Les labels
Que vaut une médaille sur un vin ?
Les médailles ou autres signes distinctifs accordés lors de différents concours aident certainement à faire vendre un vin, car autrement ils ne seraient pas autant mis en avant, d’abord sur la bouteille, mais aussi dans les documents promotionnels.Certains distributeurs importants comme la très puissante Société des Alcools de Québec (le monopole étatique de la vente de boissons alcoolisées dans la belle province) éditent même un guide destiné aux producteurs qui souhaitent faire référencer leurs vins à la SAQ, leur indiquant quels guides et concours sont estimés par eux. Que faut-il penser de tout cela ?
D’abord que tous les concours ne se valent pas. C’est comme un 100 mètres en athlétisme. Aux championnats du monde ou aux Jeux Olympiques vous avez à peu près tous les meilleurs sprinteurs : une médaille signifie donc quelque chose. Mais si vous gagnez une course à Bort-les-Orgues, vous avez aussi votre médaille, mais elle est un peu en chocolat au niveau national. C’est donc la loi de la relativité, plus les aléas de la forme du jour, car un vin peut bien se goûter un jour, et moins bien le lendemain. Après il faut interroger la composition du jury, et particulièrement la compétence, l’expérience et la forme de chaque juré. Mais aussi le protocole des dégustations : bouteilles cachées, température de service, verres, pressions pour accorder un nombre donné de médailles (ou pas), etc. Vous voyez que cela fait beaucoup de variables.
Aucun concours n’est parfait, mais la quasi-totalité est « honnêtement » organisée. Le problème vient plutôt du niveau des entrants, qui est par nature variable en qualité, car très souvent les meilleurs producteurs ne participent pas, étant déjà reconnus et n’ayant pas de difficultés à vendre leurs vins. Au contraire, ils pourraient même perdre en prestige s’ils n’obtiennent pas de médaille. Mais les concours restent un excellent tremplin pour les jeunes producteurs souhaitant faire connaître leurs vins, et une indication utile pour le consommateur car le vin en question aura été préféré à toute une série d’autres vins comparables (même appellation ou cépage) un certain jour et par un certain groupe de dégustateurs.
Qu’est ce qu’un « Grand Cru » ?
Le problème est que les significations exactes, car il y en a, varient en France selon les régions. D’abord soyons précis sur le terme, car autrement on risquerait de perdre le fil. Nous parlons, cette semaine, de « Grand Cru », et pas de « Grand Cru Classé », ni de « Cru Classé ». On reviendra sur ces deux termes la semaine prochaine.
Le mot « Cru » vient du verbe « croître » et renvoie donc à quelque chose qui pousse. C’est aussi devenu, par usage, un terme pour désigner un vignoble, et généralement un vignoble de qualité reconnue, mais, étant issu d’usages locaux, ce mot n’a pas de définition précise. En Beaujolais, par exemple, les villages viticoles dont le nom apparaît seul sur les étiquettes (et donc sans le mot Beaujolais) sont souvent appelés « crus ». Ailleurs, le mot désigne une seule parcelle, comme en Alsace ou en Bourgogne. A Bordeaux en revanche, le mot peut désigner soit une localité, soit un domaine, parfois constitué de différentes parcelles qui ne sont pas toujours liées.
Pour distinguer un « cru », d’un « grand cru », il y a donc deux logiques qui co-existent en France. L’une, en Alsace et en Bourgogne, désigne par ces mots une parcelle viticole spécifique et reconnue de qualité supérieure. Les Grands Crus font donc partie du système officiel des appellations qui gouverne les vins de ces régions, et portent tous un nom, celui de la parcelle (exemple : Schlossberg, en Alsace). Et cela sans tenir compte du propriétaire ou des propriétaires, car, dans la majorité des cas, ces parcelles sont en co-propriété. Par exemple, le Clos Vougeot (Grand Cru de la Côte de Nuits) couvre 50 hectares et appartient à plus de 80 propriétaires différents. Sur le plan philosophique, on estime que le lieu est pérenne, tandis que le propriétaire, et ce qu’il possède en termes de terre, n’est que transitoire.
La logique bordelaise est différente et donne une primauté à la propriété viticole, quelle que soit la situation parcellaire à l’intérieur de l’aire générale de l’appellation. Dans la région, le terme « Grand Cru» n’est utilisé que dans un seul cas, à Saint Emilion, où il constitue une variante de l’appellation Saint Emilion, couvrant la même aire, mais pouvant s’appliquer à tous les vins qui réduisent leur rendement de 45 à 40 hectolitres par hectare et qui génèrent un minimum de 11,5° d’alcool au lieu de 11°.
