Bordeaux 2021, analyse du millésime et achats en primeur

Bordeaux 2021, analyse du millésime et achats en primeur

Tous les acteurs et observateurs du bordelais s’accordent à clamer la spécificité d’un millésime très atypique comparativement à ceux qui l’ont récemment précédé. Affectée par une nature peu clémente, où gel et pluie n’ont pas épargné la vigne, avec de surcroît un été ombragé, l’année 2021 a fort heureusement connu un dénouement providentiel. Des vendanges sans trop d’anicroches ont en effet permis d’obtenir des vins d’un caractère tout aussi singulier, certes porteurs des signes de leur enfantement, mais en réminiscence des Bordeaux « classiques », élancés et digestes, assurément éloignés des riches expressions de ces dernières années.

Éphéméride du millésime*

Hiver 2020/2021. Le cycle hivernal augurant le millésime 2021 se déroule dans des conditions remarquables de douceur et particulièrement pluvieuses, avec même un mois de février parmi les plus doux depuis un demi-siècle ! Pendant cette période, les épisodes de froid sont vraiment limités dans le temps.

Printemps. Le cycle végétatif épouse un calendrier précoce avec un débourrement observé vers la fin mars, alors que les sols commencent à s’assécher de l’eau accumulée depuis l’automne, sauf les moins drainants d’entre eux. D’abord doux, le début de printemps tourne rapidement au gel, crucial et général les 7 et 8 avril. Malgré tous les efforts pour juguler son impact, les dégâts s’avèrent conséquents et n’épargnent que peu de secteurs. Parmi les plus touchés figurent les Graves et le Sauternais, le Blayais, Saint-Emilion et l’Ouest du Médoc. Les appellations communales médocaines abritant les crus classés en réchappent grâce à leur proximité de la Gironde. Ralentie par l’impact du gel, la croissance de la vigne montre en outre une nette hétérogénéité entre et au sein même des différents secteurs. Un mois de mai pluvieux et plutôt frais n’encourage pas son développement végétal et l’environnement de la fleur. Cela dit, les chaleurs de la première quinzaine de juin permettent la floraison sans trop de retard par rapport à la moyenne des deux dernières décennies.

Été. A la période charnière printemps-été, une succession d’orages doublés parfois de grêle accentue nettement le cumul des précipitations et la pression du mildiou. Quasi quotidiennement pluvieux, le temps de la première quinzaine de juillet n’arrange rien, le reste du mois continuant à être dégradé par des températures relativement basses et un ensoleillement insuffisant. Pendant cette période, la vigne poursuit sa croissance et parvient à sa nouaison sans avoir connu la contrainte hydrique indispensable pour aborder au mieux la véraison. Dans ce contexte, cette dernière tarde à se produire et traîne en longueur tout au long du mois suivant, cependant, à partir de la mi-août le climat rejoint enfin les normales saisonnières et libère ainsi le cycle de maturation. L’été commence réellement, si l’on peut dire, avec des journées ensoleillées, chaudes sans extrêmes, des nuits légèrement fraîches et une absence de précipitations. Les raisins en profitent et gagnent une richesse en sucres substantielle tout en gardant une taille très importante, surtout les merlots, ainsi qu’une acidité élevée.

Fin d’été – début d’automne. Si elle débute à la toute fin du mois d’août dans le Sauternais, la récolte des raisins blancs ne se généralise que progressivement et se poursuit pendant les trois premières semaines de septembre. Les quelques pluies tombées au début du mois n’affectent pas trop leur état sanitaire, la pourriture grise n’ayant eu qu’un impact limité et localisé. Tous les critères sont alors réunis pour envisager des vins axés sur la fraîcheur et l’expressivité, l’acidité préservée jusque-là leur ayant conservé un potentiel aromatique intéressant.

Bien que traversé d’épisodes orageux, septembre s’avère particulièrement chaud et profite à la maturité de l’ensemble des merlots, que l’on ramasse à partir du 20 et jusqu’en début octobre. Toutefois, l’annonce de très sérieux risques de pluies pour le 3 octobre précipite leur vendange chez des acteurs prudents, hélas au détriment de raisins parfaitement mûrs. Fort heureusement, ces prévisions pessimistes sont infirmées par le retour dès le 5 octobre de journées chaudes, douées d’un ensoleillement exceptionnel, alternant avec des nuits fraîches et enfin exemptes de pluies. Sous ce climat, les cabernets franc et sauvignon achèvent on ne peut mieux leur maturité avec un profil identifiant l’année.

Dans le Sauternais, déjà très amoindris en volume, les raisins touchés par le botrytis se raréfient d’autant et sont généralement l’objet de trois tries effectuées tout au long du mois d’octobre. Leur meilleur potentiel résulte toutefois de celle faite au milieu du milieu du mois. Plus spécifiquement à Barsac, les pertes consécutives au gel ont été telles que des châteaux ne produiront pas de liquoreux. 

