Les vignerons des Hautes-Alpes sur le chemin des sommets

Les vignerons des Hautes-Alpes sur le chemin des sommets

Pour surprenant que ce soit, la vigne croît favorablement en montagne et cela depuis que l’homme y a établi son habitat et assuré ses moyens de subsistance. C’est dire l’ancienneté de son implantation, même s’il ne s’agit pas de la culture la plus indispensable qui soit. Son introduction sur des terres a priori hostiles incarne un fait de civilisation, avec toutes les attentions qui entourent sa pratique.

En France, quelques vignobles sont situés aux abords de massifs montagneux, le plus connu d’entre eux étant celui de la Savoie, dont les plantations en altitude culminent à environ 500 m. Et c’est à un peu plus de cette hauteur, à quelques 600 m, que la viticulture des Hautes-Alpes commence à apparaître dans la partie sud du Gapençais, le secteur où elle est concentrée. Depuis son point le plus bas, elle épouse par endroits des reliefs plus élevés, là où son exploitation est encore viable, jusqu’à environ 1000 m aux environs de la ville d’Embrun.

La présence de la vigne dans la région le doit naturellement à un climat propice où, autre fait étonnant, l’influence méditerranéenne joue sensiblement en se propageant par la vallée de la Durance. Ce cours d’eau est d’ailleurs le fil conducteur de son implantation et caractérise la zone climatique du vignoble, du moins les secteurs où il est en activité aujourd’hui. Ainsi conditionnée, la viticulture haute-alpine n’est pas celle des extrêmes et fait que de nombreux cépages s’y sont acclimatés avec succès, même si le mollard est indissociable de ses racines. En tout cas, ce dernier s’y épanouit à merveille pour délivrer des rouges complets et riches de leur identité, grâce à des vignerons qui ont brillamment mis en valeur son potentiel.

Relativement important au 19ème siècle, puisqu’il aurait compté jusqu’à 7000 ha, le vignoble des Hautes-Alpes a difficilement ressurgi après son anéantissement par le phylloxéra. Il a néanmoins gardé de l’importance au siècle suivant jusqu’au début des années 1980, mais n’a cessé depuis de décliner pour se réduire à environ 130 ha aujourd’hui. Stable depuis une vingtaine d’années, gageons que ce chiffre ne diminuera pas, c’est en tous cas l’impression que j’ai eue après avoir rencontré l’ensemble de ses vignerons et apprécié la qualité tout comme l’intérêt de leurs vins. Qu’ils perpétuent ou ravivent un patrimoine ou qu’ils créent les conditions de son renouveau, tous m’ont semblé à l’unisson pour enrayer son déclin. J’ai ainsi choisi de brosser leur portrait et vous invite à les découvrir ci-après …      

Les territoires de la vigne

L’occupation de la vigne dans le département des Hautes-Alpes atteint son apogée au 19ème siècle, avant la venue du phylloxéra. On ne connaît pas sa superficie d’alors avec exactitude, mais on a la certitude qu’elle s’étendait jusqu’au Briançonnais, où bien des restes d’anciennes caves attestent de cette viticulture de montagne1. La toponymie locale rappelle d’ailleurs avec éloquence ce passé viticole, ainsi qu’en témoigne Les Vigneaux – Vinhau signifiant vignoble en occitan – nom d’une localité déjà mentionnée à la fin du 12ème siècle ! Le fait le plus remarquable de l’implantation de la vigne dans les Hautes-Alpes est qu’elle a toujours occupé des territoires à proximité du cours de la Durance, ceux de l’habitat concordant avec les espaces en culture. Elle a donc essaimé le long de cette vallée et occupe de nos jours deux régions principales, le Gapençais et l’Embrunais, nées d’une partition autant naturelle qu’historique, le lac artificiel de Serre-Ponçon marquant leur frontière physique. A leur côté, il y a lieu de prendre en compte une extension du vignoble, si petite fût-elle, dans un secteur légèrement excentrique où la vigne vient de renaître, au sein de la commune d’Upaix. Examinons-les …    

Le Gapençais

La partie du vignoble inscrite dans cette région ayant pour épicentre la ville de Gap concentre la grande majorité de la production sous la dénomination IGP Hautes-Alpes. L’aire de cette appellation est délimitée à partir de la commune de La Saulce et remonte la vallée de la Durance, uniquement sur sa rive droite, la mieux exposée à l’ensoleillement, jusqu’au barrage de Serre-Ponçon. Sur cette localité ainsi que sur sa voisine, celle de Tallard, située juste en amont, la vigne s’étend aux abords de la rivière, à environ 600 m d’altitude, la partie la moins élevée du vignoble. Cette situation fait que les sols y sont constitués d’alluvions avec une forte pierrosité. A leur suite, elle épouse les reliefs en coteau, à l’adret du massif dominant le territoire du Gapençais viticole, appelé Dôme de Remollon. Cette typologie est remarquable dans le cadre des communes qui se succède en amont : Valserres, Remollon, Théüs et Espinasses, où la vigne culmine à 750 m. Les sols sont faits de sédiments très caillouteux des cônes de déjection d’anciens torrents. Bien qu’il s’agisse de marnes (formations argilo-calcaire), des terrains d’une étonnante couleur noirâtre – appelés Terres Noires – s’y observent, témoignant de la sorte d’un processus géologique complexe, lié à la présence d’une mer alpine.

La partie formant le Gapençais viticole a toujours été le cœur de la production viticole des Alpes du Sud. Elle a d’ailleurs connu des temps florissants au 19ème siècle avant que le phylloxéra n’y sévisse en causant des pertes en surface irrémédiables. Malgré tout l’exploitation de la vigne reprend au siècle suivant et connaît même une relative prospérité qui perdure jusque vers 1980, où l’on comptait encore un peu plus de 700 ha en production (recensement de 1979), exploitées en presque totalité par 4 coopératives. La décennie suivante, le vignoble verra hélas un net et rapide déclin avec moins de 300 ha recensés en 1988, une chute qui s’est poursuivi jusqu’en 2000, où il ne restait plus que 100 ha d’exploités, soit l’équivalent de la superficie actuelle.     

Aujourd’hui, une cave coopérative et six caves indépendantes se partagent l’exploitation de ce secteur et en montrent différentes facettes avec une heureuse diversité. Outre des terroirs et des savoir-faire distincts, cette diversité tient pour beaucoup aux cépages utilisés, car l’unanimité ne se fait pas autour de l’endémique mollard, loin s’en faut. En effet, même s’il s’agit d’une essence indigène aux Hautes-Alpes, le mollard cède ici à des cépages dont l’acclimatation a réussi contre toute attente, prouvant ainsi la percée que des influences méditerranéennes font jusqu’ici. Favorable à la pleine maturité des raisins, le méso-climat régnant dans la haute-vallées de la Durance a permis ainsi d’y introduire des cépages de régions plus tempérées, merlot et chardonnay étant les plus prisés d’entre eux. D’autres variétés complètent un encépagement de toutes provenances.

L’Embrunais

Le paysage qui encadre l’agglomération d’Embrun présente une tout autre configuration, celle d’une région plus proprement montagnarde sous la tutelle du Mont Guillaume, le sommet le plus au sud du massif des Écrins qui culmine exactement à 2542 m. La situation de la vigne est en rapport, s’étageant entre 800 m et 1000 m d’altitude de part et d’autre de la vallée de la Durance, a contrario du Gapençais, où elle n’occupe que des versants de sa rive droite. Cela dit, les plantations de l’Embrunais prédominent à l’adret du Mont Guillaume sur la commune de Châteauroux-les-Alpes, et sont distribuées de manière résiduelle sur les territoires environnants, au sein des communes de Saint-André-d’Embrun, Eygliers et Puy-Sanières. Faits de marnes calcaires, la nature des sols dominants correspond aux Terres Noires du Gapençais, surmontées par endroits d’alluvions d’origine glaciaire et/ou fluviale. Les deux régions se rapprochent encore dans des considération climatiques, les influences méditerranéennes étant flagrantes aux abords de la Durance. Ce même régime favorable vaut pour l’ensoleillement, la relative douceur des températures, ainsi que pour les fortes amplitudes thermiques journalières, ici encore plus marquées et dont on sait les avantages pendant la période cruciale de maturation des raisins.     