Nous avons vu qu’il s’agissait toujours d’une appellation, inscrite dans les méandres des Appellations d’Origine Contrôlée en France.Cela s’applique à la logique parcellaire qui prévaut en Bourgogne ou en Alsace, autant qu’à une logique de « cahier des charges » spécifique, comme à Saint Emilion, que j’ai déjà décrite.
Je vais donc continuer mon « Tour de France des Grands Crus », pour rappeler ces différences régionales dans les dénominations officielles.
D’abord il faut dire que la logique bourguignonne (ou alsacienne) des grands crus implique aussi un cahier des charges plus contraignant que pour des appellations dites inférieures. Le rendement d’un grand cru d’Alsace (il y en a 51 actuellement), par exemple, ne doit pas dépasser 55 hectolitres par hectare (dans la réalité on « tolère » souvent un dépassement, jusqu’à 65 hl/ha), au lieu des 80 hectolitres par hectare autorisés pour un vin d’Alsace qui n’est pas issu d’une parcelle classée en grand cru.
Autre particularité des grands crus d’Alsace : si on mentionne un cépage sur l’étiquette, ce qui est la pratique courante (mais pas obligatoire) dans cette région, ne sont admis en appellation Alsace Grand Cru que les Pinot Gris, Riesling, Gewurztraminer ou Muscat. Petite exception (il y en a presque toujours en France !) : on admet aussi le Sylvaner dans un seul grand cru, le Zotzenberg de Mittelbergheim. La hiérarchie alsacienne des appellations ne comporte donc que deux niveaux, Alsace et Alsace Grand Cru, et la logique de la sélection de ces derniers est parcellaire, autrement dit, basée sur le terroir (qui signifie nature des sols, exposition, et meso-climat). Quant à la partie sol du terroir, il faut remarquer que la complexité de la géologie en Alsace est telle que peu de Grands Crus sont homogènes de ce point de vue. De toute façon, rappelons que les méthodes du culture et de vinification ont bien plus d’influence sur le résultat final que la composition géologique des sols.
La logique bourguignonne est à peu près identique, sauf qu’il y a quatre ou cinq niveaux hiérarchiques, avec les Grands Crus situés au sommet. Puis, en descendant, il y a les appellations « Premier Cru », qui sont aussi des sélections parcellaires, puis les appellations communales (exemples : Nuits Saint Georges ou Vosne Romanée), enfin les appellations sous-régionales (Mâcon ou Côte de Beaune Villages) ou régionales (Bourgogne). Ce qui est aussi particulier à la Bourgogne est le fait que les Grands Crus constituent des appellations individuelles, chacune nommée par son nom de parcelle qui n’est pas lié au nom d’un village, commune ou région. Par exemple, « Chambertin » est l’un des 33 Grands Crus de la Bourgogne. Il est situé sur la commune de Gevrey-Chambertin mais son nom apparaît seul sur l’étiquette. Il en va de même pour tous les autres, même si certains ont parfois des noms composés (comme Latricières Chambertin) et d’autres situés à cheval sur deux communes, comme Montrachet (entre Puligny et Chassagne). Vous voyez qu’en Bourgogne le système est logique en théorie, mais assez complexe en pratique ! Et un Grand Cru est au-dessus d’un Premier Cru.
Qu’est ce qu’un vin de marque ?
Il existe bien trop de confusion et d’idées reçues autour de la définition de « marque » dans le domaine du vin. Le sujet est pourtant assez simple, car il suffit de se référer au sens des mots pour le comprendre.Bien qu’il faille utiliser Wikipédia avec prudence, je trouve que sa définition du mot « marque » est très juste : « La marque commerciale ou marque déposée est un mot, un groupe de mots, ou un signe distinctif permettant au déposant (une personne ou une société privée) de pouvoir faire connaître, ou reconnaître l’ensemble des caractéristiques propres à leur production. »
Et ils rajoutent (utilement pour le domaine du vin) « Le mot ou le groupe de mots déposés comme marque ne peuvent jamais être l’appellation générique du produit ou du service. »
Autrement dit, un vin vendu sous un nom de château ou de domaine est une marque, tandis qu’une appellation ne l’est pas. On parle parfois de « marque collective » dans ce dernier cas, mais cela touche à un autre sujet. Revenons à notre marque singulière.
