Que boire avec un burger ?

Que boire avec un burger ?

Antoine Alléno vient de nous quitter brutalement à l’âge de 24 ans. En son hommage, je ne pouvais pas moins que republier l’article que sa cuisine m’avait inspiré, une cuisine enjouée comme son thème, mais exécutée avec l’exigence de la grande table qui l’a parrainée.

2,6 milliards de burgers consommés en France en 2020 (1), ce qui en dit long sur un phénomène que la crise sanitaire a sans doute renforcé. L’élaboration du burger n’est d’ailleurs plus l’apanage des seuls fastfood, puisqu’elle a gagné toute l’échelle de la restauration, jusqu’à des tables étoilées ! Associé à la bière à l’époque de sa genèse, il l’a retrouvé dans sa terre d’adoption et continué son épopée en sa compagnie jusqu’à nos jours, avec de fameux sodas pour seule alternative. Pour évidente qu’elle soit, cette association n’est pourtant plus la seule depuis que les restaurants traditionnels l’ont mis à leur carte, où il devenu un plat à part entière et ainsi avoir droit à une même considération quand il s’agit de l’accompagner d’un vin.

La conquête de la restauration traditionnelle

Je ne reviendrai pas ici sur la success-story du burger, sauf pour rappeler qu’à son origine il y avait le hamburger, une spécialité sous forme de sandwich, attachée à la ville de Hambourg en Allemagne. Par aphérèse, il est devenu burger en traversant l’Atlantique, ramené par des immigrés allemands. D’une simplicité désarmante, sa recette originelle consiste en un steak haché servi au cœur d’un pain brioché. Met populaire sur sa terre native, sa vocation comme tel n’a fait que s’amplifier aux États-Unis où il a gagné le statut plat national et d’icône de l’American way of life. C’est sous l’influence de cet art de vivre et la force de sa promotion que le burger a gagné l’Europe, d’où il était parti ! Son émigration a fait florès, puisque ses ventes en France ont atteint le chiffre que l’on sait.

Cette expansion impressionnante doit surtout à sa conquête des restaurants hors fastfood, qui totalisent 75 % de ses ventes, selon une source bien informée (2). Il a ainsi conquis une place à part entière dans les menus de tout restaurant qui se respecte, gagnant même la catégorie des gastronomiques et, last but not least, jusqu’à l’élite des étoilés. Dans ce crescendo vers les sommets, il va sans dire que notre burger s’est métamorphosé en un sandwich hautement élaboré, avec des ingrédients et une interprétation à l’avenant, mais sans que la recette de base n’en soit bouleversée. Comme heureux corollaire à sa présence dans ces établissements, il a désormais droit aux mêmes égards que les autres plats quand il s’agit de lui trouver un vin de bonne compagnie.

De la bière, oui, mais quelle bière ?

La bière est indissociable de l’histoire et de la culture du burger, sans que sa conception ne lui soit liée, sauf que les deux produits partagent leur matière première : les céréales… D’un caractère moins formel que le vin, la consommation de la bière est de ce fait moins exigeante quand il s’agit de faire son choix pour l’accommoder à une nourriture. S’il est bien des contextes où elle est recommandée, ils sont plutôt d’ordre culturel, à l’exemple de la bière avec une choucroute alsacienne, où elle figure d’ailleurs parmi ses ingrédients. Cela dit, par référence aux États-Unis, pays du burger par excellence, c’est plutôt la bière qui gouverne le choix, pour ainsi dire. Il s’agit en l’occurrence d’une boisson légère, rafraîchissante et peu typée, dite de type lager à l’image de la fameuse Bud, la plus consommée d’entre elles. Cette habitude est d’ailleurs universelle, la bière s’étant largement autonomisée des mets qu’elle accompagne. Il n’y a aucun inconvénient à cela, et on est à peu près sûr de ne pas commettre d’impair en buvant une bière courante, blonde ou ambrée, avec son burger.

S’il n’existe aucun principe, a fortiori de règle, pour accorder telle bière avec tel burger, on peut toutefois trouver des alliances particulièrement seyantes pour les savourer de concert. C’est dans ce sens qu’il faut voir l’initiative originale et vraisemblablement unique prise par une petite chaîne de restaurants en Belgique, laquelle propose une gamme de bière spécialement conçue par ses soins pour accompagner ses burgers. Fondée à Liège en 2012, The Huggy’s Bar a ainsi mis au point 8 bières distinctes en étroite collaboration avec une brasserie artisanale également liégeoise, la Brasserie {C}. Son co-fondateur, Thomas Mémurlin, explique ainsi la vocation de chaque type de bière suivant une logique gustative. Je reprends ici la gamme proposée par cette enseigne, chaque bière ayant un nom de baptême tout en correspondant à une catégorie définie. Le tableau qui suit mentionne succinctement les caractères de chacune d’elle et suggère des alliances idoines.