Le vignoble inscrit dans l’Embrunais épouse un relief en coteaux, généralement sous forme de terrasses, tandis que son caractère très morcelé témoigne du passé d’une viticulture à l’échelle domestique, donc non commerciale sinon dans une économie de troc. De ce fait aucune rigueur ne l’encadrait, ce dont attestent des parcelles complantées d’une multitudes de cépages, avec des plants glanés alors ici ou là, parfois au gré des marchés ou de foires agricoles de jadis. D’ailleurs, plutôt que de parcelles on devrait parler de lopins de vignes dont les superficies sont justement à mettre en rapport avec leur modeste vocation. Quelques-unes ont survécu en l’état et ont même été reprises non sans témérité par le petit groupe de vignerons qui font renaître sa culture dans l’Embrunais. Elles constituent ainsi un conservatoire involontaire et fascinant des variétés usités dans cette viticulture vivrière. Venus en reconnaissance, des experts en la matière en ont d’ailleurs identifié un nombre conséquent sur des parcelles dont certaines comptent jusqu’à quelques 40 essences différentes ! Il en est ainsi au domaine « Les Raisins Suspendus » (voir ci-après). Cela dit, toutes n’ont pas pu être répertoriées et préservent toujours leur mystère. Il va de soi qu’il s’agit de très vieilles souches, pour certaines centenaires, à n’en guère douter. Il n’est pas dans mon propos de les énumérer ici étant donné leur nombre, cependant, outre les cépages bien connus et aujourd’hui en usage, partagées en cela avec ceux employés dans le Gapençais, on y trouve de plus singuliers comme l’espanenc, autrefois cultivé dans les Hautes-Alpes, et bien d’autres aux intitulés aussi étranges que rares, tel le grec rouge ou en le portugais bleu, ou encore des témoins d’un encépagement qui fit florès mais aujourd’hui révolu, ainsi l’alicante ou l’aramon.

S’il survit sous forme de cuvées « mémorielles » grâce aux vignerons qui s’y sont installés récemment, le passé viticole de l’Embrunais a vu sa page tournée en 1988 lorsque l’Association de rénovation viticole des coteaux de la Durance créée un vignoble à Châteauroux-les-Alpes avec le concours des collectivités locales et le Parc National des Écrins. Placé sous le signe de l’expérimentation, ce nouveau départ voit la plantation de cépages inédits sous le contrôle de l’INRA de Montpellier. Les variétés sélectionnées comprennent des essences propres au vignoble français, d’origine bourguignonne (chardonnay, pinot noir), rhodanienne (marsanne), savoyarde (altesse, jacquère), languedocienne (chasan) ou d’horizons plus lointains (müller-thurgau). Confiée en partie à Charles-Henri Tavernier, lui-même néo-vigneron, ce petit vignoble est exploité par ses soins de 2003 à 2018. L’arrêt de son activité a cependant connu une heureuse coïncidence, puisque ses vignes ont été reprises et partagées entre les vignerons installés à sa suite.   

Héritant à la fois de vignes à valeur historique et d’autres issues de plantations nouvelles et d’un choix raisonné, les quatre petits domaines formant aujourd’hui la viticulture de l’Embrunais agissent de concert pour mettre en valeur une région qui sans eux aurait périclité jusqu’à disparaître. Venus d’horizon divers, chacun riche de son expérience, ces vignerons et vigneronnes œuvrent avec une discrète émulation au bénéfice de vins singuliers et d’une qualité insoupçonnable.          

Upaix

Upaix est une localité située à l’écart du Gapençais viticole, à une vingtaine de kilomètres de sa limite sud, en aval de la vallée de la Durance, dont le cours délimite le côté est du territoire communal. L’endroit n’est pas connu pour avoir été un secteur proprement viticole, puisqu’aucune tradition ne s’est perpétuée, les dernières vignes exploitées de manière significative ayant été arrachées il y a près d’un demi-siècle. Et c’est justement la fille du dernier vigneron en activité qui l’a ressuscité suivant une approche artisanale et perfectionniste du métier, à l’opposé de ce qui était alors pratiqué. Magali Vignaud est ainsi la fondatrice de Villa Costebelle, nom de l’unique domaine de cette partie excentrée du cœur du vignoble haut-alpin avec lequel elle partage néanmoins bien des aspects de sa géographie physique, ne serait-ce qu’une même situation en altitude, mesurée ici également à 600 m. Au prix d’une grande exigence, les vins élaborés attestent des réelles qualités de leur terroir (voir ci-après la notice sur son domaine).   

Le cépage mollard et les autres

Des cépages utilisés traditionnellement dans les Hautes-Alpes, le mollard en est le plus authentique et le seul qui ait perduré quantitativement jusqu’à nos jours. Les recherches génétiques ont montré sa filiation avec le gouais, cépage immémorial géniteur de bien des variétés actuelles, et non des moindres, ainsi le pinot noir bourguignon. Son acclimatation au régime haut-alpin le doit à sa résistance aux gelées d’hiver et surtout à celles du printemps, saison cruciale pour le débourrement (éclosion des bourgeons). Pourvu d’un cycle végétatif tardif, le mollard est ainsi relativement à l’abri des gelées printanières tardives et de leur impact fatal à sa fructification.  

Disparaissant à la mesure du déclin du vignoble, le mollard a pour ainsi dire été sauvé par Marc Allemand, vigneron du domaine éponyme. Il avait alors tout fait pour le maintenir dans son propre vignoble, s’agissant de plants multipliés traditionnellement, issus de ce que l’on nomme sélection massale2. Sa volonté de le promouvoir a dès lors éveillé l’intérêt des organismes viticoles officiels, lesquels en ont produit deux variétés clonales afin de faciliter de nouvelles plantations en leur garantissant une typologie satisfaisante.

La nette marginalisation du mollard dans l’encépagement global a laissé libre cours à l’introduction de nombreuses variétés, toutes agréées par le décret régissant l’appellation officielle des vins produits sur le département, l’IGP Hautes-Alpes. Cette ouverture a surtout profité à des cépages aussi notoires que le merlot et le chardonnay, dont la capacité d’adaptation a fait ses preuves dans le monde entier. Ils ont eu la faveur de pratiquement tous les vignerons haut-alpins, cela à juste titre si l’on se réfère à la qualité probante des vins qui en sont issus. S’il le fallait, mes dégustations en attestent amplement. Concernant les plantations annexes, aucune variété n’émerge plus qu’une autre, puisqu’on emploie indifféremment, seuls ou assemblés, des cépages aquitains – cabernet sauvignon, cabernet franc – tout aussi bien que rhodaniens – syrah, marsanne, roussanne, viognier – ou méditerranéens – cinsault, muscat petits grains, clairette blanche, rolle –. Il faut cependant souligner le fait que certains plants parmi eux figuraient déjà dans la tradition viticole locale, à l’image du bien connu muscat petits grains. Et l’on peut enfin retenir l’espanenc, autre cépage typiquement haut-alpin, à l’instar du mollard, qu’un vigneron (Domaine du Petit Août) a eu le mérite de replanter pour lui donner une actualité bien plus satisfaisante qu’un passé peu glorieux.       

En considérant le contexte alarmant du réchauffement climatique et son incidence sur la maturité des raisins, le mollard présente l’une des meilleures alternatives pour éviter aux vins alpins d’atteindre un degré d’alcool qui n’a hélas rien à envier à celui atteint dans le creuset des autres cépages. Ainsi, avec des vins titrant entre 11 et 12 % vol., le mollard produit des expressions complètes et équilibrées, et assurément plus indulgentes pour notre organisme que celles d’homologues affichant parfois 2 voire 3 degrés de plus.