Tout vin qui se signe, par un nom, une étiquette, etc, est donc une marque, qu’il soit lié à un domaine ou pas. Ceci à la différence d’un vin vendu en vrac, qui est vendu sans identification autre que ses caractéristiques légales (couleur, degré d’alcool, éventuellement pays d’origine, millésime, cépage ou appellation, selon le cas), et pas signé par un producteur. Par conséquent la Romanée Conti est une marque au même titre que Chamarré. Bien sûr, ces deux marques, clairement identifiables, ont des contenus très différents, aussi bien réels qu’imaginaires. Et cela se joue autant sur le plan de l’origine, de l’élaboration et du prix que sur la promesse implicite que fait la marque à l’acheteur.
C’est exactement comme avec n’importe quel autre univers de produits. L’automobile par exemple. Rolls-Royce et Smart sont deux marques d’automobile, mais leur contenu n’est pas du tout le même. Elles roulent toutes les deux et peuvent s’adresser au même individu mais personne ne pensera à les comparer.
Une idée répandue considère que « vin de marque » signifie nécessairement gros volume. C’est une contre-vérité, car le terme « marque » signifie simplement que le produit a été signé. Il peut même n’être produit qu’à un seul exemplaire, du moment qu’il est clairement identifié comme un produit signé. Donc tous les vins portant une étiquette identifiable et signée par un vigneron, un négociant, une cave coopérative, ou un acheteur (les marques d’acheteur de certains distributeurs, par exemple) sont des marques.
Le terme « marque » en français se traduit très exactement en anglais par le mot « brand ». Les deux mots ont d’ailleurs la même origine : le marquage au fer du bétail pour identifier les bêtes appartenant à Pierre et les distinguer de celles appartenant à Paul. La marque de Pierre n’est pas identique à la marque de Paul, bien que tous les deux possèdent des moutons de la même race. Cette notion d’appartenance est fondamentale dans la compréhension de la notion de marque qui est évidemment bien plus riche que cela pour la plupart des marques. Cela s’appelle le contenu (ou la promesse) de la marque.
Une appellation contrôlée est-elle une garantie de « qualité » pour le vin ?
Intéressons-nous à la question des appellations contrôlées.Les appellations contrôlées en France doivent leur création à la grande pénurie de vin causée par le phylloxera à la fin du XIX ème siècle et aux fraudes massives qui ont suivi au début du XX ème siècle avec des abus de noms connus et des procédures d’élaboration plus que douteuses. Il était effectivement urgent d’y mettre de l’ordre. Autrement dit, à l’origine de cette démarche, il y avait bien une visée qualitative mais aussi une volonté d’établir des garantis d’authenticité et de provenance qui protégeraient producteurs et consommateurs. Pour le producteur il s’agit de protéger la marque collective qui représente un lieu d’origine, associé à des cépages nommés et à un cahier des charges défini avec, par exemple, des limitations de rendements. Cette affaire prenant de l’ampleur, les demandes d’appellations se sont multipliées. Si on examine les territoires de certaines appellations, on peut avoir l’impression que leur délimitation a autant tenu compte d’impératifs administratifs et politiques que d’un réel potentiel des parcelles. Ce n’est pas toujours le cas, mais cela est souvent arrivé comme il est aussi arrivé de créer des appellations voisines qui n’ont aucune différence tangible.
Les appellations contrôlées se sont beaucoup multipliées et représentent plus de la moitié des vins produits en France aujourd’hui. Quand on déguste beaucoup de vins (comme moi depuis 30 ans) on se rend vite compte qu’il y a, un peu partout, les bons vins et les autres. Très peu d’appellations sont d’une grande homogénéité sur le plan de la qualité, et, très clairement, certains vins sont franchement indignes de leur appellation. Car le vin est fait par l’homme et si l’homme en question (à chaque bout de la chaîne) n’est pas exigeant, la qualité ne sera que rarement au rendez-vous. Planter les cépages que l’on vous dit de planter là on ou vous dit de les planter et maintenir des rendements dans certaines limites ne suffisent pas nécessairement à produire un bon vin. Il faut, bien sûr, une météo favorable, mais aussi, et surtout, un bon vigneron exigeant et sachant bien conduire ses vinifications.