L’analyse du millésime

Afin de rendre compte du millésime 2021 d’une manière plus incarnée, j’ai donné la parole à des experts faisant autorité dans leur métier pour un commentaire sur les circonstances de sa gestation et entrevoir le potentiel des vins nés sous des auspices aussi particuliers. Ainsi, dans les lignes qui suivent, je rends compte des témoignages d’Éric Boissenot et de Stéphane Derenoncourt, deux éminents consultants qui dispensent leurs conseils à de nombreux châteaux et parmi les plus prestigieux, chacun œuvrant suivant sa propre philosophie.

… par Éric Boissenot

C’est avec méthode qu’Éric Boissenot décline les étapes significatives et les jalons précis qui ont scandé un millésime qu’il qualifie d’emblée de « classique », de ceux qu’il affectionne, même s’ils sont souvent mésestimés dans l’opinion. Toute proportion gardée, il n’hésite pas à faire un parallèle stylistique entre 2021 et 2014, et même 2001, voire 1999 en remontant plus loin dans le temps.

En égrenant les péripéties de l’année viticole, il souligne les temps forts qui fondent sa singularité, ainsi un hiver très humide et doux, à l’origine d’un débourrement avancé. Le gel y figure évidemment dans son énumération, avec un addenda où il note d’autres dates qui n’ont pas été vécues comme un trauma collectif, car plus localisé, s’agissant du 13 avril et du 3 mai. Par ailleurs, des averses orageuses du mois de juin, il retient le mildiou comme conséquence majeure en émettant le présage d’une faible récolte. L’état sanitaire alors préoccupant lui fait dire de vive voix les difficultés pour le combattre depuis que les traitements systémiques ne sont plus en odeur de sainteté, la culture bio ou l’emprunt à ses méthodes étant de plus en plus adoptées. 

Dans le chapitre sur les vendanges, il s’exprime sur la rumeur concernant la date pivot du 3 octobre, censée sanctionner l’échéance de la réussite du millésime. Il le fait avec véhémence en s’insurgeant contre ce qu’il qualifie de « très mauvaise interprétation », et la rapproche des annonces défaitistes propagées dans le vignoble dès le mois de mai. Cela dit, il avoue comprendre une telle proclamation, car il y avait un risque réel de pluies abondantes. Par chance, la dernière étape vers des maturités accomplies a été épargnée des prédictions les plus sombres et s’est achevée sereinement dans la semaine du 11 octobre, qu’il a consignée dans son mémoire. 

Au prix de pertes importantes en volume, de l’ordre de 30 à 40 %, sinon plus, Éric Boissenot juge l’année très satisfaisante sur le plan de qualité, et s’en explique dans ce que je rapporte de son propos… En ce qui concerne le comportement des cépages dans ces conditions, il fait remarquer que les deux cabernets ont mieux réussi que les merlots, ceux-ci ayant vu leurs raisins grossir démesurément sous l’action récurrente des pluies. Consécutive à ce phénomène, la déficience des jus a dû être corrigée en vinification, en pratiquant notamment des saignées, voire en ayant recours à la chaptalisation. Quel que soit le parti adopté, le profil moyen des rouges reflète une vérité du millésime avec des vins titrant un taux d’alcool modéré et couronnés de tanins mûrs, sans verdeur ni austérité. Sur ce dernier constat, il fait en aparté un parallèle avec le 2014, un millésime qualifié également de frais, mais ayant engendré des tanins moins aimables. Concernant l’élevage des rouges, son expérience fait qu’il ne conçoit pas de régime particulier, au contraire, l’usage de bois neuf aidant à construire les vins, sinon à les fortifier. Quant aux blancs, ils ont été à leur avantage dans ces conditions, aromatiques et étirés par de la fraîcheur, au grand bénéfice de leur vocation, tandis que ceux du Sauternais, leur volume infime a été inversement proportionnel à leur qualité. 

… par Stéphane Derenoncourt

Stéphane Derenoncourt s’exprime avec lucidité en parlant d’un « millésime de riches » pour mettre l’accent sur les moyens qu’il a fallu mettre en œuvre pour faire face aux situations critiques auxquelles la vigne a été confrontée. Par-là, il entend que les grands châteaux ont été indéniablement avantagés, tandis que les plus modestes ont forcément agi avec les moyens du bord, et c’est là tout leur mérite dans le contexte d’inégalité que l’on sait. Pour lui, un millésime aussi difficile à appréhender a au moins eu le mérite de mettre en évidence tous les progrès accomplis ces dernières années en viticulture.

Pour qualifier le style des vins engendrés par une année aussi atypique, il procède par allusion en évoquant l’éveil de « la nostalgie des bordeaux d’autrefois » pour ensuite le préciser en parlant de « retour à l’élégance », un caractère suscité par une moindre teneur en alcool. Toujours sur un plan positif, il parle de vins charmeurs sans l’once de relents végétaux, en nuançant toutefois sa remarque pour pointer un critère majeur déterminant leur réussite : leur perception « en milieu de bouche », qu’il nomme joliment le « piment du millésime ». Il constate en effet que dans leur ensemble, les expressions présentent un déficit sur cet aspect, excepté quelques vins qui « survolent un peu le millésime dans leur constitution ». Ce type de profil largement partagé en a fait des vins faciles à déguster lors de leur évaluation en primeur, avec des notations à l’avenant. Pour autant, cet état flatteur devrait en appeler à la vigilance de leurs auteurs, car bien des vins qui lui paraissent fragiles nécessiteront un élevage adéquat afin que le bois ne prennent pas l’ascendant sur le vin proprement dit. Dans ces conditions, il préconise un élevage soigné et précis avec du discernement dans le choix des fûts, en se défiant d’un usage immodéré de bois neuf.  