Portraits & Vins

Je présente ici l’ensemble des acteurs haut-alpins, sans exception, en mentionnant mes préférés parmi leurs vins, cela sur la base d’une dégustation exhaustive pour ne pas dire leur quasi totalité. De loin les plus nombreuses, les cuvées produites en 2021 figurent sans indication de millésime, celui-ci étant précisé uniquement pour les années antérieures.
La mention « page internet ➤  » renvoie au site officiel de l’IGP Hautes-Alpes, où chaque domaine possède son propre espace.

Classement par ordre alphabétique

Veuillez cliquer sur un nom de domaine pour accéder directement à sa notice (sauf pour Domaine Allemand, classé en premier).

Domaine Allemand
Domaine La Clochère
Villa Costebelle
Cave des Hautes Vignes
Domaine Les Hauts Lieux
Domaine Martin
Domaine du Mont Guillaume
Domaine du Petit Août
Les Raisins Suspendus
Domaine Saint-André
Domaine de Tresbaudon

Domaine Allemand

Créé en 1954 par Louis Allemand, cette propriété a été la première cave indépendante des Hautes-Alpes et celle à l’origine de la renaissance de son vignoble. En effet, son fils Marc la reprend en 1980 avec la résolution et le mérite de sauvegarder le mollard en contribuant à sa considération dans l’encépagement régional (voir ci-dessus). Son domaine devient alors l’épicentre du cépage, si l’on peut dire, en détenant la parcelle de vignes-mères qui servira de référence à sa reproduction. Aujourd’hui, sa fille Laëtitia en a repris le flambeau avec pour projet d’entreprendre la constitution d’une nouvelle vigne référente du mollard avec le concours du pépiniériste Lilian Bérillon, particulièrement engagé dans la cause de l’ampélo-diversité. Cependant, malgré sa détermination pour la défense du mollard, Marc Allemand a gardé l’esprit ouvert en la matière et planté son vignoble de différentes espèces, traditionnelles ou en usage dans la région comme le muscat petits grains, le cinsault et l’ugni blanc, et d’autres plus universelles, comme le chardonnay, le merlot et le cabernet franc. Dominant en superficie, le mollard représente actuellement plus de la moitié de ses 10 hectares et contribue à bien des cuvées comme l’unique constituant ou en assemblage avec du cabernet franc ou du merlot, ou bien les deux réunis. Il compose même un effervescent rosé obtenu en méthode traditionnelle, à l’instar du champagne.

Le fait d’être la doyenne des caves vigneronnes des Hautes-Alpes confère au Domaine Allemand l’apanage de cumuler la possession de vignes d’un âge moyen élevé et l’expérience d’un métier acquis de longue date. Ces atouts ne sont pas pour rien dans le style accompli de ses vins, et tout particulièrement des rouges à vocation conviviale où le mollard est l’unique pivot, avec la cuvée « Théusien » comme emblème du domaine. S’agissant d’expressions plus complètes, le mollard s’allie à merveille avec le merlot quand l’ambition entre en jeu, celle qui caractérise la cuvée « Matthéüs ». Sur ce terrain, le paroxysme est atteint par le rouge « Ma Cuvée », dans laquelle le mollard dévoile sa part de noblesse au même titre que le merlot et le cabernet franc, auxquels il s’associe au bénéfice de qualités superlatives, exprimées pourtant sans épate. Cette lignée, qui comprend un blanc et un vin orange a été conçue dans un esprit d’absolu par Laëtitia, et a vu le jour à l’occasion du millésime 2015, tout au moins en rouge. Si celui-ci est élaboré de manière singulière, car vinifié à même le fût où il est ensuite élevé, le blanc l’est à sa façon, « à la bourguignonne », unissant deux cépages en faveur au domaine : le chardonnay, ici synonyme de prestige, majeur dans sa composition, et le traditionnel muscat petits grains. S’ils fusionnent dans ce vin hors pair, ces essences délivrent par ailleurs des cuvées définies suivant une même hiérarchie qu’en rouge. Le chardonnay est ainsi dédié au « Globe-Trotteur », le pendant en blanc de « Matthéüs », tandis que le muscat forme un tandem avec le rouge sous le même vocable de « Théüsien ».

Fidèle à ses acquis, notre vigneronne les perpétue en les mettant au diapason des tendances actuelles. Pour le plus ancien d’entre eux, la production de vins effervescents, elle l’a enrichi par une version en rosé, issue tout naturellement de mollard. Il s’agit en effet d’une véritable spécialité du domaine, née à l’initiative de Louis Allemand, à l’aube de sa création, à une époque où l’on était encore en droit de parler de méthode champenoise. Dans un registre bien plus contemporain, le vin « nature » a maintenant droit de cité dans une gamme déjà bien éclectique. Obtenu sans ajout de sulfites ni d’aucun additif, le rouge ainsi qualifié est lui aussi constitué de mollard. Son style rejoint celui des « Petits Plaisirs », une gamme de vins de copains, pour paraphraser la définition qu’en donne Laëtitia.

Sous son impulsion, la conduite du domaine se conforme à l’exigence requise par une viticulture responsable, désormais indispensable à toute entité vigneronne qui se respecte. Cette démarche a été couronnée par une certification attestant du respect des normes environnementales, et se voit désormais renforcée par une approche plus stricte, celle obtenue à l’issue d’une conversion bio, entamée en 2021. Parmi les gestes vignerons qu’on y pratique, le travail de la vigne effectué au cheval en est le symbole le plus éloquent.  

Mes vins préférés :

Né du seul mollard, Le Théusien offre un bel archétype du genre, avec toutes les nuances fruitées puisées dans les vieilles vignes qui l’ont engendré. Croquant et savoureux à souhait, il plaît encore par sa souplesse et la petite mâche qui titille le palais à bon escient.

L’intitulé énigmatique du rouge M & M Secret Partagé 2020 résume une composition où mollard et merlot s’allient à parité et à merveille pour former un tout à la fois fougueux et délicieux, qu’orchestre un fruit apparenté à de la cerise dans toutes ses déclinaisons.  

Taillé dans du merlot et affiné en fûts, Matthéüs 2020 est en comparaison plus conventionnel. Son format et ses traits ambitieux n’excluent pas le côté épicurien que suscite une texture pulpeuse, généreuse et sapide.

Victimes de leur succès, les blancs font hélas défaut à ce tableau d’honneur, hormis sous la forme d’un effervescent issu de la méthode dite traditionnelle. Ainsi, Brut Nature foisonne de bulles qui lui procurent une agréable sensation crémeuse, vectrice d’une fraîcheur que renforce une conception sans dosage au profit d’un caractère désaltérant et par conséquent d’une vocation apéritive.

1495 Route de l’Eau Vive, 05190 Théüs

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Domaine de la Clochère

Situé au cœur du village de Remollon, le bâti attaché à ce domaine incarne on ne peut mieux la viticulture alpine dans sa lointaine tradition. En effet, en accédant à sa cave on est saisi par la vétusté apparente du pressoir et des vaisseaux vinaires, un matériel au demeurant parfaitement efficient ! Sans toutefois en être certain, Bernard Allard-Latour, son vigneron, avance le chiffre de 1700 pour situer la date de construction de sa cave voutée et profondément enterrée, où les vins séjournent dans les meilleures conditions possibles après avoir été entonnés dans des fûts de chêne. Ces contenants-là sont bien plus contemporains, puisque acquis auprès d’un domaine bourguignon de renom après cinq années de bons et loyaux services. Le caractère vénérable de ce cadre s’accorde avec un mode d’élaboration des vins basés sur des gestes ancestraux, cela dès la réception de la vendange dont l’intégrité physique est préservée jusqu’à sa vinification. Autrement dit, les grappes de raisin gardent leur rafle et ne subissent qu’un léger foulage avant d’entamer une fermentation sans produit auxiliaire, les levures naturelles faisant alors leur office. Pendant leur macération, les raisins sont foulés au pied, une méthode vieille comme le monde, appelée aujourd’hui pigeage. Elle se pratique ici suivant une forme de rituel qui permet un brassage homogène du contenu de la cuve. La vinification une fois accomplie, les vins sont donc mis dans des pièces bourguignonnes dans leur état brut de manière à continuer à se « nourrir » des matières en suspension, appelées lies. On procède ensuite à leur décantation pour poursuivre leur élevage.

