Comment lire l’étiquette d’une bouteille de vin ?
Histoire de l’étiquette
Les premières « étiquettes » consistaient en des inscriptions gravées sur des amphores ou autres vaisseaux ou sur les plaques de bois ou de métal qui leur étaient attachées. C’est ainsi que nous savons qu’un des vins enterrés avec un noble égyptien, il y a 3 500 ans, dans la vallée des Rois, était un « Vin Noir du Mont Liban ». Y étaient indiqués une date et un nom (celui du producteur, de l’importateur, du marchand ?… on ne sait pas) ; ceci en fait la première étiquette connue.
Bien plus tard, quand on commença à commercialiser le vin en tonneaux, et donc avant l’invention de la bouteille industrielle, on marquait parfois les fûts au fer pour identifier leur origine : les portos, les vins de Bandol ou ceux de Rust en Autriche étaient de ceux-là. Au moment du service, ces vins étaient identifiés dans les carafes de service par des plaques suspendues à des chaînes posées autour de chaque carafe.
Mais il a fallu attendre le XVIII ème siècle et l’avènement de la bouteille semi-industrielle pour voir émerger le besoin de poser une étiquette sur ces flacons afin d’en identifier le contenu. Ces étiquettes étaient d’abord très simples, parfois annotées à la main, puis l’invention de la lithographie par Aloys Senefelder en 1796 en Allemagne a permis l’impression en série, y compris avec de la couleur. Après l’Allemagne, les premières étiquettes de ce type en France sont apparues sur les vins de Champagne (souvent très élaborées sur le plan graphique) puis dans les autres régions, à commencer par la Bourgogne et le Bordelais.
Les mentions obligatoires et facultatives
Après une brève histoire de l’étiquette, faisons le point aujourd’hui sur les mentions obligatoires et facultatives qui y figurent.
Mentions obligatoires
Toute étiquette doit faire figurer un certain nombre de mentions obligatoires : le volume, le degré d’alcool, la catégorie du vin (AOP/IGP/VdF), l’embouteilleur, la présence de sulfite et l’avertissement destiné aux femmes enceintes.
La notion de volume est relativement simple à comprendre. Cette mention est commune à tout produit alimentaire. Les formats des bouteilles obéissent, avec quelques exceptions, à des normes européennes. Le degré d’alcool est mentionné en pourcentage du volume. Il faut savoir qu’il y a une « tolérance » de l’ordre de 0,5%, ce qui fait qu’un vin affichant 14% peut atteindre 14,5%.
En tant qu’allergène, l’avertissement de la présence des sulfites est obligatoire depuis 2000. Il faut rappeler que tous les vins en contiennent un peu, car le soufre est naturellement présent dans le raisin ou est produit, en petite quantité, pendant la fermentation, et cela vaut même pour des vins dits « sans soufre ». Il est possible que la liste des ces produits « éventuellement allergènes » s’allonge, car la caséine, l’ovalbumine et le lysozyme, utilisés pour la clarification des vins et la stabilisation anti-microbienne, devront aussi être mentionnés à partir de 2012. Encore un peu d’efforts et une étiquette de vin se résumera à une litanie de composés chimiques aussi mystérieuse que décourageante.
Le nombre de ces mentions étant en hausse permanente, beaucoup de producteurs collent maintenant deux étiquettes sur leur bouteilles, une regroupant toutes les mentions légales, plus éventuellement quelques lignes de description du vin en question, et puis une autre étiquette, sorte de « carte de visite » qui comporte la marque, la cuvée, et éventuellement le millésime et l’appellation.
Mentions facultatives
Aussi surprenant que cela puisse paraître, toutes les autres mentions sont facultatives, même si certaines (mais pas toutes) sont réglementées : marque ou domaine, millésime, cépage, lieu de mise en bouteille, labels, nom de cuvée, type d’élevage (élevé en fût), classement…
Pour vous donner une idée de la complexité des règles qui régissent ces mentions, la règle générale concernant la mention d’un cépage sur une étiquette impose que seulement 85% du volume du vin dans la bouteille soit issu de la variété mentionnée, mais bon nombre d’appellations imposent 100%. Il en va de même du millésime.
