Escapades Gardoises (1)

Escapades Gardoises (1)

Voici le premier volet du compte-rendu d’un reportage que j’ai effectué en plusieurs étapes dans le département du Gard. Le choix des producteurs que je présente résulte de ma volonté de sortir des chemins battus, sans critère particulier, simplement dans un esprit de découverte et en me gardant de présupposés, notamment à l’encontre des coopératives. Surtout réputé pour ses crus des Côtes du Rhône, Lirac et Tavel, le Gard est riche d’autres vignobles situés dans la mouvance rhodanienne, à l’orée de la Provence et du Languedoc, ou au piémont des Cévennes. Des catégories les consacrent diversement, depuis des Vins De France conçus librement au gré de chaque auteur, jusqu’à des AOC où le terroir fait foi, exigence à l’appui, en passant par des IGP allégés des contraintes, toutes sont à l’unisson de ce je qualifierais de paradoxe gardois. En effet, malgré un naturel généreux forcément ostensible en rouge, les vins du Gard ont l’apanage de la fraîcheur, une qualité peu partagée entre les vignobles méditerranéens. En cela, leur silhouette relève de spécificités du terroir gardois au plein sens du terme, c’est-à-dire telles qu’elles sont perçues par les voies sensorielles*, en l’occurrence ce souffle de vitalité à la source d’un équilibre bienvenu en région méridionale et si avantageux pour leur appréciation. De cela, j’en témoigne implicitement au gré des vins dégustés au cours de mon périple.

Aramon-Théziers Vignerons

Il s’agit du nom officiel de la cave coopérative qui regroupe à peine une vingtaine de viticulteurs établis à Aramon et à Théziers, deux communes situées à proximité du cours du Rhône, à une quinzaine de kilomètres d’Avignon. C’est en 1955 que la coopérative d’Aramon fut créée, concrétisant l’orientation viticole d’un secteur agricole où l’on cumulait généralement viticulture, maraîchage et arboriculture fruitière. Seuls de rares et vastes domaines pouvaient assumer cette vocation, le vin produit alors n’avait qu’un vil statut, et de ce fait rapportait peu. Pourtant le terroir s’avère de qualité, avec notamment des sols de galets roulés, à l’instar de ceux de Châteauneuf-du-Pape. Reconnu bien tardivement, en 2001, il l’a été honorablement puisque 180 ha sur les 500 ha formant le vignoble coopératif ont été classés en appellation Côtes du Rhône. Les superficies hors cette AOC répondent aux différentes dénominations autorisées en IGP, sigle désignant les zones pourvues de critères de production moins contraignants, appelées auparavant Vins de Pays.

L’encépagement global fait la part belle au grenache noir, vecteur majeur de l’identité rhodanienne, qui donne ici toute sa mesure grâce à de vieilles vignes enracinées pour certaines depuis 60/70 ans. Affublé avant l’heure du titre de cépage améliorateur, la syrah mérite à présent une considération, a fortiori à travers les ceps plantés dans les années 1980, et bien acclimatés depuis. Pour autant, le vignoble coopératif n’est pas que le reflet de choix convenus puisqu’il comporte aussi du marselan, adopté ici il y a une dizaine d’année, s’agissant d’une variété hybride de plus en plus prisée, mariage bien trouvé de grenache et de cabernet sauvignon. Absents de la tradition locale, les cépages blancs sont une autre facette de son renouveau, faisant ici merveille comme nous le verrons plus loin.

Sandrine Imbert et son père Fabrice, directeur de la cave, m’ont accueilli dans un caveau de vente au goût du jour, plus efficient qu’ostentatoire, juste décoré à l’entrée par une œuvre de circonstance, faite de la main d’un artiste local, Jacques Mounet. Les différentes cuvées qu’ils me présentent arborent bien des médailles et des distinctions, constituant ainsi une surprenante vitrine d’excellence. Cependant, leur consécration n’est pas le seul fait de jurys d’experts, puisque la base de ces vins sert de prestigieuses maisons de négoce rhodaniennes qui viennent s’approvisionner ici en connaissance de cause.