Alors à quoi servent les appellations ? Surtout à authentifier l’origine du vin, et c’est déjà beaucoup. Elles sont aussi un moyen de promotion collective. On peut ajouter, éventuellement, l’établissement d’une certaine fourchette de styles de vins qui rendra cette origine plus ou moins identifiable par le consommateur habitué, en dehors de la présence d’un nom sur une étiquette. Mais, dans chaque appellation, il faut aussi accepter que cette fourchette soit aussi large que l’écart qui existe entre les vignerons qui travaillent le mieux et ceux qui travaillent le moins bien. On ne peut pas tout dicter dans une appellation, ce qui rend la notion de « typicité », souvent entendue dans ce contexte, très discutable.
Que signifie le mot « prestige ?
Le terme « prestige » est encore plus utilisé sur des étiquettes que celui de « tradition » dont j’ai parlé la semaine dernière.A la différence d’une cuvée libellée « tradition », qui peut constituer un vin d’entrée de gamme chez un producteur (la tradition est-elle à ce point une chose bon marché dans le fond ?), il faut s’attendre à payer plus cher un vin qui porte la mention « prestige » ou « cuvée prestige ».
Il s’agit souvent d’un vin qui a bénéficié d’un élevage plus long que les autres cuvées du même producteur, la plupart du temps en barriques. Donc avec un coût de production indiscutablement plus important que celui d’une cuvée élevée simplement en cuve. De combien ? Cela va dépendre de la proportion de bois utilisé, et ensuite de la proportion de bois neuf. Une bonne barrique neuve coûte dans les 500 euros et contient environ 300 bouteilles de vin. Cela ajoute donc automatiquement 1,66 euros au coût de la bouteille, sans compter le coût de la main d’œuvre nécessaire pour bien gérer un élevage en barriques. On peut dire, à la louche, que le vin est vendu plus cher d’environ 5 euros en coûts de production, rien que pour la phase d’élevage. Mais il faut préciser qu’un vin fait pour être élevé en barrique coûte également plus cher en amont, c’est à dire dans la vigne car il faut une matière plus concentrée au départ pour que ce vin supporte un tel élevage, sans quoi le bois risque de trop marquer le vin jusqu’à le décharner. Cela veut dire rendements plus faibles, sélection de raisins, etc. Nous allons donc généreusement accorder un surcoût de 10 euros à une cuvée de prestige. Admettons que le producteur souhaite mettre en valeur cette cuvée grâce à une bouteille lourde, une belle étiquette et un bouchon long, on peut ajouter un ou deux euros de plus. Nous arrivons alors à un écart maximal de 12 euros, en termes de coûts, avec une cuvée « normale ».
Si nous acceptons une marge un peu supérieure, car il faut bien faire vieillir ce vin un peu plus longtemps, il devient compréhensible qu’une cuvée de prestige coûte 15 euros de plus qu’une autre cuvée du même producteur. Payer plus relève d’accepter un positionnement marketing, pas un réel surcoût à la production !
Enfin, il faut rajouter que ce terme de « prestige », une fois de plus, ne bénéficie d’aucune législation, à la différence des termes « riserva » (en Italie) ou « reserva » (en Espagne).
Que signifie le mot « Tradition »
Comme le terme « vieilles vignes », le mot « tradition » fleurit un peu partout dans toutes les formes de communication sur le vin, à commencer par les étiquettes.On voit, par exemple, « cuvée tradition », ou simplement « tradition ». Cela est supposé, j’imagine, distinguer cette cuvée-là d’une autre qui ne serait pas (ou serait moins) « traditionnelle ». En tout cas, cette mention est apposée pour rassurer le consommateur. Mais elle ne repose sur aucune définition ni aucun texte officiels.
En effet, définir ce qui est « traditionnel » et ce qui ne l’est pas relève de la mission impossible, car où commence et où s’arrête l’histoire ? Je vais être plus explicite pour vous montrer que ce mot ne veut strictement rien dire dans le contexte spécifique du vin. La mot tradition est probablement censé évoquer, dans l’esprit d’un consommateur, une sorte d’image d’Epinal avec un vigneron portant béret et moustaches, entouré d’une rangée de vieilles barriques. Je n’en sais rien, mais j’imagine que c’est quelque chose de ce genre. Or, voyant cette mention sur une étiquette il y a peu de temps, j’ai demandé au vigneron qui était en face de moi quelle en était la signification dans son cas. Il m’a répondu : « Ce vin a été élevé uniquement en cuves en acier inoxydable, sans passage en barriques ». Il faut savoir que cette technique qu’il considère comme « traditionnelle » est très récente : les premières cuves en inox ont été introduites dans le bordelais dans les années 1960 et il a fallu attendre le milieu des années 1980 pour qu’elles soient largement diffusées dans toutes les régions et pour à peu près tous les niveaux de vins.