D’autres mentions ne sont pas réglementées : le terme « vieilles vignes » par exemple ne dispose d’aucune définition précise. On peut donc nommer « vieilles vignes » un vin issu de vignes âgées de moins de 10 ans. Evidemment, la plupart des vignerons honnêtes considèrent qu’une vigne n’est « vieille » qu’à partir de 30 ou 40 ans.
2 logiques s’affrontent
Pour simplifier un peu les choses, on peut dire qu’aujourd’hui deux logiques s’affrontent dans le monde quant aux différentes manières de donner au consommateur une vague idée du type et du style de vin qui se trouve dans un flacon, derrière l’étiquette qui est un peu la carte de visite d’un vin. Ces deux logiques correspondent, en gros, aux deux groupes de pays producteurs qui sont les pays d’Europe, d’une part, et les pays du « Nouveau Monde », de l’autre. Mais nous allons voir que ces frontières sont d’une part loin d’être étanches et, d’autre part, variables dans le temps car les marchés (c’est-à-dire nous, les consommateurs) ont, bien évidemment, leur mot à dire !
L’Europe produit environ 70% du vin dans le monde aujourd’hui. Le vin étant plus anciennement établi en Europe que dans les pays d’Outre-Atlantique ou de l’hémisphère Sud, les noms qui sont donnés aux vins en Europe remontent souvent à une période relativement ancienne, parfois au Moyen Âge, parfois aux XVII ème ou XVIII ème siècles, c’est-à-dire au moment où on commençait à les exporter largement. Il a existé, bien entendu, un commerce du vin très antérieur, parfois très important, comme sous l’empire romain mais nous ne savons pas précisément à quoi ressemblaient la plupart de ces vins-là alors restons-en à l’ère moderne.
Un vin qui est consommé localement, et d’une manière quotidienne, n’a pas réellement besoin d’être nommé. Il est rouge, rosé ou blanc, sec ou doux, mais il est avant tout vin. Cette affaire de l’origine spécifique d’un vin ne concernait donc, au début, qu’une fraction mineure de la production : les vins d’élite, si on veut, en tout cas les vins capables de voyager et de vieillir.
A cette époque, la science de l’ampélographie (l’identification et le classement des variétés de vignes, ou cépages) n’existait pas. Pour les identifier, on donnait aux vins le nom de la région d’où ils provenaient ou, plus fréquemment, celui de la ville d’où ils étaient expédiés comme Beaune, Bordeaux ou Orléans, par exemple. Progressivement, cette habitude s’est renforcée et, le temps aidant, on en est venu à associer un style (ou des styles) à chacun de ces vins. Ainsi un vin de Bordeaux n’avait pas le même goût qu’un vin de Bourgogne, par exemple.
L’identification des cépages qui produisaient ces vins était généralement sporadique, locale et pas toujours d’une parfaite fiabilité sur le plan botanique. On peut dire, en simplifiant un peu, que ce n’est qu’après le phylloxera, donc à la fin du XIX ème et au début du XX ème siècles, que ce sujet est devenu essentiel, au fur et à mesure que la nécessité s’est fait sentir de trouver des parades à la fraude massive qui sévissait dans cette période de pénurie. Or certains vins étaient déjà bien établis sur des marchés à l’export, parfois éloignés, comme aux Etats-Unis par exemple.
Nous allons poursuivre cette histoire fascinante des cépages et des noms d’origine géographique car, sans cette histoire, on ne peut pas comprendre la situation actuelle en matière d’étiquetage des vins, en particulier les logiques qui voient cohabiter un système basé sur l’origine géographique et un autre sur le cépage.
