Cognac et Armagnac : si proches, si loin
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Cognac et Armagnac : si proches, si loin

Cognac et armagnac sont deux eaux-de-vie de vin, voisines, AOC, et classées en fonction de leur âge. Pourtant, Cognac et Armagnac ont chacun des caractéristiques – et des personnalités – bien distinctes.

Cépages

L’ugni blanc est de loin le cépage le plus répandu dans l’une et l’autre régions. Robuste, il produit des vins assez acides, peu alcoolisés et doit sa position actuelle à la finesse des eaux-de-vie qui en sont issues. En Armagnac, la folle blanche, jadis la plus plantée, figure à ses côtés, ainsi que le colombard. Parmi les autres cépages autorisés, seul le baco 22A (hybride de folle blanche et de noah) est réellement utilisé.

Le Cognac, lui, peut faire appel à d’autres variétés, mais s’il porte mention d’un cru spécifique (Grande Champagne, etc) il doit utiliser au moins 90% d’ugni blanc, folle blanche et colombard. À côté de cela, on peut utiliser jusqu’à 10% de folignan, jurançon blanc, meslier saint-françois (ou blanc ramé), sélect, montils ou sémillon. Ces proportions sont plus libres si le Cognac ne porte pas le nom d’un cru.

Crus

Pour le Cognac, une loi de 1938 a officialisé l’existence de six crus différents qui sont le reflet des différents sols et méso-climats. Ce vaste ensemble couvrant 80 000 hectares est organisé en cercles concentriques, chacun correspondant à une sous-région, appelée « cru ». Au centre, la Grande Champagne, puis la Petite Champagne qui l’enserre du Sud-Est au Sud-Ouest. Ces deux crus aux sols calcaires sont réputés pour la finesse et la longévité de leurs eaux-de-vie. Egalement très recherchées, celles des Borderies, petite enclave aux sols de silex et d’argile qui prolonge la Petite Champagne au Nord-Ouest : fines, douces et d’évolution plus rapide. Puis ce sont successivement Fins Bois, aux eaux-de-vie moins complexes mais parfumées et souples et Bons Bois, plus rustiques. Bois ordinaires, le plus périphérique et le plus maritime des crus, fournit la plupart des eaux-de-vie qui entrent dans la composition du Pineau des Charentes. Si la totalité des eaux-de-vie sont issues du même cru, l’étiquette peut le mentionner. La mention Fine Champagne indique un assemblage d’eaux-de-vie provenant de Grande et de Petite Champagne.

Le vignoble de l’Armagnac, lui, s’étend sur 12 000 hectares. Il est découpé en trois ensembles : le Bas-Armagnac à l’Ouest, qui fournit les eaux-de-vie les plus délicates et réputées, l’Armagnac-Ténarèze au centre avec des alcools corsés et de longue garde, et le Haut-Armagnac à l’Est et au Sud dont les raisins sont surtout destinés à produire des vins sous la dénomination « Vin de pays de Gascogne ».

Distillation

Le processus de la distillation vise à séparer les constituants d’un corps par évaporation. Cette technique millénaire a été progressivement perfectionnée par les Grecs, puis par les médecins et alchimistes arabes entre les VIII ème et XI ème siècles, pour la production de parfums. N’oublions pas que les mots « alcool » et « alambic » sont tous deux d’origine arabe. Introduite en Occident au Moyen-Âge, la distillation est appliquée au vin par des médecins et apothicaires pour produire l’aqua ardens (eau ardente) qui « prolonge la vie » selon le Catalan Arnaud de Villeneuve (XIII ème siècle). Au fil des siècles, les techniques s’affinent et des spécialisations régionales émergent.

À la base, le procédé de la distillation du vin est simple : séparer l’alcool de l’eau et des impuretés en jouant sur leurs différences de volatilité. Une fois chauffé, l’alcool s’évapore à une température inférieure à celle de l’eau. Dans le cas des eaux-de-vie, il ne s’agit pas de pousser le procédé à son terme et d’obtenir un alcool pur, mais de doser la distillation de manière à conserver une partie des « impuretés », dont certains constituants aromatiques, qui donneront au produit fini toute sa personnalité. De là découle la diversité des techniques et des alambics utilisés dans les différentes régions de production : à Cognac, on procède à une double distillation (le premier distillat obtenu est à nouveau distillé) à l’issue de laquelle on obtient une eau-de-vie limpide titrant autour de 70 % d’alcool ; alors que dans l’Armagnac, le processus est continu, et donne une eau-de-vie entre 52 et 60% d’alcool.