Produits d’un protocole immémorial, les vins de La Clochère expriment avec beaucoup de naturel le fruit du seul cépage utilisé ici pour les rouges : de très vieilles vignes de mollard, dont certaines dépassent le siècle. Le vigneron argumente son usage avec raison, vantant son aptitude à s’accommoder au climat haut-alpin.           

5 rue de l’église, 05190 Remollon

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Villa Costebelle

De remarquables singularités distinguent ce domaine, à commencer par une situation géographique relativement éloignée du cœur du vignoble haut-alpin, puisqu’il est localisé à Upaix, une commune plus au sud de celui-ci, à quelques 25 km de ses vignes les plus proches. Cela dit, son isolement n’est que partiel, puisque sa proximité de la Durance avec ses caractères de terroir le définit comme un acteur des Hautes-Alpes à part entière. Là, toute vigne a disparu depuis que le père de Magali Vignaud, sa vigneronne, a cessé son activité, il y a plus de 40 ans. Il s’agit d’un tout jeune domaine, puisque créé en 2015 alors qu’elle exerçait comme agricultrice spécialisée dans les petits fruits rouges, une production qui s’est avérée peu rémunératrice. Le choix de faire renaître la viticulture à son endroit ne s’est pas limitée à la quête d’un métier plus viable, la réminiscence des odeurs de cave qui ont bercé son enfance ont aiguillonné ce qu’elle pratique désormais non sans passion.

Partie avec un bagage léger, elle travaille pourtant sans recourir aux conseils d’un œnologue, ayant eu la chance de rencontrer un vigneron estimé bien au-delà du cadre de son appellation. C’est en effet Marcel Richaud, vigneron à Cairanne et figure de la viticulture rhodanienne, qui est son consultant informel. Elle commence à planter ses premières vignes, avec quelques déboires dus à des plants défectueux, ce qui ne la décourage pas pour autant. Elle opte alors pour un encépagement diversifié en privilégiant merlot, pinot noir et syrah, qu’elle complète par de petites parcelles de cabernet sauvignon et de grenache, et de variétés moins courantes comme du petit manseng et du gewurztraminer, sans oublier le mollard. Notre vigneronne jongle ainsi sur cet ensemble et ne rechigne pas à tâche quand il s’agit de le décliner en autant de cuvées. Sa gamme est constituée de blancs en mono-cépage et de rouges résultant d’assemblages judicieux, sachant que le pinot noir a droit à une expression individualisé, et que le merlot concoure également à des cuvées spécifiques.

Sans être une adepte des vins « natures », Magali œuvre dans leur sens en vinifiant sans levures exogènes et en minimisant les taux de sulfites, qu’elle a la probité de mentionner sur les étiquettes. Dans cette considération, son engagement en bio va de soi, et a contrario d’une idée reçue, sa conception du vin ne s’affranchit pas du devoir de plaisir attaché à sa consommation. En cela, elle ne se prive pas de recourir à des fûts de chêne récents et de bonne origine pour élever quasiment tous ses rouges dans la perspective d’épanouir leur fruit et de raffiner leur texture.    

Malgré des vignes encore très jeunes, encore insuffisamment enracinées, ses vins rendent déjà une essence appréciable, fruit de très petits rendements et d’une élaboration bien menée dans le cadre d’une discipline contraignante. Entre autres réussites, on peut parler d’expression remarquable s’agissant du pinot noir – « JLB » – une cuvée à travers laquelle on mesure le bien-fondé de son implantation sur ce terroir. Quant au merlot, elle le manie avec maestria, au gré de la vocation recherchée, depuis un vin « nature » littéralement gourmand – « L’Astrée » – jusqu’à une cuvée d’élite qu’elle réserve exclusivement à La Bonne Etape, le restaurant étoilé local, laquelle a conquis son chef, Jany Gleize.                    

Mes vins préférés (millésime 2019) :

Le Rituel est synonyme d’une syrah pure, parfaitement identifiable par les arômes que dispense un bouquet suave. La texture y est pulpeuse grâce à une fraîcheur pénétrante, à l’image d’un cru des Côtes du Rhône septentrionales. La grande finesse et l’enrobage de la structure ne peuvent que s’apprécier.

Derrière le curieux label JLB se trouve un pinot noir de toute beauté, évocation immanquable d’un bourgogne avec tous ses atours :  fruits rouges, profonde nature gourmande et tanins délicats. De surcroît, il ne manque ni d’équilibre ni d’élégance.

A contrario de son intitulé, Belle de Mai n’a rien d’un vin printanier ou primesautier, et incarne plutôt le « sérieux » d’un mixte de merlot et de cabernet sauvignon. La fraîcheur et la puissance s’allient pour donner de la fougue à une expression au toucher délicat et finement structurée.

Rourebeau (face a la salle Polyvalente), 05300 Upaix

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Cave des Hautes-Vignes

Établie à Valserres, la cave coopérative Les Hautes Vignes est la seule des quatre structures collectives qui soit restée en activité dans le département. Fondée en 1950, elle compte aujourd’hui 63 adhérents dont les vignes se répartissent sur les communes viticoles du Gapençais et celles limitrophes des Alpes de Haute-Provence. Son vignoble totalise environ 75 ha, dont près de la moitié est exploitée par deux domaines adhérents, vinifiés distinctement et commercialisés sous leur nom d’origine, respectivement « Domaine de la Grande Hauche » et « Domaine des Treilloux ». Avec celle de la gamme « Roches Brunes », ces productions individualisées forment la partie en bio de la coopérative qui, fait remarquable, totalise les 2/3 des volumes élaborés par ses soins. Relativement marginalisés, les vins issus de viticulture conventionnelle portent la marque « Terre d’En Haut » et se détaillent dans les trois couleurs, comme d’ailleurs toutes les gammes précitées.

L’encépagement global du vignoble coopératif privilégie largement le merlot et le chardonnay, conformément aux orientations du renouveau viticole haut-alpin. En second lieu, il comprend d’autres variétés « nouvelles », aujourd’hui bien implantés quoique marginales en superficie, comme la syrah, les cabernets et la roussanne. Quant aux cépages traditionnels, ils ont droit à des cuvées spécifiques, ainsi le muscat petits grains, tandis que le mollard est assemblé à d’autres plants, comme l’endémique espanenc, pour donner « Terres Rares », un rouge, témoignant de parcelles conduites à l’ancienne, où se trouve mêlés plusieurs cépages. Cette situation a tout récemment conduit la coopérative à planter une vigne de mollard pour en obtenir un produit pur, une décision louable après les années de disgrâce qu’il a subies.

Ayant segmentée son potentiel pour l’exploiter au possible et soignant jusqu’à ses vins les plus modestes, la Cave Les Hautes-Vignes honore largement sa position d’acteur majeur de l’IGP Hautes-Alpes. Quelle que soit leur couleur ou leur statut, toutes ses cuvées se distinguent en effet par leur netteté et leur franchise tout en présentant un profil aimable, apte à les faire apprécier dès leur prime jeunesse.      

Mes vins préférés :

Proposé à un prix modique et disponible en plusieurs contenants (bouteille, fontaine à vin, au détail), le rouge Terre d’En Haut honore la coopérative, s’agissant d’un pluri-cépages avec une part de mollard. De bon aloi et fort bien agencé, il dispense en outre un goût frais plaisant de nature réglissée. Dans cette même gamme, un blanc de chardonnay mérite tout autant une mention pour son toucher moelleux et une nature tonique comme celle des agrumes.

Également fondé sur le chardonnay, un autre blanc signé du Domaine de la Grande Hauche fait valoir l’apport de la roussanne au profit d’une expression sur un même profil onctueux, en plus accentué, tout comme l’est le rendu du fruit. Le rosé de cette origine séduit par une expressivité qui doit à un fruit scintillant ainsi qu’à la joliesse de son relief en bouche.