Baptisée singulièrement Jardin d’enfance, la gamme en IGP Coteaux du Pont du Gard n’est évidemment pas destinée à un jeune public, et traduit une idée de réminiscence à l’image de la citation de Jean Cocteau mise en exergue de sa présentation : « L’enfance a ses odeurs ». Issu exclusivement de chardonnay et doué d’une appréciable pureté aromatique, le blanc 2021 voit son fruit perdurer en charme et tonicité, sur un fond minéral. Un peu moins en évidence dans le rosé du millésime, la sensation fruitée est supplantée par celle d’une fraîcheur éclatante, faisant un vin désaltérant à souhait. Quant au rouge 2021, il laisse séduire par sa nature souple et volontiers gourmande, à peine structurée pour accompagner des plats d’été ou sans manière.

C’est sous le vocable de Conception que sont déclinées les cuvées en Côtes du Rhône. Composé à parité de grenache blanc et de viognier, le blanc 2021 s’avère particulièrement éloquent par d’élégantes senteurs nuancées (parfum floral et mentholé) et un équilibre remarquable qui met en valeur une bouche ample au toucher délicat, foncièrement gourmande quoiqu’un brin chaleureuse. Le rosé de cette lignée fait penser au « Jardin d’enfance » dans la même couleur, avec cependant une perception du fruit accrue et des qualités de corps plus conformes à sa catégorie. En rouge, on est gratifié d’un 2019, un vin épanoui où une pointe marselan (10 %) apporte sa touche à un assemblage canonique de grenache et de syrah. On découvre ainsi une expression riche de son identité rhodanienne sur des senteurs d’épices douces, tandis la plénitude ressentie au palais le rend littéralement délectable.

Cuvée marginale s’il en est, En Lumière constitue la fierté de la cave et montre ses capacités à produire un rouge de haute expression sans recourir à un élevage en fût de chêne ou autrement sophistiqué. Ce Côtes de Rhône de pur grenache rend de manière somptueuse le fruit et la teneur de vieilles vignes âgées de plus d’un demi-siècle plantées pour la plupart sur des sols de galets roulés, et conduites en petits rendements. La richesse et les nuances aromatiques de son 2019 suscitent en effet une impression de suavité qui vous transporterait volontiers à Châteauneuf-du-Pape ! Harmonieuse, la bouche leur donne un fier écho tout en présentant un caractère flirtant avec de l’opulence.

Mes vins préférés :

Côtes du Rhône rouge 2019 – Conception

Riche et opulent, le nez respire cependant l’agrément d’un fruit dans toute sa plénitude, heureuse fusion d’épices douces et d’un ton kirsché.    
L’ampleur et la dynamique de la bouche suscitent un parfait équilibre, associé à un goût puissant et franc, en écho aux arômes, et servi par des tanins veloutés, bien ajustés à son profil.

Côtes du Rhône rouge 2019 – En Lumière

On est d’emblée conquis par la profondeur de senteurs captivantes évoquant un complexe de fruits rouges (cerise confite), des épices douces et petit un air de garrigue (thym).
Par sa dimension, l’approche en bouche est tout aussi éloquente, tout comme sa concentration, exprimée sans trait forcé sous forme d’une texture à la fois juteuse et bien en relief. Superlatif, son caractère généreux est bien contenu et rehausse des saveurs transposées des arômes, tandis que sa structure relève d’un soyeux inénarrable.

Prix des vins cités :

Jardin d’enfance blanc : 5,35 € – rosé : 4,45 € – rouge : 4,20 € ☛ Conception blanc : 9,20 € – rosé : 7,65 € – rouge : 6,75 €
☛ En Lumière : 17,30 €