Je suis totalement d’accord avec le mot de Jean Cocteau, qui disait : « La tradition est une matière vivante, et celui qui se retourne pour la regarder en arrière (autrement dit, la figeant dans le passé) risque de se voir transformé, et la tradition avec, en statue de sel ». Mais est-ce que tous les vignerons qui mettent le mot « tradition » sur leurs étiquettes pensent ainsi ? J’en doute fort, et je vous conseille donc de vous méfier de telles mentions qui, soit ne signifient pas grand chose, soit désignent des réalités très différentes.
Qu’est ce qu’une vieille vigne ?
Après une cinquantaine de cours sur le processus d’élaboration du vin, je vais entamer, cette semaine, une nouvelle série, qui va traiter des sujets annexes. Ils concernent la manière dont on présente le vin, soit sur des étiquettes, soit dans des documents ou articles, films ou livres.Autrement dit, je vais parler de la communication sur le vin, avec ses effets d’annonce, ses idées reçues, ses tromperies et inexactitudes, mais aussi ses vérités, car les bons producteurs ne trichent pas, ou très peu, sur la réalité des choses, car ce n’est pas dans leur intérêt. En revanche, les idées reçues, parfois contestables, abondent dans ce domaine.
Je vais commencer par une mention qui est assez courante, à la fois sur des étiquettes et dans les documents, par exemple dans les brochures des producteurs. Il s’agit de « vieilles vignes ». Qu’est-ce qu’une « vieille » vigne ? J’ai cherché partout, mais il n’y a aucune définition officielle de ce qui constitue la vieillesse d’une vigne ! Je pense que c’est un peu comme pour les êtres humains, on a l’âge de ses artères. Autrement dit, une vigne qui a trop produit et qui a été mal soignée peut sembler vieille à 20 ans, tandis que d’autres peuvent vivre centenaires. Mais dans nul décret officiel on ne trouve une définition du terme. Il n’est donc pas contrôlable, et le vigneron peut marquer ce qu’il veut sur une étiquette dans ce domaine. Bien entendu, les producteurs consciencieux ne marquent pas n’importe quoi. J’ai parlé avec un vigneron très expérimenté et respecté dans le gaillacois, Robert Plageoles, de sa définition du terme « vieilles vignes ». Il m’a dit que, pour lui, il s’agit d’une parcelle homogène de vignes dont l’âge moyen est égal ou supérieur à 40 ans. Cela me semble respectable. Mais il faut dire qui lui ne commercialise aucune cuvée portant cette mention censée rendre le vin « meilleur ». En tout cas, de telles cuvées sont toujours vendues plus chères que la cuvée équivalente qui ne porte pas la fameuse mention « vieilles vignes ». Pourquoi ?
Une chose est certaine : le rendement d’une vigne baisse avec le temps, généralement après 20 ou 30 ans de vie (cela dépendra des circonstances : le terrain, les stresses dus au climat, le rendement, des approches agricoles, les maladies, etc). Lorsque le rendement est élevé, car on ne cherche pas la concentration des saveurs (comme en Champagne), on arrache souvent une vigne au bout de 25 ans. Pour un vin rouge de garde, il en va autrement, et on dit parfois qu’une vigne est un enfant avant 10 ans, un adolescent entre 10 et 20 ans, et un adulte passé 20 ans. Mais, puisque le rendement baisse avec le temps, le prix du vin doit pouvoir augmenter pour équilibrer cette perte. C’est pour cette raison que les vins issus de vieilles vignes sont plus chers.
Maintenant le fond de la question est : est-ce qu’une vieille vigne produit nécessairement un meilleur vin qu’une jeune vigne ? Ma réponse, qui va vous paraître assez normande, est « ça dépend ». Mais le vin est complexe, et celui qui n’admet pas cette complexité n’a pas compris ce produit. Je reviendrai donc sur cette question la prochaine fois.
