd’hui sûr de sa technique : vinification et élevage en feuillette (petit fût utilisé à Chablis), avec élevage sur lies et bâtonnages, le tout dans une cave de poche de 6 m2 creusée dans la craie. Yves Legrand aime surprendre le dégustateur de passage avec son vin d’Issy mais avoue surtout sa fierté de voir le visage des visiteurs s’éclairer à la vue de cet écrin de vignes coincé entre l’avenue de Verdun et la ligne du RER. Pour Yves Legrand, comme pour bien d’autres vignerons franciliens, c’est sans doute ça le plus important.

Commentaire (1)

  • Jacques Humbert

    Merci pour votre excellent article. Je me suis permis de le mettre en lien sur le site de la Confrérie Saint-Vincent d’Issy-les-Moulineaux dont je fais partie.

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