➤ 3464 Route de Montfrin, 30390 Aramon

➤ site internet : ICI

Cave des Vignerons de Montfrin

Fait rare qui mérite d’être souligné, cette coopérative s’est maintenue dans son intégrité depuis 1924, alors qu’entre-temps bien des structures collectives ont fusionné pour se maintenir à flot, quand elles n’ont pas carrément disparu. Aujourd’hui, elle rassemble les apports d’adhérents possédant des vignes sur les communes environnant celle de son rattachement : Meynes, Comps et Théziers. Elle partage ainsi l’aire viticole de Théziers avec la coopérative précitée, et comme elle, possède un vignoble implanté non loin du Rhône. Couvrant quelques 800 ha, ce dernier est réparti sur les aires en appellation Côtes du Rhône et Costières de Nîmes, le reste de son territoire bénéficiant indifféremment des dénominations IGP Gard, Coteaux du Pont du Gard ou Pays d’Oc. Son exploitation relève d’une attitude consciencieuse, avec un investissement en bio loin d’être marginal et représentant 15 % de ses vignes, soit 120 ha dûment certifiés. Cette démarche de conversion est d’ailleurs en progression, puisqu’il est prévu une extension de son aire en bio pour atteindre, à l’horizon 2025, un quart de l’ensemble du vignoble (200 ha).

Je suis reçu par son directeur dans l’espace d’accueil annexé à un hall d’entrée immense et singulier à plus d’un titre, d’une part par sa forme en amphithéâtre où les « loges » sont occupées par l’ancienne cuverie, faisant aujourd’hui office de décor. D’autre part, un véritable squelette de mammouth trône en son milieu, signe ô combien voyant d’un marketing décalé, à mettre en relation avec une nomenclature des vins faisant volontiers allusion à la préhistoire !

A l’instar d’un chef d’orchestre, Pascal Rodriguez me présente quelques-unes des cuvées dont il affectionne l’expression, chacune exécutant sa partition sur un tempo de fraîcheur et de vitalité. De brillantes interprétations répondent ainsi au nom de Lucy, une gamme dans les trois couleurs classée en IGP Coteaux du Pont du Gard. Ayant pour pivot le grenache blanc, son représentant dans cette couleur n’a rien d’un vin « moderne » aux arômes prémédités dans un sens flatteur, car sa retenue lui donne justement de la tenue, pour ainsi dire, et fait qu’on s’attache à son parfum discret, teinté de minéral, et son caractère goûteux. En tout cas, le 2021 se livre comme tel, tandis que sa version en rosé voit logiquement s’étioler son fruit, sans toutefois être dépouillée de sa fraîcheur, gardant ainsi de sa pertinence en déployant un aspect salivant. Le rouge « Lucy » fait la part belle à un merlot insoupçonnable tant son côté plaisir est développé. Souple et charmeur, son 2021 a été conçu comme un rouge d’été, à boire impérativement frais pour savourer pleinement ses qualités et son équilibre, suivant la recommandation de son superviseur.      

Les Côtes du Rhône dégustés font preuve d’un même élan que leurs homologues en IGP, a fortiori en blanc où Cassiopée 2021 traduit en une appréciable dynamique une composition triangulaire de roussanne, marsanne et grenache blanc. En rouge, on remonte à peine dans le temps pour découvrir Genèse 2020, un rouge certifié bio et d’une composition rhodanienne typique avec une dominante grenache et de la syrah en complément. Son expression est à point, joliment épicée sur une forme ample et harmonieuse, et laissant le palais sur une impression réglissée, tout au bénéfice de sa fraîcheur.

Mon vin préféré :

Côtes du Rhône rouge 2020 – Silex

Bien que sur la réserve, le nez libère de captivants effluves rappelant de l’olive noire, des épices douces et un côté floral sur la violette.
D’un profil élancé, la bouche délivre une matière fraîche et coulante sur des saveurs affirmant un registre épicé, que des tanins relaient avec bonheur et pertinence par un caractère soyeux et fondant.

Prix des vins cités  ☛ Lucy blanc, rosé, rouge : 4,50 € ☛ Cassiopée : 6,30 € ☛ Silex ; 6,50 € ☛ Genèse : 7,50 € 


➤ 525 Route de la Gare, 30490 Montfrin

➤ site internet : ICI

A suivre …


* J’emprunte ici à Jacques Puisais, œnologue et biologiste, fondateur de l’Institut français du goût.

Crédit photos : Aramon-Théziers Vignerons – Vignerons de Montfrin

La réalisation de ce reportage doit beaucoup à l’aimable concours de Jean-Jacques Chevalier, mon compagnon de dégustation et mon guide sur les routes gardoises. Qu’il en soit remercié.

L’auteur de l’article :

Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».

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