Rare Cépage est ici le nom de la cuvée sensiblement façonné par du mollard, et de belle manière ne serait-ce que par un éventail de senteurs engageantes, au service d’une gourmandise croquante. Les saveurs concordent avec ce registre et ajoutent une touche de fraîcheur née d’une alliance de fruits noirs et de réglisse, le tout garnissant une matière agréablement gouleyante.

Simplement désigne par allusion un rouge sans apport de sulfites, et s’avère bien réussi dans un genre périlleux à élaborer, à mettre au crédit de la cave. Il en ressort avant tout une grande fraîcheur, qui se respire et se savoure à travers l’énergie d’un fruit où le réglisse donne le ton.

1 chemin de la Grande Hauche, 05130 Valserres

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Domaine Les Hauts-Lieux

L’installation de Mickaël Olivon dans le pays d’Embrun a bien des points communs avec celle d’Emmanuel Berteloot, vigneron du Domaine du Mont Guillaume. En effet, outre le fait d’avoir des caves mitoyennes, ils se sont partagés le legs de Charles-Henri Tavernier, « apôtre » du renouveau embrunais, chacun héritant de vignes situées de part et d’autre de la Durance. Ainsi, en 2018 Mickaël reprend les 2 ha que son aîné exploitait sur sa rive droite, à Châteauroux-les-Alpes, soit à la même époque que son confrère et voisin débutait son activité. Sans toutefois se ressembler, leur précédente carrière se déroule dans l’univers du vin. Pour sa part, Mickaël a dispensé son savoir agronomique en Rhône-Alpes par le biais de la Chambre d’Agriculture. Fort de sa spécialité, il s’établit dans les Hautes-Alpes motivé par l’idée d’une viticulture à réinventer dans une région riche d’atouts naturels et relativement préservée. Parmi les singularités du vignoble haut-alpin, il souligne le patrimoine que constituent les nombreux cépages accumulés au fil du temps dans les rares parcelles qui ont survécu jusqu’ici. Ces témoins de la viticulture traditionnelle embrunaise, il les interprète comme autant de signes probants de son potentiel. Lui-même en exploite l’une d’elle et en fait une cuvée sous le nom judicieusement évocateur de « Hors-Piste », où le mollard s’accommode d’espèces ayant pour nom espanenc, portugais bleu, aramon, etc.

L’attention portée à ces espèces reliques ne doit pas cependant occulter l’orientation progressiste du domaine. En effet, située dans la commune d’Eygliers, plus en amont sur la rive gauche de la Durance, l’autre partie de son vignoble comprend les variétés qu’il a plantées depuis son installation. Jouxtant de vieux ceps de mollard, pinot noir, savagnin et persan composent l’encépagement pour le moins original d’un petit hectare. A l’exception du persan, originaire de Savoie, le choix de autres cépages ne s’est pas fait par référence à leur berceau en France, mais au vu de leur réussite dans d’autres environnements montagnards : celui du Haut-Adige en Italie du Nord pour le pinot noir, et dans Valais suisse pour le savagnin.  

Riche de ses connaissances en agronomie, Mickaël n’a eu aucun mal à appréhender cette partie-là de son métier. En matière de vinification, dont il n’ignorait pas l’approche, il a rationalisé les tâches de manière à pouvoir travailler seul, d’où la préférence donnée à de grands contenants statiques (fûts de 600 litres dits demi-muids) pour s’éviter une manutention contraignante nécessitée par les fûts utilisés plus couramment. Le fût joue d’ailleurs un rôle majeur dans l’élaboration de ses vins, en élevage pour les rouges ou en fermentation puis élevage pour les blancs. C’est ainsi qu’ils gagnent un appréciable degré de raffinement, autant dans leur équilibre que dans leur définition, car ici rien ne fleure la matière brute, ce qui n’exclue pas un certain naturel d’expression là où les constituants appellent un vin sur le fruit, ainsi le gamay, unique composant de « Coste Rouge », une cuvée qui « pinote » à l’instar d’un cru renommée du Beaujolais, Moulin-à-vent pour ne pas le nommer. Quoique moins identifiable, étant donné la nature très mêlée de son assemblage, ce caractère fruité est également bien en évidence dans « Hors-Piste », lui conférant ainsi un attrait particulier.      

Mes vins préférés :

Mariage bien trouvé entre le chasan et le chardonnay, Grains de Clotinaille est un blanc qui enchante par son délié et sa distinction, et dont le fruit, déjà exquis, est encore appelé à s’épanouir, une fois le boisé pleinement fondu.

Nommé Hors-Piste avec « Mollard & Co. » comme sous-titre explicite, ce rouge incarne une synthèse de l’encépagement reçu en héritage. Il en résulte une jonction heureuse entre naturel et raffinement où au final l’expressivité est gagnante sur un goût original introuvable et une structure qui résume sa jeunesse.

25 Les Terrasses, 05200 Embrun

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Domaine Martin

Ce domaine situé sur la commune de Châteauroux-les-Alpes s’inscrit dans l’initiative de l’Association pour la Rénovation Viticole des Côteaux de la Haute Durance (voir plus haut la présentation de l’Embrunais). Œuvrant à la renaissance de la vigne sur son secteur, Pierre Martin et son frère François se voient alors confier pour partie son exploitation, sur la trace d’aïeuls qui cultivait la vigne. C’est aujourd’hui Joffrey Martin, le fils de Pierre, qui a repris sa conduite avec un sens paysan et non sans fierté, à juste titre si l’on se réfère au soin apporté à la conduite de la vigne, dont les sols sont travaillés en conséquence.

L’origine expérimentale des plantations qui le constituent se lit à travers un encépagement inédit relativement à la tradition, fait de chardonnay, de müller-thurgau et de pinot noir, seules variétés plantées dans le périmètre du domaine. En tout cas, cette sélection s’avère pertinente, les vignes ayant aujourd’hui atteint l’âge d’une pleine expression, soit une vingtaine d’années en moyenne. Avec une implantation faite à leur avantage, tant dans la nature calcaire des sols que dans une exposition optimale, elles sont en outre travaillées en bio, cumulant ainsi bien des atouts pour une fructification optimale. Le millésime 2021 donne d’ailleurs une bonne mesure des vins que Joffrey a produit dans ce terroir doué, malgré son altitude extrême de 1000 m et les risques récurrents de gel qu’il comporte.  

Élaborées dans une cave de taille modeste, mais dotée d’un équipement complet, y compris pour la mise en bouteilles, les différentes cuvées jouent à l’unisson la carte de la fraîcheur, partageant un caractère nerveux exprimé à l’aune de chaque cépage. Cette homogénéité de style n’empêche en rien l’émergence du blanc de müller-thurgau au panache impressionnant.      

Mes vins préférés :

Fraîcheur et vivacité définissent l’ensemble des vins, favorisant ainsi leur expressivité sur leur caractère fruité. Le blanc issu de müller-thurgau, baptisé Matagots, fait un peu exception à ce trait commun en exaltant un fruit en harmonie avec un profil frais, fait de nuances florales, herbacés et mentholées.

Davantage dans le style cher au vigneron, Via Domitia – un pinot noir dans sa version rosé – laisse apprécier son joli toucher de matière ainsi qu’une fin de bouche nette, subtilement fruitée sur un horizon agrumes-framboise, et innervée d’un trait minéral.    

La Muande, 05380 Châteauroux-Les-Alpes

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Domaine du Mont Guillaume

Créé officiellement en 2019, le domaine de Delphine et Emmanuel Berteloot se situe dans l’Embrunais et s’affilie à ceux qui renouvellent la viticulture sur ce secteur. Une partie de ses vignes représentent d’ailleurs celles reprises à Charles-Henri Tavernier, pionnier du renouveau local, aujourd’hui retiré. Ayant fait toute sa carrière en Bourgogne, au sein d’une maison estimée de Savigny-lès-Beaune, Emmanuel est arrivé ici imprégné de l’esprit d’un vignoble pour le moins renommé. Il en a ainsi retenu la haute exigence qui préside à l’élaboration de ses crus, entre une viticulture soignée et une conception des vins tout autant élaborée. Ce changement lui a valu de devenir vigneron à part entière, ce qu’il a accompli par une voie de formation parmi les plus indiquées, ainsi qu’auprès de « Charly » Tavernier, son guide local et mentor, en quelque sorte. Teintée d’ambition, sa reconversion se fixe pour autant une louable perspective, à savoir « créer un domaine pérenne pour le transmettre à des jeunes ».