L’identification par le nom de la région
J’ai commencé à expliquer ce qu’il y avait derrière la logique, historique en Europe, d’identifier les vins surtout par leur région d’origine. Celle-ci est due au fait qu’au moment de l’émergence d’une production identifiée et exportée (en gros, au XVIII ème siècle, mais parfois plus tard), la connaissance des cépages était très limitée et peu parlante pour les contemporains. Ensuite, la constitution d’une série de lois, comme celle portant sur les appellations contrôlées en France pendant la première moitié du XX ème siècle, a entériné ces habitudes, dans le but, il ne faut pas l’oublier, de lutter contre la fraude et de protéger le producteur comme le consommateur.
Car l’identification d’un vin par le nom de sa région ou commune de production ne renseigne que rarement le consommateur sur le style, ou même sur le type du vin en question. Il faut, en effet, posséder une sacrée expérience pour pouvoir faire coïncider chacune des 480 appellations françaises avec un style de vin. Et ce n’est pas toujours possible, car parfois deux ou trois « types » de vins cohabitent sous une même appellation. Rouge, blanc et rosé, par exemple, ou encore sec ou sucré ! D’un autre côté, beaucoup de vins issus d’appellations voisines possèdent des styles tellement proches qu’on se demande à quoi servent les différents noms. Rien ne différencie Canon-Fronsac de Fronsac, par exemple, si ce n’est une querelle de clochers qui ne concerne absolument pas le consommateur. Pour être très honnête, et restant dans la même région, les pomerols sont souvent très proches des Saint-Emilion. Assez rares sont les appellations qui évoquent clairement un type et un style distinct de vin. On peut penser à Champagne ou Chablis, par exemple. On peut ajouter Beaujolais et Sancerre. Pour le reste, et pour la plupart des consommateurs, c’est le flou artistique, car soit les styles sont très divers (selon le vigneron, essentiellement), soit les sous-appellations sont si nombreuses que l’on s’y perd. Et je ne vais même pas parler de ces créations incessantes de nouvelles appellations qui ne servent strictement à rien sauf à rendre le tableau encore plus compliqué et à satisfaire les egos des producteurs concernés.
D’où l’intérêt de regarder d’autres systèmes possibles. Nommer un vin par son cépage n’est pas une panacée ; c’est une aussi grande simplification, bien sûr. Pensez aux vins, très nombreux, issus d’assemblages qui utilisent plusieurs cépages, comme dans le sud de la France ou à Bordeaux, par exemple. Faut il appeler certains Châteauneuf-du-Pape « grenache, syrah, mourvèdre, counoise» ? Evidemment cela ne peut fonctionner que si un cépage est très dominant et apparaît seul ou éventuellement avec un autre : par exemple « Pinot Noir » ou, pour deux cépages, « Cabernet/Merlot ».
Nous allons regarder comment s’est construite, dans les pays du Nouveau Monde, cette autre approche du vin, qui est l’identification faite principalement par le(s) cépage(s) utilisé(s). Un cépage donné possède une gamme de caractéristiques gustatives, qui vont varier plus ou moins en fonction du milieu naturel et de la vinification. Disons que le cépage peut fournir une idée quant au style d’un vin, autant qu’une appellation géographique. Une idée parfois floue, mais une idée quand-même. Il y a une raison historique pour l’existence de ce système, qui est maintenant dominant dans tous les pays du Nouveau Monde, mais aussi en France dans la catégorie des vins de pays.
L’identification par le cépage
Identifier un vin par son cépage est la pratique la plus répandue dans le monde, en dehors de l’Europe et de ses vieilles traditions qui consistent à nommer un vin surtout par son origine géographique.Pourquoi et comment ? Ce sont les deux ressorts de mon sujet d’aujourd’hui.
Nous partons aux Etats-Unis d’Amérique, à la fin du XIX ème siècle. Imaginez le tableau : un pays en pleine expansion, à la fois sauvage, pionnier et traînant derrière lui tout le passé de ses multiples apports de populations. Pour la partie de la population buveuse de vin, il s’agissait surtout de l’Europe Centrale et du Sud, mais aussi de l’Angleterre, qui avait une vieille tradition de consommation, à défaut de production.