L’Armagnac blanc, c’est possible, le Cognac blanc, non !

Jusqu’à récemment, une eau-de-vie qui sortait incolore de l’alambic ne pouvait porter ni l’appellation Cognac ni celle d’Armagnac. La coloration de ces deux produits venant d’un vieillissement sous bois pendant un certain nombre d’années, les Cognaçais continuent à défendre une identité « traditionnelle » de leur eau-de-vie. Mais la mode des alcools blancs a encouragé les Armagnacais à modifier leur réglementation afin de créer aussi une appellation « Armagnac blanc » dont les parfums sont légers, floraux et fruités, proches du raisin.

Vieillissement et assemblage

Le secret des grandes eaux-de-vie réside essentiellement dans le vieillissement et l’assemblage. Logées en fût de chêne, les eaux-de-vie vont lentement se transformer, partiellement s’évaporer, de l’ordre de 2% à 3% par an en fonction de l’humidité du chai, c’est la « part des Anges », et perdre chaque année jusqu’à 1 degré d’alcool dans la première décennie de vieillissement. Elles acquièrent en même temps, par l’oxydation et les échanges avec le bois, des arômes qui se complexifient progressivement et une couleur qui évolue de l’or pâle au brun foncé. Une fois la maturité recherchée atteinte, on transfère les eaux-de-vie dans des bonbonnes en verre, les dames-jeannes, contenants inertes où elles attendront patiemment, et à l’abri de l’air, leur mise en bouteille. A Cognac, les plus vénérables ont droit au Paradis, un chai spécifique.  A l’exception des plus âgées, les eaux-de-vie sont coupées par l’apport très progressif d’une eau distillée qui « dilue» l’alcool pour l’amener au degré désiré (souvent autour de 40%). La loi autorise des ajustements : le caramel pour assombrir et standardiser la couleur et le sucre pour arrondir légèrement l’eau-de-vie. Une autre pratique, critiquée mais légale, consiste à ajouter des copeaux de chêne pour renforcer les tanins et le goût de « bois » et accélérer artificiellement le vieillissement.

Les maîtres de cave ont généralement à leur disposition un vaste choix de fûts, de millésimes et de crus différents, qu’ils peuvent assembler à volonté selon le style recherché. Il est évident que les grandes maisons disposent d’une plus vaste palette pour ce travail que les petites. Ces dernières, par conséquent, vont mettre davantage l’accent sur un goût spécifique lié à leur approvisionnement local ; un « effet terroir » si on veut.

Les mentions

Les mentions d’âge sont un repaire essentiel dans le choix et la qualité des eaux-de-vie, mais elles sont pour le moins déroutantes. Se mêlent des termes français, Hors d’Âge, Vieille Réserve, et des termes ou abréviations anglaises (VS pour Very Special, VSOP…) qui s’expliquent par la prééminence historique du marché britannique pour les cognacs. Au début du XX ème siècle se sont imposés en Angleterre quelques standards (1, 2 ou 3 étoiles, VO, VSOP, Extra…) au milieu de dizaines d’autres dénominations plus ou moins fantaisistes créées par des négociants qui cherchaient à tout prix la nouveauté dans un contexte commercial difficile. Elles se sont imposées à l’usage et ont très probablement inspiré les autres grandes régions de production d’eau-de-vie, dont l’Armagnac et le Calvados, avec des adaptations régionales qui font que si la terminologie est identique les mesures de temps peuvent varier.

Les dénominations à Cognac

Pas simple de comprendre quel âge a un Cognac ! En fait, les différentes catégories sont définies par la durée de l’élevage sous bois de la plus jeune eau-de-vie présente dans l’assemblage. Ainsi les mentions Very Special (V.S.) ou 3 étoiles (***) correspondent au cognac dont l’eau-de-vie la plus jeune a au moins deux ans, les Very Superior Old Pale (V.S.O.P.) indiquent un vieillissement minimal de 4 ans, les X.O., Napoléon ou Hors d’âge correspondent à un vieillissement minimal de 6 ans. Outre le fait que ces minima légaux sont souvent dépassés, sans plus de précision, il existe des dizaines d’autres dénominations autorisées, au nom plus ou moins évocateur : l’Ancêtre, le Vénérable, etc.