Animé d’une démarche perfectionniste, Emmanuel anticipe son installation dès 2017 en recherchant des parcelles de choix pour y planter ses propres vignes. Il y parvient grâce au concours de la commune de Puy-Sanières qui lui octroie les terres espérées : deux hectares parfaitement exposés, avec une vue imprenable sur lac de Serre-Ponçon. Elles font ainsi pendant à celles cédés par Charly Tavernier à Saint-André d’Embrun, sur l’autre rive de la Durance. Leur conduite est à l’avenant, avec un travail raisonné des sols, le choix de la taille guyot, inédite dans la région, et un désherbage sous le rang effectué manuellement, entre autres pratiques. Vendangés très tôt le matin, acheminés ainsi vers la cave dans le meilleur état sanitaire possible, les raisins sons triés drastiquement pour ensuite être vinifiés suivant des méthodes bourguignonnes. L’usage du fût est donc de règle, plus particulièrement pour la fermentation des blancs, s’agissant de pièces déjà avinées et provenant logiquement de Bourgogne. Ces contenants participent au style qu’il souhaite imprimer à ces vins et dont l’élégance est le maître-mot.  

Côté cépages, il perpétue ses acquis, ceux d’une parcelle témoin de la viticulture traditionnelle à l’Embrunais, où l’on compte une vingtaine de variétés. Son produit alimente partiellement « Altitude 880 », une cuvée dont l’essentiel est néanmoins constitué de gamay et de mollard. Bien que le vigneron avoue ne pas apprécier le mollard outre mesure, il lui consacre tout de même une cuvée sous le nom « d’Enclos de la Pinée », dans laquelle une touche de cabernet franc apporte un supplément d’étoffe, de manière à satisfaire le goût de son auteur. Composant l’encépagement récent du domaine, ce cabernet rejoint ainsi le gamay et la syrah, celle-ci rarissime pour ne pas dire unique à cette altitude, soit à environ 900 m. En effet, en prenant pour référence une syrah de montagne qu’il affectionne particulièrement, celle réputée du Valais suisse, Emmanuel en a donc planté une vigne avec des ceps du meilleur pedigree, provenant d’une sélection massale*. Joliment baptisé « Entre lac et montagne » et convaincant à plus d’un titre dès son millésime inaugural, le vin qui en est issu a brillamment relevé le défi involontaire d’être la syrah la plus en altitude du vignoble français.  

Mes vins préférés :

Boisé avec un rare doigté, Le Roc confond par ses qualités, donnant du chardonnay une expression dans toute sa brillance et sa succulence, à peine mâtinée de chasan et de pinot gris, honnêtement insoupçonnables. Modelée de fraîcheur, la matière y ondoie avec élégance sur un équilibre rêvé.

En rouge, avec l’Enclos de la Pinée le mollard possède l’écrin le plus seyant à sublimer son croquant et à acquérir de la tenue grâce à un accompagnement judicieux de cabernet franc.

La composition foisonnante d’Altitude 880 semble toutefois identifier une action prépondérante du gamay et du mollard, tous deux à l’unisson pour imprimer de leur vitalité une texture rendue dès lors pulpeuse. Ainsi, les saveurs y chatoient tandis que la structure se mâche sans déplaisir.     

D’un intitulé aussi poétique que toponymique, Entre lac et montagnes est donc fait de toutes jeunes syrahs, dont il rend la quintessence à travers un parfum de violette et un goût unique et délicieux de fruits rouges. Servi par un boisé raffiné, il se déploie suivant un profil élancé, piqueté de tanins délicats.  

Les Terrasses, Le Petit Puy, 05200 Embrun

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Domaine du Petit Août

Son vigneron, Yann de Agostini, a complété la formation nécessaire à son métier par de riches expériences qui l’ont conduit notamment à Saint-Emilion, en Australie et à Châteauneuf-du-Pape, avant qu’il ne regagne sa région d’origine en travaillant à la coopérative locale et enfin au Domaine Allemand, alors propriété de référence du vignoble haut-alpin. En 2009, il fonde son propre domaine en le basant à Théüs, une localité du Gapençais, en l’agrandissant à mesure pour atteindre aujourd’hui un peu plus de 6 ha, avec des vignes étagées entre 600 et 700 m d’altitude, morcelées en plus de vingt parcelles. Yann est véritablement le chantre du mollard, auquel il ne dédie pas moins de quatre cuvées à travers lesquelles il démontre la plasticité d’un cépage qui, entre ses mains, peut tout autant engendrer un vin croquant qu’une cuvée de haute expression. Pour cela, il dispose de vieilles vignes d’une quarantaine d’années, acquises opportunément auprès du domaine précité, précurseur dans la cause du mollard. Reprenant son flambeau avec conviction, le vigneron n’a eu de cesse de compléter cette source précieuse par des plantations successives (2010, 2015 et 2017) dont les fruits servent des cuvées bien trouvées.

Cette fidélité à un cépage autochtone riche de ses particularités, il l’accorde également à une autre variété haute-alpine appelée espanenc ou plant droit, très présente dans le vignoble d’avant le phylloxéra et quasiment disparue de nos jours. Une plantation relativement récente (2014) le remet ainsi à l’honneur, tout comme le vin qui en est intégralement issu. Son engagement pour le maintien d’un patrimoine viticole haut-alpin vaut moins pour les cépages blancs qu’il exploite, l’encépagement ancestral dans la couleur n’étant pas aussi pertinent. Il donne cependant une place de choix à la clairette blanche, bien acclimatée à son endroit, et perpétue l’usage des muscats, traditionnels à la région. Cela dit, l’introduction dans ses vignes de cépages rhodaniens dément le passéisme que d’aucuns pourraient voir dans son approche viticole. Marsanne et roussanne sont alors associées à de la clairette pour composer des blancs stylés et remarquablement accomplis.    

C’est d’une main sûre, avec des résultats à l’avenant, que Yann n’élabore pas moins de 12 cuvées, chacune reflétant une interprétation conceptuelle autour d’un cépage majeur, qu’il en soit l’unique composant ou l’élément prépondérant d’un assemblage. Particulièrement privilégié, le mollard se voit ainsi dédié 4 cuvées conçues moins dans un esprit de hiérarchie que dans celui d’un style ou d’une vocation. Ainsi, porteur d’un intitulé original, volontiers métaphorique, comme d’ailleurs l’ensemble des vins, « La Mémoire Neuve » se découvre comme un mollard convivial, tandis qu’à l’extrémité de la gamme « Tout Compte, Tout Compte Fait » en apparaît comme une quintessence plutôt qu’une expression ostensiblement ambitieuse. La clairette blanche, autre cépage choyé par le vigneron répond encore plus subtilement à ce schéma. En effet, à partir de « La Ritournelle », le crescendo qualitatif ressenti sur les autres cuvées est plutôt perçu à travers l’adjonction de roussanne pour l’une, complétée de marsanne pour l’autre. L’intérêt que notre vigneron porte aux blancs fait que la roussanne a droit à une même considération, et toute seule à un « grand » vin, s’agissant de la cuvée « Zuma », éblouissant révélateur de son potentiel sur un sol d’éboulis calcaires sur des argiles.       

Mes vins préférés :

Ils sont nombreux, l’entière gamme mériterait d’ailleurs d’être citée … La clairette est l’heureux fil conducteur des blancs, se livrant en totalité dans La Ritournelle, un vin animé d’une sève tonique et doté d’une appréciable fraîcheur de constitution inhérente à la personnalité du cépage. Marié à de la roussanne, ce même cépage joue en faveur du caractère ample et suave de la cuvée Sur le Fil, doublé d’une persistance remarquable. Il compose encore Le Poids du Superflu à parité avec de la marsanne et de la roussanne, au bénéfice d’une expression où la fraîcheur se fait fastueuse, la texture délicate et le goût somptueux.