Ces immigrants là voulaient continuer à boire du vin. Le coût des vins importés était assez élevé à l’époque, mais bon nombre de vignerons-immigrants se sont établis en Californie, qui offrait à la fois des terres pas chères et un climat idéal. Mais, pour vendre ces vins-là à la population croissante de la côte Est, à New York, Boston, Chicago et toutes les autres villes industrielles, les noms des lieux de production de la Californie ne signifiaient rien. Personne n’aurait acheté une bouteille de Napa ou de Sonoma à l’époque. Il fallait donc trouver des références connues, et celles-ci furent toutes européennes. On a donc appelé les vins Burgundy, Chablis, Claret (nom anglais pour le Bordeaux rouge), Sauternes, Champagne, Sherry ou Port, selon leur type. Car ces noms étaient connus et constituaient des références à la fois de type et de qualité. Bien entendu, les vins proposés sous ces noms fantaisistes ne ressemblaient pas beaucoup aux originaux. Parfois ils n’utilisaient même pas les cépages de leurs inspirateurs !
Mais les producteurs Californiens de qualité étaient mal à l’aise avec ces façons de faire. Ils étaient fiers de leur pays et de leur travail et voulaient qu’on achète leurs vins pour leurs propres mérites. Et cela permettrait aussi de les vendre plus chers ! Il y a toujours de l’économie derrière un changement de pratique !
Un journaliste et importateur de vins français, Franck Schoonmaker, leur a dit à peu près ceci : « vos références sont Bordeaux et la Bourgogne. Vous avez planté les cépages de ces régions en Californie. Or, un cépage fait partie de l’identité d’un vin. Pourquoi ne pas appeler vos vins par les noms de ces cépages ? » La première gamme ainsi nommée fut lancée dans les années 1930. Cela n’a pas pris de suite mais, après la seconde guerre mondiale, petit à petit, c’est devenu un standard aux Etats-Unis, imité par tous les autres pays du Nouveau Monde où la notion d’appellation d’origine tardait à émerger.
Depuis quelques années, parfois décennies, on assiste à l’émergence d’une vision régionale de la viticulture dans pas mal de ces pays, en même temps que nous assistons à une ouverture de la description des vins, en Europe, aussi bien par le cépage que par la région d’origine. Autrement dit, les deux systèmes ont tendance à se rapprocher.
Le problème de l’assemblage des cépages
je vous ai parlé des raisons pour lesquelles les pays du Nouveau Monde, à commencer par les Etats-Unis, ont développé une approche de l’étiquetage des vins centrée sur le nom du cépage principal. Le succès de ce système, qui a été, nous l’avons vu, assez long à se dessiner, a été très important dans tous les pays du Nouveau Monde, au point de devenir une sorte de standard international de nos jours, en parallèle avec celui des pays producteurs « traditionnels » d’Europe qui utilisent plutôt une approche liée au lieu d’origine.
Comme nous le verrons dans la leçon prochaine, les ponts entre les deux systèmes sont nombreux. Mais avant, il faut expliquer pourquoi cette approche de la description d’un vin par le cépage a fonctionné. Les marchés auxquels cette production s’adressait prioritairement, du moins au début, étaient tous des marchés « neufs » pour le vin, donc sans trop de préjugés sur toutes sortes de sujets, y compris sur les manières d’identifier les vins par leur nom sur l’étiquette. Avec l’aide de journalistes et d’auteurs, une petite culture de la connaissance des cépages s’est progressivement diffusée. Il est clair que cette tâche a été facilitée par le fait que, durant une bonne trentaine d’années, le nombre de cépages utilisés à grande échelle dans des pays comme les Etats-Unis, le Chili, l’Australie ou l’Afrique du Sud est resté assez limité. On peut les nommer : chardonnay, sauvignon blanc, et, à un bien moindre degré, sémillon et chenin côté blanc ; cabernet-sauvignon, merlot, syrah (shiraz), pinot noir et, loin derrière et pratiquement limité à un seul pays (l’Argentine) le malbec côté rouge. Les autres cépages viennent très loin derrière sur le plan des surfaces exploitées. Cela signifie qu’il suffisait de connaître 7 ou 8 variétés pour pouvoir se faire une vague idée du style du vin portant ces noms. Avouez que c’est un peu plus simple que de connaître le style des 480 appellations viticoles pour la seule France ! Principale cause du succès donc : la simplicité.