L’Armagnac devient plus « lisible »

Napoléon, Réserve, VSOP, XO, vieux, très vieux, encore plus vieux… Les études le montraient, personne ne comprend plus rien aux diverses appellations qui ont cours en Armagnac ! L’interprofession en a pris conscience et a réalisé un travail salutaire de simplification en 2009 qui portera ses fruits dans les années à venir. Le compte d’âge fonctionne comme à Cognac, en prenant en compte la durée de vieillissement sous bois de la plus jeune eau-de-vie présente dans l’assemblage. Quant aux Millésimes, spécialité Armagnaçaise, ils indiquent que les eaux-de-vie sont issues de raisins d’une seule et identique année de récolte.

La naissance du Cognac

Des eaux-de-vie de vin, il s’en produit dans presque tous les vignobles du monde. Mais aucune n’a connu le destin extraordinaire de celle née en Charente il y a plus de 300 ans.

Du sel au vin

Avant de devenir capitale d’un des plus célèbres spiritueux au monde, la ville fut une garnison romaine, une forteresse médiévale, un centre religieux et surtout un lieu de passage qui, très tôt, attira les marchands venus de loin. Au XII ème siècle, ce n’est pas encore pour son eau-de-vie que l’on y vient, mais pour son sel. Marchands flamands, scandinaves et allemands se croisent à Cognac et dans les ports de l’Aunis pour rapatrier l’or blanc. En 1152, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II d’Angleterre fait du Poitou une province britannique. La région se découvre une nouvelle vocation, le vin, qui fera la fortune de La Rochelle. En quelques décennies, elle devient le cellier de l’Angleterre, devançant même Bordeaux, et se couvre de vignes jusque dans l’arrière-pays. Autour de Cognac, on arrache les forêts et on plante partout où la terre est disponible, sur les collines crayeuses près de Châteauneuf et au-dessus de la vallée de la Charente. En 1224, les vins blancs de « Ritsel » (La Rochelle), nommés d’après leur port d’expédition, ont ainsi acquis une notoriété suffisante pour survivre au retrait anglais. De 1337 à 1453, les ravages de la guerre de Cent ans n’y changeront rien non plus : on continue d’en expédier de grandes quantités en Flandre, dans la Hanse, et de plus en plus à l’intérieur du royaume.

Un bon désinfectant

Libérés du joug espagnol en 1579, les Hollandais deviennent maîtres des mers et du commerce international pour plus d’un siècle. Ils achètent, vendent et exportent à grande échelle grâce à une flotte qui comptera jusqu’à 15 000 navires. Au cours des longues traversées, l’eau-de-vie, plus résistante que le vin et capable de désinfecter l’eau croupie, s’impose comme la boisson quotidienne des matelots, avant de s’étendre aux ports puis aux villes d’Europe du Nord. Connue dès le Moyen-Âge pour ses vertus thérapeutiques (« l’eau de vie » porte bien son nom), elle devient ainsi au XVII ème siècle une boisson populaire.

En dehors de sa capacité à se conserver, elle présente d’autres avantages, que les Hollandais vont exploiter. Les vins réduits par « brûlage » à leur port de départ en Hollande sont ensuite reconstitués, c’est-à-dire allongés d’eau, sur leur lieu d’arrivée, permettant d’abaisser considérablement les coûts de transport. Mais il y a encore mieux à faire : distiller directement en France. Les hollandais s’épargnent ainsi une première traversée inutile et font de substantielles économies sur les taxes car les eaux-de-vie sont imposées comme les vins : par volume et non pas par degré d’alcool. Les distilleries se déplacent donc des Pays-Bas vers les régions de production viticole. Autour de Cognac, les marchands hollandais installent leurs alambics le long de la Charente, alimentés par le bois abondant des futaies locales, et produisent ce brandewijn, « vin brûlé » ou brandy, ancêtre du cognac. Tout en continuant à élaborer de bons vins doux dans la région des Borderies, les vignerons locaux s’adaptent à cette nouvelle demande étrangère en fournissant des vins courants, issus de cépages nouveaux, comme la folle blanche. Ils vont aussi, au contact des Hollandais, s’approprier les techniques de la distillation à partir des alambics importés des Pays-Bas, puis plus tard fabriqués sur place.