En rouge, le mollard est l’unique constituant de plusieurs cuvées avec La Mémoire Neuve pour sémaphore de la lignée, un vin privilégiant le croquant du fruit, souple et d’un accès immédiat. Dans Mille Façons le mollard gagne sur tous les registres au bénéfice d’un vin étoffé, pétri de qualités et au final succulent. En cela, il doit à un mode d’élaboration bien individualisé, effectué à même le fût. Les plus vieilles vignes du cépage engendrent Tout compte, tout compte fait, intégralement modelé et pénétré de fraîcheur, la nature du fruit gagnant de l’acuité et de l’éclat sous l’effet de cette dynamique. Son caractère structuré en fait un vin complet, sans compromis, mais ne titrant paradoxalement que 11 % vol. !     

Z.A. Les Graves, La Plaine de Théüs, 05190 Théüs

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Domaine Les Raisins Suspendus

L’itinéraire singulier d’Angela Weidner et de Maxime Aerts incarne parfaitement la reconquête des anciens territoires viticoles de l’Embrunais. Si des études de commerce ont fait croiser leurs chemins, c’est l’appel de la terre qui les a réunis et scellé leur destin. Le Canada fut alors le cadre de leurs premières expériences au contact de la nature vivrière, touchant à différents métiers dans son environnement, cependant que germait un intérêt résolu pour le vin. Ils se forment ainsi à son métier, Maxime en s’initiant à toutes ses facettes, Angela à ses fondements agronomiques. Forts de leur savoir respectif, ils s’établissent dans la vallée du Rhône avec pour lieu d’ancrage un petit vignoble situé dans le nord du Gard, où ils élaborent leurs premiers vins. Nous sommes alors en 2018. Cependant, leur attrait pour la montagne se concrétise deux ans plus tard, lorsqu’ils se décident à exploiter un vignoble dans une région connue de Maxime, où tout était à refaire, en l’occurrence le pays d’Embrun. A l’instar de leurs confrères conquis par le défi d’y faire revivre la vigne de manière significative, ils commencent par acquérir des vignes plantées par leur prédécesseur, soit une partie du legs de Charles-Henri Tavernier, le pionnier sur ce terrain. D’un autre côté, ils reprennent des parcelles à l’abandon, témoins de la viticulture telle qu’elle était pratiquée dans cette partie des Hautes-Alpes. De ce creuset unique, foisonnant de cépages plantées au fil du temps, nos vignerons décident d’un tirer un vin d’une essence tout aussi rare, joliment baptisé « Embrun des Cimes ».

L’ensemble des vignes qui concoure actuellement à la production du domaine est modeste, et ne représente à peine que 1,5 ha. Il sera complété à terme par les fruits d’un plantier qui porte enfin leur empreinte, constitué de cépages déjà usités dans les Hautes-Alpes, ainsi les mollard, gamay, cinsault et roussanne, et certains inédits, venus d’autres horizons montagnards, comme la rare mondeuse blanche, le persan, non moins confidentiel, et la petite arvine, qui prospère dans le Valais suisse. Ainsi, 1,3 ha et ses 7300 pieds de vigne forment la toute fraîche plantation (en 2022) des Raisins Suspendus et le fondement de ses futurs vins, dont il est loisible d’augurer l’originalité.

Outre le fait de conduire leurs vignes en agriculture biologique, Angela et Maxime sont des adeptes des vins qualifiés de « natures », obtenus sans recours à aucun additif, et notamment de composés soufrés. Ainsi leur blanc – « L’Ubac » – subit-t-il sa seconde fermentation spontanément et, de ce fait, ne présente aucun penchant exubérant. Une élaboration en jarre de grès préserve toute sa transparence, faisant un vin cristallin où l’on ne soupçonne aucunement une composition des plus singulières, faite surtout de chardonnay, d’une pointe de muscat et d’une part importante (40 %) de tous les cépages blancs glanés dans les vieilles parcelles. L’année 2021 a engendré un vin sur ce type de profil, léger et désaltérant. Réunissant l’ensemble des vieilles vignes et la pléthore de cépages qu’elles comportent, « Embrun des Cimes » apparaît comme un rouge vif et tranchant, un « vin de montagne » comme on pourrait l’imaginer. Par comparaison, « L’Adret », l’autre cuvée de rouge, s’avère moins déconcertant, déjà par ses composants, essentiellement du merlot et une touche de cabernet sauvignon. Un élevage en fûts à peine anciens ajoute à sa différence et concoure au charme tactile d’une expression autrement inattendue, douée d’un fruit nerveux, celui d’un merlot cultivé en altitude, et d’une finesse notable, conséquence des faibles rendements inhérents à la conduite des vignes.  

Mes vins préférés :

Pour une question pratique, les vins précités n’ont pas pu être évalués dans les mêmes circonstances que leurs homologues haut-alpins. De ce fait, ils bénéficient d’une approbation de principe dans ce cadre sélectif, où j’insisterai cependant sur L’Adret, à mon sens l’expression la plus aboutie du domaine.

Lieu-dit Les Vabres, 05200 Saint-Sauveur

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Domaine Saint-André

Philippe Bilocq, son vigneron, exerce également comme arboriculteur, son domaine rassemblant vignes et arbres fruitiers sur la commune de La Saulce, située tout au sud du Gapençais. Il le créé en 1993 sur un secteur où la culture de la vigne avait été abandonnée. Sa première parcelle acquise, d’à peine 50 ares, était d’ailleurs dans cette situation, vestige d’un passé viticole notoire et même réputé, puisque la renommée des vins blancs de La Saulce était déjà établie au début du 19ème siècle, ainsi qu’en atteste une véritable somme sur les vignobles du monde3 datant de 1816, qui précise même que la clarette du lieu était autant considérée que la Clairette de Die. Avec les critères d’aujourd’hui, il faut dire que l’endroit cumule bien des atouts, avec un large périmètre d’ensoleillement permis par un relief au piémont de la Mont de Céüse, des sols de nature argilo-calcaires et un cycle végétatif qui tire parti du régime haut-alpin, puisqu’en dépit des apparences, nous sommes ici à plus de 600 m d’altitude.

Philippe commence sa carrière de vigneron en qualité d’adhérent à la coopérative de Valserres, la Cave des Hautes Vignes. Il le restera jusqu’en 2014, car avec l’agrandissement progressif de son vignoble, il multiplie d’autant son encépagement, rendant sa situation incompatible dans un cadre coopératif. Par ailleurs, en prenant pour modèle le vignoble alsacien, il élabore pratiquement autant de vins que de variétés cultivées, soit 8 cuvées, le tout sur à peine plus de 3 ha. Les principaux cépages du vignoble français y sont représentés, pour ainsi dire. On y trouve même quelques plants de mourvèdre, sa rareté faisant que son produit ne donne pas lieu à une cuvée, mais sert à tempérer celle de merlot, qui a ici une propension à la générosité. Le mollard est absent du vignoble, notre vigneron avouant avoir été déçu par les vins qu’il donnait à l’époque de la constitution de son vignoble.

Pionnier du bio dans la région, il choisit cette alternative à l’agriculture conventionnelle dès ses débuts., et sert cette discipline culturale par une conduite des vignes en petits rendements, la pratique d’un enherbement raisonné par un semis de trèfle blanc et un travail du sol au cheval. L’approche consciencieuse de ses deux métiers s’étend au mode de distribution de ses produits, s’agissant exclusivement de vente directe, notamment sur des marchés.

Apprécié à travers trois cuvées, le style des vins est celui d’expressions s’identifiant peu ou prou à leur cépage respectif, à ceci près qu’ils sont cultivés dans le contexte particulier des Hautes-Alpes, dans un secteur où ils mûrissent généreusement. Vinifiés avec adresse et élevés sans recourir au fût de chêne, ils rendent ainsi des expressions à part entière des essences à leur origine. En l’occurrence, si le chardonnay apparaît éloigné des archétypes qu’on lui connaît, il n’en est fait pas moins un vin honorable, plus en matière qu’en fraîcheur, du moins sur le millésime évalué. On pourrait étendre cette remarque au merlot, qui prend ici une dimension fruitée séduisante qu’on lui connait peu. Le plus identifiable d’entre eux est le cabernet sauvignon, remarquablement proche de ses caractères variétaux, au point d’évoquer sa terre de prédilection, la région de Bordeaux. Dans leur ensemble, ils ne manquent ni de fond ni de caractère savoureux.        

