Acheter chez le vigneron : oui, mais…
Les vacances battent leur plein, la journée est belle, et plein d’énergie en ce début de matinée, l’envie d’une petite virée chez les vignerons locaux vous prend. Vous vous y pointez donc, dans d’excellentes dispositions, avec l’idée de faire le plein de bouteilles. Le soleil brille, les cigales crissent, la vigne est en pleine végétation et le vigneron très jovial. Vous pénétrez dans le chai et c’est déjà convaincu que vous entamez la dégustation, bercé par l’argumentaire au point du vigneron. Vous buvez ses paroles, le cadre et l’instant présent, plus distraitement le vin que votre interlocuteur vous présente avec emphase. Pour peu que vous ne crachiez pas et que la gamme soit un peu conséquente, une légère ivresse vient nourrir l’euphorie du moment. Ravi, convaincu, et sûr de votre coup, vous enfournez généreusement les cartons dans le coffre arrière : une caisse pour les vacances, le reste pour le retour.
Quelques mois plus tard, le temps a passé, le thermomètre a chuté, les cigales ne crissent plus et l’humeur n’est plus à l’insouciance. Bref, le quotidien a dissout le souvenir des vacances et l’envie vous prend d’en raviver un peu les parfums. Vous ouvrez avidement une des précieuses bouteilles acquises plus tôt. Ce qui était une fraîcheur désaltérante est devenue une acidité féroce, les arômes vous semblent fades, et le vin ne vous procure plus le même plaisir. Interloqué, vous regardez à deux fois l’étiquette mais pas de doute, c’est bien le même vin. Ce qui a changé, c’est tout le reste : le contexte, l’état d’esprit, le plaisir des lieux, celui de la compagnie… Vous venez de faire l’amère expérience qu’un vin n’a pas toujours le même goût dans des circonstances différentes. Et vous vous demandez un peu sceptique ce que vous allez faire des 24 ou 36 bouteilles stockées dans la cave.
Les dégustateurs le savent bien : la dégustation est un exercice qui a sa part de subjectivité, liée à l’occasion, à l’humeur, aux circonstances… L’expérience et l’habitude permettent de limiter les risques d’une grosse déconvenue mais c’est le privilège de ceux qui s’adonnent à l’exercice régulièrement. Sinon, et sauf si vous êtes sûr de votre coup ou si vous vous êtes muni d’une bonne littérature (guide, revues…), n’achetez pas trop d’un même vin (surtout s’il n’est pas destiné à être conservé longtemps) et, sans écumer toutes les caves de la région, faites 2 ou 3 visites qui vous donneront quelques points de comparaison. Si le vin vous séduit toujours autant à votre retour, il sera toujours temps d’en recommander. Quelques euros sacrifiés pour les frais de port valent mieux que 36 bouteilles d’un mauvais vin sur les bras car il est plus qu’hypothétique d’espérer un remboursement en retournant vos caisses.
Si le mal est déjà fait voilà quelques idées pour écouler votre stock bien encombrant : un rouge médiocre peut faire une sangria ou un vin chaud très correct ; un mauvais blanc fera un kir convenable. Sinon, servez vos blancs et vos rosés bien frappés (à 5 ou 6 ° il n’en restera pas grand-chose) et réservez vos rouges à un plat surchauffé par les épices (piment en priorité). Ça ne vous consolera pas de votre achat raté mais ça fera place net pour une acquisition plus judicieuse.
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