Les médailles : Tout ce qui brille n’est pas d’or

Les médailles : Tout ce qui brille n’est pas d’or

Perdu dans un rayonnage de supermarché, vous semblez bien désemparé à l’heure du choix. Attendu à dîner, vous vous êtes vu confier la lourde charge de sustenter l’assemblée d’une bonne bouteille capable d’accompagner dignement un prometteur gigot braisé.

Ici, pas le moindre conseil à attendre de qui que ce soit, il faut donc se lancer. Votre regard hésitant parcourt la succession de bouteilles. Ce sera un Bordeaux, une valeur sûre. Mais le soulagement fait bientôt place à une autre bouffée d’angoisse quand vient le moment de désigner l’heureuse élue au milieu d’une bonne trentaine de bouteilles de Bordeaux. C’est une bonne année ? Ça ira bien avec le plat ? N’est-ce pas trop jeune ? Est-ce que ça peut être bon à ce prix-là ? Et se dessinent déjà les grimaces de vos amis – dont quelques amateurs – venant de plonger leurs lèvres dans la terrible piquette que vous venez de leur infliger. En désespoir, vous confiez votre malaise à un vendeur de passage. « Le Bordeaux ? Prenez n’importe laquelle c’est toujours bon… ». La sentence vous achève. Sur le point de passer à l’acte en agrippant fébrilement la première venue, vous embrassez du regard une dernière fois le rayonnage. Et un reflet fugace retient votre attention. Vous vous approchez, saisissez la bouteille et un miracle s’accomplit : brillant d’un éclat rutilant, un divin macaron s’affiche sur l’une des étiquettes. C’est une médaille ! De bronze, certes, mais estampillée « Concours Général Agricole ». C’est donc soulagé et bientôt euphorique que vous apportez triomphalement l’objet à destination.

Quelle fut la chute de cette histoire (à peu près) vécue ?
a – vous faites sensation car un vin médaillé ne peut être qu’excellent.
b – le vin arrache à l’assemblée des rictus de souffrance
c – le vin est bouchonné

Pour vous aider dans votre réponse, voici quelques éléments d’information à connaître au sujet des médailles. Les vignerons sont souvent avides de ces récompenses dont ils exhibent les diplômes dans les chais et les salles de dégustation. Et on les comprend, car la breloque impressionne le visiteur et se révèle un vrai sésame commercial. Un producteur confiait ainsi qu’une médaille d’or permettait de faire des « coups » à l’étranger, notamment sur certains marchés très friands de ce type de distinctions. En France, l’impact d’une médaille sur les ventes en grande surface est indéniable, de l’ordre de 10 à 15% d’augmentation. Alors, gage absolu de qualité ? Pour y voir un peu plus clair, remontons le cours d’une médaille obtenue lors d’un concours général agricole. Le concours est ouvert à tous les producteurs, moyennant finances (une centaine d’euros par échantillon soumis). Tous les vignerons jouent-ils le jeu ? Non, et loin s’en faut, car ceux dont la notoriété est déjà bien établie y participent rarement, ce qui ampute le concours d’une partie des meilleurs vins. Des agents de l’Etat viennent ensuite prélever directement dans les chais les échantillons et une présélection est effectuée au sein de l’appellation par les vignerons, eux-mêmes aidés de professionnels (restaurateurs, techniciens…), au cours de dégustations menées à l’aveugle. A l’issue de cette présélection, les élus – à peu près 40% des échantillons soumis – partent pour le Salon de l’Agriculture où attendent les 2000 dégustateurs répartis en jurys. Qui sont-ils ? Des représentants de la filière (producteurs, techniciens, sommeliers) mais aussi des « consommateurs avertis », autrement dit n’importe qui s’estimant suffisamment « averti ».  Les vins sont dégustés à l’aveugle par appellation et par type, sous la présidence d’un responsable de Jury, généralement issu de l’appellation, ce qui laisse la place à de possibles arrangements et copinages pour peu que l’on reconnaisse le vin de son voisin ou de son cousin (un producteur ne pouvant juger son propre vin, ce qui est la moindre des choses). Puis vient le moment de l’attribution des médailles discutées au sein de chaque jury : si la série de vins soumise est de qualité et si les jurés sont professionnels et scrupuleux, alors la médaille est significative ; si l’échantillonnage est médiocre, alors les moins mauvais vins seront médaillés. Voilà pourquoi, parmi les 3715 médailles du concours 2008 (un quart des vins présentés à Paris), des vins indignes passent entre les mailles du filet. Notre ami en fit l’amère expérience au cours du dîner (réponse b). A-t-il eu tort pour autant ? Pas vraiment, car en grandes surfaces on est bien obligé de se raccrocher aux seuls signes apparents de qualité. Son seul tort aura finalement été de s’égarer dans un supermarché (en dehors des foires aux vins) pour dénicher une bouteille fiable (à l’exception de certaines enseignes comme Monoprix). Pour le même prix, les cavistes (dans la rue ou sur internet) le font tellement mieux.

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