Thbeer > bière ambrée : onctueuse et douce-amère > burger classique avec viande grillée et cheddar

Pilsa > bière pils : légère, amertume plaisante, mousse crémeuse et désaltérante > burger au poulet

Blondie > bière blonde : subtile et parfumée, mousse abondante, dite aussi bière de soif > burger au fromage/cheeseburger  

Whitney > bière blanche : veloutée et rafraîchissante, avec une tendance acidulée > burger au poisson/fish burger

Shiva > bière IPA pour Indian Pale Ale : amertume prononcée et goût plutôt tonique > burger avec des sauces relevées-épicées

Rosita > bière rosée : aromatisée à la framboise, saveur douce et acidulée > burger spécifique, genre « chic » au foie gras ou avec des fromages bleus

Trinity > bière triple : chaleureuse, corpulente, qualifiée de fruitée > burger copieux, dits double, garni de sauces puissantes

Le concept de Huggy’s Bar a poussé la logique des accords en faisant brasser une bière avec des tranches de bacon braisé, de la sorte que les burgers comportant justement du bacon n’en seront que mieux servis ! En toute logique, elle a été nommée Bacon Thbeer.

On peut donc s’inspirer de ce tableau établi en connaissance de cause, car expérimenté in situ, pour choisir sa bière en fonction de la nature d’un burger, ou vice versa. La grande latitude de conception et de composition des burgers, ainsi que les interactions entre les différents ingrédients font que ces alliances ne sont pas figées et doivent être prises avant tout comme des repères cohérents pour des équilibre gustatifs satisfaisants.

Jusqu’à des tables étoilées !

Ce titre est en fait un abus de langage, car les restaurants bénéficiant de ce statut prestigieux n’ont évidemment pas de burger à la carte ou au menu de leur vaisseau amiral, et le servent alors dans un établissement annexe dédié à une cuisine plus informelle. Burger Père & Fils de Yannick Alléno, un chef triplement étoilé, est le plus emblématique de ces bistrots chics, car entièrement dédié à la spécialité. Dans ce haut-lieu du burger, l’esprit haute couture attaché à la grande table y rejaillit dans l’esprit de sa confection, tout en respectant strictement ses fondamentaux. Il en est de même dans le choix des vins où les papilles du responsable de la sommellerie se sont exercées pour offrir des accords burgers-vins dignes d’une grande signature, tout en étant réalistes et en rapport avec la vocation de cet met sans manière.

Accords burgers-vins : les conseils d’un sommelier

Directeur de la sommellerie des restaurants de Yannick Alléno, Vincent Javaux m’a confié son approche de la question à l’épreuve des différents burgers proposés chez Burger Père & Fils. Concoctées classiquement par Antoine Alléno, fils du grand chef, leurs bases sont cependant peu ordinaires, avec notamment de la viande de bœuf maturée à point, du steak de veau de lait, et un végétarien d’une composition savante. Il va presque sans dire que tout est cuisiné pour délecter les papilles avec un esprit d’inventivité et un répertoire de condiments dignes d’une grande table. Pour autant, si les saveurs donnent dans l’effet de surprise, et non pas dans l’épate, elles restent dans le droit fil de la spécialité. C’est pourquoi, les conseils de notre sommelier peuvent servir de référence à bien des déclinaisons du burger.

Burger à la viande de bœuf

La cuisine fine, mais cependant goûteuse du lieu a permis d’apprécier la succulence d’un rouge de Marsannay légèrement affiné, du millésime 2017. Cela dit, le conseil d’un pinot noir bourguignon, relativement dispendieux, ne s’impose pas en la circonstance, d’autres variétés en rouge pouvant tenir parfaitement leur rôle, à condition qu’on y croque le fruit. L’éventail des possibilités est donc large, cependant, à l’écoute du sommelier on ira vers un grolleau de Loire ou un très jeune grenache en Côtes du Rhône. Si toutefois le poivre est de la partie, on mettra la barre plus haut en matière de puissance en optant pour une syrah, à l’exemple d’un Crozes Hermitage, ou plus humblement d’un vin de cépage du Languedoc, dont regorge la catégorie IGP Pays d’Oc.   

Burger au poulet/viande blanche/poisson/végétarien.

Le vin servi fut un blanc de Bourgogne, en l’occurrence un Rully, plus délicat que cossu, véritable « passe partout » quand l’exécution des burgers ne souffre pas l’approximation. Dans un contexte plus normal, c’est un blanc puissant et expressif qui fera l’affaire, plutôt à base de viognier ou de roussanne, de manière à s’accommoder à des sauces, a fortiori si elles sont complexes ou relevées. En cela, on trouvera son bonheur en Languedoc ou en vallée du Rhône.

Burger au fromage

La raclette a été prétexte à la réflexion, avec un choix porté sur un blanc moins aromatique, plus séveux et toujours riche, comme une jeune marsanne. La passion inclinerait à un blanc de Saint-Joseph, mais la raison portera sur une marsanne en IGP Pays d’Oc pour un accord pleinement satisfaisant. 

Ces suggestions ne prétendent pas à l’exhaustivité, mais valent pour avoir été dûment testées en situation. Elles font également dire qu’il ne faut pas se priver de « jolies » bouteilles au prétexte qu’il ne s’agit de simples burgers. Et le fait de raisonner par cépage ouvre l’horizon des accords à bien des vins dont la vocation principale est le partage en toute convivialité.    

On peut d’ailleurs extrapoler à loisir à partir de ces conseils et tenter par exemple des rouges au caractère poivré, issus de pineau d’Aunis (Loire) ou encore de mondeuse (Savoie). Dans cette famille on compte également le gamay (Beaujolais), lequel siéra tout autant, à plus forte raison si le steak est assaisonné de la sorte.



(1) Selon une étude d’Insight-CHD Expert faite à la demande de Socopa Restauration

(2) Communiqué par l’Observatoire de la Franchise   


© The Huggy’s Bar – Simon Detraz

L’auteur de l’article : Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».

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