Inspiré par le diable

Dans les premiers temps, ce brandewijn n’est qu’une boisson parmi d’autres, pas supérieure aux eaux-de-vie produites à Bordeaux, dans le Sud-Ouest, dans le Languedoc ou en Espagne. Mais, dès les années 1660, il se distingue de ses concurrents : apparaissent alors en Angleterre les premières mentions d’origine, « eau de Cogniack » ou « coniack brandy », qui commencent à se vendre sensiblement plus cher. Les riches Anglais de la Restauration s’en entichent, comme ils raffolent des nouveaux bordeaux et autres grands vins de Porto et de Xérès.

Pourquoi les eaux-de-vie de Cognac rencontrent-elles plus de succès que les autres ? Sans doute grâce à une innovation importante : le recours à la double distillation. Une légende locale et tenace en donne une belle version : le très pieux Chevalier de la Croix Maron, Seigneur de Segonzac, fit le rêve que Satan tentait de damner son âme. Il se vit en songe dans le chaudron du Malin, mais sa foi était si profondément ancrée en lui que son âme résista à une première cuisson. Le Malin, pour arriver à ses fins, fut obligé de la soumettre à une deuxième cuisson. À son réveil, le Chevalier eut alors l’idée d’extraire l’âme de l’eau-de-vie avec une deuxième distillation.

Plus prosaïquement, ce n’est sans doute pas le Diable mais la qualité des vins de Cognac qui permet de limiter à deux le nombre de distillations nécessaires pour obtenir un résultat d’une qualité satisfaisante. Partout ailleurs, pour produire une eau-de-vie correcte, il faut souvent repasser l’alcool plusieurs fois dans l’alambic, au risque de perdre les qualités intrinsèques des matières premières. Cette double distillation, qui deviendra la marque de fabrique du cognac, permet, elle, de conserver la saveur et la fraîcheur du fruit grâce à une heureuse alchimie entre cépages, climat et techniques de distillation.

Et le cognac fut

Il manque encore une pierre à l’édifice, celle du vieillissement, car l’eau-de-vie qui sort de l’alambic est un alcool clair qui n’a pas les mérites des eaux longuement vieillies en fûts. La découverte de l’importance du facteur temps est sans doute due à une succession de hasards qui ont dû se répéter en divers lieux et moments. On s’aperçoit alors que les eaux-de-vie, logées en fûts, parfois mises de côté en prévision d’années difficiles, simplement oubliées ou stockées dans des soutes au cours de longues traversées, se bonifient en vieillissant, devenant à la fois plus foncées, plus complexes et plus suaves. En 1706, la London Gazette signale une première vente « de vieille eau-de-vie de Cognac ». Le cognac naît réellement à ce moment, devenant une boisson à part entière recherchée pour son raffinement, et non un support à des mélanges plus ou moins douteux. L’usage du terme « cognac » atteste d’une origine locale des raisins : les bons crus sont repérés, ce sont les « champagnes » (un mot probablement dérivé de « campagne ») au Sud et au Sud-Est de la ville, et les « bois » au Nord et au Nord-Est.

Vers 1750, le cognac est déjà reconnu comme une eau-de-vie à part. Ce sera ensuite aux maisons d’en peaufiner le caractère par la maîtrise de l’art du vieillissement et celui de l’assemblage. Le grand marché du cognac est alors l’Angleterre et c’est logiquement que les Britanniques prennent la suite des Hollandais : en 1715, Jean Martell quitte Jersey pour fonder à Cognac une maison de négoce. Les Irlandais James Delamain et Richard Hennessy l’imitent en 1759 et 1765. L’Anglais Thomas Hine choisit Jarnac en 1763. Les Charentais sont aussi de la partie : le vigneron Remy Martin se lance en 1724, le baron Otard en 1795. Bien d‘autres suivront au XIX ème siècle, qui voit le développement spectaculaire du marché du cognac. Au XXI ème siècle, ces noms écrivent toujours l’histoire d’une belle réussite.

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