Mais les systèmes simples ont tendance à évoluer vers une complexité croissante. Par exemple, lorsqu’il s‘agit de nommer des vins issus d’un assemblage de cépages. Les législateurs des pays du Nouveau Monde ont prévu ce cas de figure en autorisant, par exemple, des Cabernet/Merlot, Cabernet/Shiraz, ou Sémillon/Sauvignon. Ils ont même été, en Australie, jusqu’à mettre trois cépages sur une étiquette avec les célèbres Grenche-Shiraz-Mourvèdre (ou GSM) chers aux amateurs de vins inspirés par bon nombre de crus du Rhône Sud. Mais ces noms commencent à devenir un peu longs et lourds ; presque autant qu’un « Minervois – La Livinière », par exemple. On a aussi introduit une mesure de souplesse dans le système pour aider les producteurs. Par exemple, en autorisant jusqu’à 15% d’autres cépages dans un vin qui porte le nom d’un cépage unique. Il est clair que cela ne change pas la nature fondamentale du vin, mais c’est une différence par rapport à l’usage en vigueur en Europe, par exemple avec les vins de pays ou les vins d’Alsace, qui peuvent, les uns et les autres, porter le nom d’un cépage, mais à la condition que celui-ci constitue 100% du vin en question. Je ne porte aucun jugement sur cette question, je ne fais que relater les faits.
Qu’est-ce qui fait que les deux grandes écoles d’étiquetage des vins ont tendance à se rapprocher ?
je vous parle, bien sûr, de la description des vins par leur lieu d’origine (qui est l’approche dominante en Europe), et de celle par le ou les cépages qui les composent (qui est celle qui domine dans les pays dits du Nouveau Monde).
Sachant que toute communication sur le vin doit être bien comprise par les consommateurs qui voient ces vins dans leurs pays (que cela soit sur une carte de restaurant, dans les rayons d’un magasin, ou dans un catalogue sur Internet), et que l’étiquette est en première ligne dans cette communication (et parfois le seul élément), il est clair que la manière de décrire les vins par les étiquettes doit évoluer. Il suffit de regarder les livres consacrés aux étiquettes dans le temps pour s’en convaincre. La tendance aujourd’hui est de mettre de plus en plus d’informations sur les étiquettes, d’où la généralisation des contre-étiquettes (on pourrait même parler de doubles étiquettes). Une partie de l’explication est à chercher dans la législation qui devient de plus en plus contraignante (on en sait quelque chose en France, mais d’autres pays ne sont pas en reste) ; le reste est lié à la volonté des producteurs de donner au consommateur des éléments d’information sur le type et le style de leur vin, à travers ce support qu’est l’étiquette. Et le cépage en fait partie, y compris en Europe. D’ailleurs, puisque le cépage est devenu une sorte de minimum vital de la communication dans de nombreux marchés, de plus en plus de vins d’Europe (dont la France) indiquent le cépage sur l’étiquette. Cela a commencé avec la catégorie des vins de pays, mais cela s’étend de plus en plus à certains vins d’AOC. Bon nombre d’appellations régionales (Bourgogne et Bordeaux en tête) ont dû retoucher leurs décrets pour rendre cela légal, du moins pour les vins exportés. Depuis quelques années,Bourgogne Pinot Noir, Bourgogne Chardonnay, ou bien Bordeaux Sauvignon, par exemple, sont devenus choses courantes. En cela la France s’adapte, avec un peu de retard, aux demandes des marchés. L’Alsace est bien la seule région, avec quelques exceptions en Touraine et ailleurs (Picpoul de Pinet, ou les AOC de muscat, par exemple), à avoir adopté un système qui lie cépage et région dans la description officielle.