A la question : « est-ce qu’une vieille vigne produit nécessairement un meilleur vin qu’une jeune vigne ? », j’avais fait cette réponse de normand « ça dépend ». De quoi précisément ?La vigne est une plante qui a besoin d’eau, certes en quantité limitée, mais il en faut, surtout pendant la saison de pousse et celle, qui suit, de maturation des raisins. Une jeune vigne a besoin, comme toute plante, d’être arrosée pour survivre, jusqu’à ce que ses racines soient bien établies et puissent aller chercher de l’eau en-dessous de la surface du sol qui s’assèche au moindre coup de soleil en été. Plus ses racines vont plonger en profondeur, plus la plante aura la capacité de résister aux extrêmes en matière de chaud et de froid, comme en matière d’approvisionnement d’eau en profondeur pendant des périodes de sécheresse. Ce processus de descente des racines peut prendre du temps, temps qui sera variable en fonction de la souplesse du sol. Un sous-sol de roc ou d’argile dense qui se trouve à 20 centimètre du sol ne permettra pas aux racines d’aller plus loin en profondeur, mais elles vont s’étendre un peu latéralement pour accroître leur réseau. Dans un sol perméable, les racines peuvent parfois atteindre 5 mètres. Une vieille vigne a donc plus de chances de posséder un système racinaire bien développé qu’une jeune vigne, donc de pouvoir s’alimenter correctement en eau pendant des périodes sèches. Et pour une bonne maturation du fruit, il est essentiel que la plante boive, sans quoi le raisin ne mûrira pas et la vigne souffrira de stress hydrique. Puis, lorsqu’une vigne perd un peu de sa vigueur, elle produit moins de feuilles, donc les grappes de raisins sont souvent moins nombreuses et mieux exposées au soleil. Ceci peut contribuer à la qualité des vins issus de vieilles vignes.
En tous cas, on peut dire qu’une vieille vigne a plus de chances de produire un fruit bien mûr dans une année sèche qu’une vigne plus jeune, grâce à la profondeur de ses racines. Mais toutes les vieilles vignes n’ont pas un système racinaire profond. Je me souviens d’une visite dans une propriété du Roussillon et du moment où, voyant mon émerveillement devant un très vieux cep, le propriétaire l’a couché juste en le poussant. Le propriétaire précédant avait usé et abusé d’engrais chimiques pendant des années et la plante n’avait eu à fournir aucun effort pour chercher son alimentation. L’acquéreur a donc dû arracher toute la parcelle, pourtant vieille de plus de 50 ans. La leçon à tirer de cela est qu’une vieille vigne ne signifie pas, nécessairement, un bon vin. Ce qui est beaucoup plus important est que le système racinaire soit bien développé, le sol vivant et la plante en bonne santé.
Il est plus important pour une vigne d’être saine que d’être vieille. Beaucoup de parcelles de vieilles vignes sont en piteux état, avec la moitié des pieds manquants ou malades. Cela n’empêche pas leur propriétaire d’annoncer fièrement des rendements ridiculement bas de 25 hectolitres à l’hectare alors que l’appellation en autorise le double ! Oui, mais si vous calculez le rendement au pied, qui donne une vraie vision de ce qui se passe au niveau de la plante, vous vous rendez compte que si tous ses pieds de vignes manquants ou malades étaient remplacés, le rendement à l’hectare serait proche, voire au-delà, de la limite légale !
Enfin, il arrive aussi qu’une vigne produise son meilleur fruit dans ses trois premières années, simplement parce que fruits et feuilles sont en équilibre, le système foliaire n’étant pas encore très développé et les raisins restant ainsi mieux exposés au soleil. Par exemple, le célèbre Stag’s Leap Cask 23 1973 qui a battu Mouton Rothschild 1970, Las Cases ou Haut Brion, dans la fameuse dégustation de 1976 à Paris, était issu de vignes âgées de 3 ans !
Je ne dis pas que tous les vignerons qui font des cuvées « vieilles vignes » sont des tricheurs ou des escrocs, loin s’en faut. Mais il faut regarder un peu plus loin que les mentions qui sont susceptibles de vous influencer dans vos achats. A défaut d’une visite du vignoble en question, une dégustation comparative de deux cuvées, l’une issue de « veilles vignes », l’autre pas, doit vous permettre de vous faire une idée. J’adore la poésie et les belles images, mais je compte sur autre chose pour me dire ce qu’il en est vraiment.
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