Chignin, Arbin, les sommets de la Savoie
La Savoie possède un vignoble modeste (2100 ha) et discret dont les vins sont bus essentiellement localement. La « star » locale est la jacquère, un cépage blanc qui donne un blanc léger et vivace, à boire jeune. Mais dans ses plus beaux coteaux, ces vignobles de montagne savent aussi donner des sensations plus vertigineuses. Petite randonnée autour de Chignin et d’Arbin, deux étapes incontournables pour les amateurs en quête d’émotions.
Chignin, le chant des cigales
Après Chambery, l’autoroute A 43 contourne le massif des Bauges et file à l’est vers les grandes vallées alpines de la Maurienne et de la Tarentaise. Sur la gauche, regardant le sud et imprimés sur les coteaux du massif, se succèdent des vignobles spectaculaires qui chaque année semblent grignoter les hauteurs, jusqu’à atteindre des pentes improbables. Chignin est un de ces villages : quelques jolies ruines, un château remanié, et un vignoble de quelques 200 hectares, entre plaine et versants. Le lieu-dit Torméry est le fief d’un des meilleurs domaines de l’appellation, Michel et André Quénard, patronyme courant à Chignin. André, c’est le grand-père, 88 ans, toujours prompt à enfourcher le tracteur et vraie mémoire de l’appellation. Son petit-fils, Guillaume, qui a rejoint l’exploitation en 2009, évoque les années 50 : « A l’époque, on traitait mon grand-père de fou, parce qu’il était seul à racheter les parcelles de coteaux abandonnées après le phylloxéra et que personne ne voulait. Il a été l’un des premiers à mettre ses vins en bouteille et à replanter du bergeron (nom local de la roussanne) ». Le fils, Michel Quénard, président du syndicat des vins de Savoie, a parachevé l’œuvre du père, relayé aujourd’hui par ses fils : un beau domaine de 27 ha, impeccablement tenu, partiellement terrassé, et travaillé au treuil tant les pentes sont raides (60%) et caillouteuses sur les hauts. « Les coûts de production sont élevés sur ces parcelles explique Guillaume. On travaille à la main ou au treuil, et il faut pouvoir valoriser les vins ». Par exemple, en faisant le choix du bergeron, cépage sudiste mais qui a trouvé à Chignin une autre terre d’élection, sous l’appellation Chignin-Bergeron. Planté uniquement sur les coteaux, il lui faut du soleil pour bien mûrir. « C’est un secteur très chaud, bien exposé. On est en Savoie mais ici on entend souvent le chant des cigales ». Quand c’est le cas, le bergeron donne des vins puissants, aromatiques, avec cette suavité de texture qui les distinguent des autres blancs de la région. Les Quénard déclinent le cépage avec bonheur : en version cuve avec une somptueuse cuvée Terrasse, ou en version fût (Le Grand Rebosson). Le domaine cultive les autres cépages de la région dont la jacquère, très réussie avec une vieille vigne pure, longue et minérale.
Arbin, la patrie de la mondeuse
Ce long coteau est aussi la patrie d’un cépage rouge typiquement savoyard, la mondeuse, qui produit de loin les vins rouges les plus corsés de la région. Sur leurs vignobles de Chignin, les Quenard en offrent de beaux exemples issus de vignes cinquantenaires. Ils ont aussi repris en fermage quelques hectares de mondeuse à Arbin, situé un peu plus à l’est sur le massif des Bauges, et terre d’origine du cépage. Les 40 ha de cette petite AOC sont exclusivement dédiés à la mondeuse, et elle compte dans ses rangs quelques producteurs historiques, dont la famille Trosset et le domaine Louis Magnin. Le domaine Les Fils de René Trosset, c’est aujourd’hui 2 hectares seulement, hélas, car les mondeuses produites ici sont somptueuses mais vendues au compte-goutte. La soixantaine passée, Louis Magnin a repris en 1978 les 3 ha de vignes de la famille, jadis dédiés à la coopérative. Il possède aujourd’hui avec son épouse 8 ha sur les communes de Montmelian et d’Arbin, majoritairement plantés de bergeron (Montmélian) et de mondeuse, ici aussi avec des pentes qui tutoient les 60%. Dans les années 1980, il se souvient « que les gens n’aimaient pas trop le style de vins que donnait la mondeuse », ce qui ne l’a pas empêché de croire en l’avenir du cépage au point d’en devenir l’un de ses meilleurs spécialistes. « Arbin, c’est son terroir de prédilection. On est plein sud, avec des sols plus argileux qu’à Chignin ». Parfumée, tannique et acide, la mondeuse a du caractère à revendre à condition de juguler ses rendements et de dompter ses tanins parfois rêches. Au meilleur de sa forme elle produit un vin coloré, aux arômes généreux, poivrés et fruités, ferme et frais, capable de se garder, et qui peut évoquer la syrah du nord du Rhône. Chez les Magnin, la philosophie maison tient en deux idées : les vertus de la biodynamie, et la patience car les vins vieillissent en cave avant d’être mis sur le marché. On y ajoutera les rendements sages, des vieilles vignes, des vendanges à haute maturité, et en cave des extractions longues avec des élevages sous bois pour attendrir les tanins et apporter de la complexité au bouquet déjà expressif du cépage. Puissants et complexes, ce sont des vins taillés pour la garde.
Les cuvées
Le chignin-bergeron les Terrasses de Michel et André Quénard est un pur régal, onctueux, tendre et fin, d’une pureté de fruit logiquement plus éclatante que Le Grand Rebosson, élevé en fût, et taillé pour la table. Mention au Chignin-Bergeron la Bergeronelle du domaine Les Fils de René Quénard, un blanc bien ouvert, savoureux, à la fois gras et frais, au fruité très pur. Les chignin-bergeron de Louis Magnin, qui se déclinent du sec au doux, sont délibérément opulents. Côté mondeuse, la gamme signée par Les Fils de Trosset est somptueuse mais difficilement trouvable. La cuvée Avalanche du domaine Fabien Trosset est charnue, moderne et parfumée à souhait, très recommandable. Dans la gamme de Louis Magnin, on retient d’abord la cuvée Le Rouge, issue de vieilles vignes (70 ans), juteuse et ferme, aux tanins affinés, et Tout un Monde (vignes centenaires), riche, torréfié, élevé en demi-muid, qu’il faut savoir attendre « au moins 10 ans » selon son concepteur.
Credit Photo : Vin de Savoie
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