Si on regarde ce qui se passe chez les voisins, l’Italie a compris ce besoin-là il y a longtemps, car bon nombre des DOC italiennes lient nom de cépage et nom de région. Des exemples ? Moscato d’Asti, Barbera d’Alba, Dolcetto d’Alba, Roero Arneis (des DOC et DOCG du Piémont), Vernaccia di San Gimignano (DOC de Toscane), Sagrantino di Montefalco (DOCG d’Ombrie), etc. Le seul problème est que ces cépages ne sont pas très connus mondialement, donc l’impact de ce jumelage intelligent n’a pas été foudroyant pour l’instant. Cela dit, je pense que la tendance va s’accentuer.
De l’autre côté, quel est le problème de positionnement et d’identification majeure qui se pose aux producteurs des pays du Nouveau Monde ? Pour caricaturer un peu, c’est : comment se singulariser parmi une centaine de chardonnays dans un catalogue ou sur un rayon ? En effet, si tout le monde identifie son vin par le cépage, et si tout le monde plante les mêmes cépages, on assiste très vite à une banalisation par ce descripteur. D’ou l’émergence, très nette depuis une bonne vingtaine d’années (et même plus en ce qui concerne les Etats-Unis) d’une double identification : par cépage et par région, en plus de la marque individuelle du producteur (comme en Europe). En Australie, par exemple, un discours sur le caractère spécifique d’un vin lié à sa région est devenu fréquent, du moins pour les vins vendus au détail au-dessus de 10 euros la bouteille. Et cette approche gagne du terrain dans presque tous les autres pays du Nouveau Monde.
On peut dire, en conclusion, que nous approchons d’une forme d’unification (ou, plus exactement, de chevauchement) entre ces deux systèmes d’identification d’un vin : lieu d’origine et cépage. Aucun n’est parfait, bien entendu, mais je crois qu’informer le consommateur sur trois facteurs majeurs qui déterminent la nature d’un vin – le vinificateur (le plus important, d’après moi), le lieu d’origine et le cépage – constitue une bonne avancée. Il aura fallu près de 200 ans pour en arriver là !
Que signifie « Grand Vin » sur une étiquette ?
A vrai dire, pas grand chose. Il y a quelques exceptions cependant.Pour comprendre cela, revenons aux origines de cette expression. Elles se situent au moment de l’émergence de la vente de certains vins mis en bouteille au château, au cours du XX ème siècle. Avant cela, les vins étaient vendus en vrac et embouteillés par leur acheteur.
Il s’agissait de positionner une cuvée au-dessus d’une autre, considérée comme moins « bonne », et en tout cas vendue moins chère dans la gamme d’un même producteur. Un des exemples les plus connus est le Château Latour, qui réserve toujours le terme « Grand Vin » à sa première sélection, la deuxième ne s’appelant même pas Château Latour, mais Forts de Latour, pour bien marquer la distinction.
On peut donc dire qu’à l’origine le terme « Grand Vin » était un qualificatif utilisé par certains des meilleurs vins de Bordeaux pour désigner leur première sélection. Cela concernait surtout la région du Médoc, où les domaines viticoles font aisément 50 à 100 hectares, rendant parfois nécessaire ce genre de travail sélectif. La deuxième sélection ne porte donc ni les mots « grand vin », ni même le nom du château, bien qu’il soit généralement clairement identifié comme venant de la propriété en question (exemple : Amiral de Beychevelle, le second vin de Château Beychevelle).
Le problème est que, voilà quelques années, le CIVB (Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux), dans son immense sagesse, a autorisé et même encouragé tous les vignerons du bordelais à utiliser l’expression « Grand Vin de Bordeaux» sur leurs étiquettes, la vidant ainsi de toute substance. Aujourd’hui, il ne signifie à peu près rien, sauf pour quelques rares cas historiques.
Dans la prochaine leçon nous parlerons du terme « Grand Cru » qui, lui, a bien plus de sens. Le problème, comme nous le verrons, est qu’il en a même plusieurs !
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