Découvertes en Roumanie (2/3)
La partie Nord de la Roumanie est très majoritairement montagneuse. On peut traverser la Transylvanie en avion, en voiture ou en train. Des trois formes de locomotion, c’est bien la voiture qui vous permettra de prendre le pouls de cette région au paysage spectaculaire, accidenté, incertain où les routes se muent brutalement en chemins terreux. Chaque trajet donne le temps de la découverte et on se rendra vite compte que le chariot tracté par le cheval reste l’outil agricole dominant en Roumanie.
Domaine Nachbil, en Transylvanie
Planter de la vigne est toujours un pari et un défi mais imaginez les efforts nécessaires pour régénérer un vignoble détruit par 50 ans d’incompétence lorsque vous vivez dans un autre pays et que vous donnez vos instructions essentiellement par téléphone ! C’est ainsi que Johann Brutler, originaire du village de Beltiug, à 20 kilomètres de la frontière hongroise, a débuté sa carrière viticole sur des terres qui appartenaient à sa famille avant l’ère communiste. Comme bien d’autres dans la région, Johann, issu d’une communauté germanophone implantée ici depuis le début du XVIII ème siècle, a dû s’exiler en Allemagne pendant le règne du dictateur. Il y est revenu après sa chute, renouant avec la tradition viticole familiale dans une région, Setu Mare, dont la production avait été florissante avant la deuxième guerre. Il a racheté plusieurs parcelles pour reconstituer un vignoble dont son père n’avait pu garder que quelques lopins. Les vieilles caves souterraines, similaires à celles que l’on trouve à Tokay, subsistent et Johann Brutler a le projet ambitieux de les transformer en un outil mêlant l’ancien et le moderne. Ses parcelles dispersées en coteaux reflètent par leur encépagement la diversité des expositions : riesling et sylvaner plantés sur les versants frais ; syrah, cabernet sauvignon et blaufrankisch sur les versants les plus ensoleillés, pinot noir entre les deux, et une très large gamme d’autres cépages blancs, autochtones ou non, disséminés ici et là : sauvignon blanc, chardonnay, pinot blanc, pinot gris, welschriesling, furmint, feteasca regala, mustoasa de Maderat, altesse, chasselas doré, muscat d’Ottonel, baras et grünspitz. Cette richesse provient partiellement d’anciennes parcelles qui avaient été complantées par son grand-père et son père. En matière de cépages autochtones, Johann Brutler considère que le sylvaner est originaire de la région. De Transylvanie à sylvaner, il n’y a qu’une syllabe après tout.
Mais le projet de Brutler pour son domaine de Nachbil dépasse tout esprit purement nostalgique. Il associe, dans un ensemble qui semble très cohérent, un respect pour le passé à une connaissance moderne et une réflexion ouverte qui lui vient de son parcours dans un autre univers que le vin. L’approche agricole est biologique, mais les plantations utilisent le dernier matériel avec alignement par laser. Si on laboure et on fume les parcelles avant plantation, on laisse intouchée leur topographie naturelle en évitant le défonçage ou le concassage des sous-sols. La cave privilégie un matériel moderne mais Brutler évite des interventions lourdes dans ses vinifications. Il vit aujourd’hui avec sa femme Katherine dans une maison de village tout près de son chai, et tous deux travaillent à plein temps sur le domaine. Leur fils Edgar, élevé en Allemagne, fait ses classes dans un domaine autrichien réputé (Leo Hillinger). La relève est donc assurée.
La gamme des vins est bien en phase avec ce climat relativement frais pour la Roumanie. Le style est moderne mais assez individuel. Les blancs, vifs et élégants, sont particulièrement intéressants. Ce sont des vins vendus entre 5 et 15 euros sur le marché domestique qui est en plein épanouissement depuis que la jeune génération a découvert les joies du bon vin. Parmi les rouges, la cuvée Trei Gatii (Trois Graces) et la syrah m’ont convaincu avec, pour cette dernière, une forte influence des millésimes. Brutler, qui a renoué avec le vin comme amateur (il est fan des grands rieslings allemands), continuera à expérimenter toute sa vie. Ses dernières plantations associent du sylvaner, sur une face Nord assez escarpée, à de la syrah sur la face Sud, avec une chapelle située au milieu, au sommet de la colline. Un futur Hermitage en version roumaine ?
Crédit photo : David Cobbold
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