Mes vins préférés (millésime 2020) :

D’un profil plutôt plantureux, le Chardonnay a cependant évolué vers un registre attrayant de flaveurs originales évoquant des fruits secs et des plantes aromatiques.

En rouge, c’est le Cabernet qui m’a retenu par son petit air bordelais comme un croquis fidèle aux traits du cabernet sauvignon sous leur meilleur jour, dans une version aimable et savoureuse. Avec un caractère plus généreux et d’un naturel attachant, le Merlot joue résolument la carte de la gourmandise avec de surcroît un côté croquant.   

Chemin de Gandières, 05110 La Saulce

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Domaine de Tresbaudon

Audacieux et entreprenant, Olivier Ricard a converti en domaine viticole l’exploitation familiale qui était vouée à l’arboriculture fruitière. C’est en 1996 que cette mutation a lieu avec pour premier cadre la dizaine d’hectares entourant demeure et bâtiments d’une propriété toute proche du cours de la Durance, dans la commune de Tallard. Nous sommes ici sur le secteur le moins élevé du vignoble haut-alpin, à tout de même 600 m d’altitude. La proximité de la rivière explique les sols de nature alluviale, pierreux et par endroits schisteux. Par la suite, la superficie du domaine s’accroît par l’acquisition de terres à quelques encablures de son site principal. Là-aussi, un vignoble est créé ex-nihilo sur un sol similaire. Enfin, sur un secteur plus éloigné, dans la commune de Châteauvieux, un troisième pôle également dépourvu de vignes voit le jour. Constitué de terrasses riches en argiles, il se trouve à 750 m d’altitude, au point le plus élevé du Gapençais viticole. Cet acquis s’ajoute ainsi à un ensemble totalisant 35 ha, faisant de Tresbaudon le domaine indépendant le plus important des Hautes-Alpes.

Le métier de vigneron, Olivier en acquiert les notions essentielles dès sa scolarité puis l’expérimente auprès de domaines du sud de la vallée du Rhône, dont certains renommés, ainsi celui de La Soumade, l’une des références en cru Rasteau. Formé dans une région où la maturité des raisins est superlative, il a pour ainsi dire transposé ce « modèle » dans son propre vignoble, pourtant bien plus septentrional ! Partisan de la surmaturité, il a relevé ce défi avec brio en démontrant que des cépages choisis avec discernement parviennent sans mal à ce stade pour engendrer des vins d’un style généreux sans déséquilibre ni caractère capiteux, avant tout gorgés de fruit. Pour satisfaire cette approche, notre vigneron a fait preuve d’éclectisme en s’appuyant en premier lieu sur des variétés aujourd’hui bien ancrées les Hautes-Alpes, comme le merlot, la syrah, le muscat petits grains et le chardonnay. Pour le reste, il emploie des essences plus marginales, ainsi le cabernet sauvignon, le rolle (ou vermentinu) et le viognier, ce dernier introduit par ses soins dans le vignoble haut-alpin. Cet encépagement exclue le mollard, son seuil de maturité ne satisfaisant pas l’attente du vigneron concernant le style qu’il imprime à ses rouges.

Non content des singularités dont il a pourvu son domaine, Olivier a élaboré une gamme de vins qui n’est pas moins originale. Ainsi, que leur composant figure ou non l’étiquette, une majorité de cuvées sont issues d’un unique cépage. On peut de la sorte apprécier l’interprétation d’une variété à travers son savoir-faire. Cette lecture est particulièrement parlante pour les blancs, tous en mono-cépage, tandis que la gamme en rouge est conçue différemment, suivant un crescendo vers l’ambition. Cette orientation pour les rouges n’exclue pas pour autant le parti d’un seul cépage dans certaines cuvées, et notamment le fleuron de sa production, entièrement façonné à partir de cabernet sauvignon.  

Élaborés avec des raisins extrêmement mûrs, surtout en rouge, les vins détonnent dans le cadre des Hautes-Alpes par des expressions au caractère luxuriant qui frise parfois l’opulence, mais dont l’équilibre n’est jamais pris en défaut. Chaque cuvée de rouge reproduit ce profil ramené à son statut et qui évolue graduellement vers une forme de perfection, incarnée par celle couronnant la gamme, baptisée logiquement « Cuvée Or ». Dans ces conditions de maturité, le fruit gagne des tonalités particulières et plutôt inattendues qui s’apparentent aux effets du réglisse, à la fois douces et vigoureuses, une expression récurrente dans tous les rouges axés sur le merlot. En blanc, seul le chardonnay représente le parti de la richesse, ce qui lui confère un semblant de douceur, peu équivoque sur sa nature de vin sec, car il garde de l’élégance et de la tenue. Cela dit, dans les blancs issus respectivement de viognier et de muscat, le critère de maturité est moins poussé et ménage de ce fait un espace de fraîcheur permettant d’identifier et d’apprécier chaque cépage sous son meilleur jour.    

Mes vins préférés :

D’une plaisante expressivité que double une grande franchise aromatique, Le Viognier et Le Muscat de Tonin s’avèrent ainsi au plus proche des arômes identifiant leur cépage respectif. Ils diffèrent cependant dans leur profil, le premier davantage porté sur de la fraîcheur, tandis que le second laisse plutôt parler son parfum inénarrable sauf à dire qu’il est muscaté, et qu’il imprègne sa substance de sa haute teneur.

En rouge, le générique du domaine, désigné par son éponyme, en donne plus pour sa catégorie dans un style puissant qui préfigure celui des autres cuvées. Gorgé de matière et de fruit, le 2019 reste souple et frais sur un goût énergique comme celui du réglisse.

Vin de pur merlot, M de Manon 2020 lui succède dans la gamme en faisant valoir davantage d’ampleur et de « glissant » avec en opposition l’agrément d’un registre surmûri et une structure admirable tout en dentelles.

En conjuguant fougue et générosité, L’Exception de Lou 2019 semble concilier les vertus de ses cadets, des caractères superbement exaltées dans un corps harmonieux en forme et en texture, couronné de tanins au toucher velouté.

En rupture stylistique avec cette lignée, la Cuvée Or 2017 est une signature ambitieuse pour une expression superlative qui suscite émotion et admiration aux palais initiés aux grands vins du Médoc. En effet, un élevage « luxueux » et le cabernet sauvignon comme unique source, en sont une réminiscence d’autant plus irrésistible que sa réalisation est magistrale.  

Route de Tresbaudon, 05130 Tallard

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1 > Sur le cadastre de 1869 de la commune de St Martin de Queyrières, 94 bâtis assimilables à des caves ont été répertoriées par l’association La Vignetto, la plupart d’entre elles possédaient un pressoir. On estime que 14 ha étaient exploités en vignes à des altitudes allant de 1050 à 1350 m.

2 > la sélection massale est une méthode de renouvellement des plants de vignes à partir d’un matériel végétal sélectionné parmi des vignes âgées saines, elles-mêmes issues de greffes perpétuelles et non d’une reproduction par clonage. Le plant ainsi obtenu est porteur de la diversité génétique de son ascendance.   

3 > Source : « Topographie de tous les vignobles connus, suivie d’une classification générale des vins » par A. Jullien. Paris 1816     


Crédit image : Aline Colombe (illustration principale)

Crédit photos : Patrick Domeyne

L’auteur de l’article

Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».

Commentaire (1)

  • Jung Michèle

    Article remarquablement documenté, que ce soit du point de vue de la géographie, de la sociologie et de l’œnologie bien entendu.

    C’est une information magistrale sur les productions des vignerons des Hautes Alpes,
    il nous reste à goûter ces vins dont les raisins ont été nourris sur les chemins des sommets.personnellement, je n’aurais pas pu l’imaginer.

    Merci, M’

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