En considérant la géographie du vignoble, notre consultant n’insiste pas outre mesure sur les secteurs qui ont tiré leur épingle du jeu. C’est tout juste s’il se déclare satisfait par les fruits de Pessac-Léognan et du nord du Médoc, à partir de Saint-Julien. Sa réflexion sur les terroirs en vient à dire que les sols riches en argile ont été avantagés, compensant les déficiences en matière par la puissance qu’ils engendrent naturellement, cela en délivrant des vins « étincelants dans leur profil aromatique ». 

Les vendanges scrutées par Julien Viaud

Julien Viaud est œnologue-conseil au sein de l’équipe que Michel Rolland a constitué autour de lui. Fort de ses nombreuses interventions, il nous livre ses impressions sur la période qui a encadré les vendanges.

Son propos préliminaire se situe au mois d’août et confirme les déficits de chaleur et de luminosité qui ont caractérisé le début de l’été. L’état des lieux qu’il présente pour la fin du mois n’est guère encourageant, avec des raisins sans goût, gorgés d’eau et d’acidité. A n’en pas douter, la maturité n’est pas encore au rendez-vous. Pour cela, le regain de chaleur pendant la première quinzaine de septembre rassure et profite à la maturation des raisins blancs de sauvignon et de sémillon. Suffisamment équilibrés sous le rapport sucre/acide et dotés de bons indices aromatiques, les premiers commencent à se récolter avec la perspective d’expressions fraîches et nerveuses. Par touche ou en partie, l’apport de sémillon paraît indispensable pour juguler éventuellement les saillies déplaisantes du sauvignon, ce qui sera possible à partir de la mi-septembre. C’est à ce moment-là qu’apparaissent les premiers signes de maturité des rouges, lesquels coïncident malheureusement avec un retour des pluies qui complique d’autant leur cueillette. 

Ayant déjà accaparé l’attention et l’énergie des vignerons, le mildiou s’est vu doublé en cette période par l’apparition de la pourriture grise (botrytis), décelable au sein des grappes, sans toutefois les atteindre totalement. Fort heureusement, ce fléau ne s’est jamais développé, mais il n’a pas manqué d’ajouter à une vigilance déjà largement mise à l’épreuve.

La récolte générale des merlots fin septembre n’a pas été de tout repos, à cause des disparités constatées dans les niveaux de maturité, surtout qu’il a fallu attendre le stade phénolique des baies au risque de rester sur l’aspect végétal du fruit. Comparativement, le mois d’octobre a connu un temps de rêve, alternant journées chaudes et nuits fraîches, et épargné de toute pluie. Dans ces conditions, toutes les réserves faites sur la physiologie des raisins se sont dissipées. Ainsi, les profils aqueux, les notes herbacés, les peaux épaisses et les pépins amers observés antérieurement ont cédés pour des aspects en tout point satisfaisants. A ce descriptif peu flatteur s’est alors substitué un florilège de qualités : des raisins plus en substance, avec une évidence du fruit, une peau fine et des pépins mûrs. 

Ce qu’il faut retenir du millésime…

De leur de point de vue qui embrasse pratiquement tout le vignoble de Bordeaux, les œnologues-conseils aussi omniscients que nos témoins s’accordent très largement sur l’interprétation du millésime 2021, et concluent sur un bilan plutôt positif. Cet happy-end le doit à une nature qui s’est avérée clémente pendant la période cruciale qui encadre les maturités, et généreuse à un moment-clé des vendanges, une fois passés le cap où la réussite du millésime pouvait être remise en question.

Les conditions contraignantes qui ont caractérisé son cours ont eu pour mérite de révéler des savoir-faire efficients dans la conduite de la vigne quand il s’est agi de contenir les effets du gel ou de lutter contre les maladies consécutives aux excès des pluies, le mildiou venant largement en tête. Accumulée au fil des ans, cette expérience recouvre autant d’actions que la prophylaxie, les modes de traitement et de trie. A ce sujet, Éric Boissenot parle du changement des mentalités qui ont accompagné ce progrès vers plus de précision et moins de systématisme dans les pratiques. Stéphane Derenoncourt le rejoint dans cette considération lorsqu’il insiste sur l’acquisition d’une approche plus raisonnée de l’agronomie.

Si les blancs sont loués unanimement et sans réserve par nos experts, ceux-ci se rejoignent également pour cerner le profil moyen des vins rouges nés dans ces circonstances. Ils se retrouvent ainsi peu ou prou autour du qualificatif « charmeur » pour désigner des expressions volontiers aimables, fruits d’une concentration intermédiaire sans impression de déséquilibre, d’un degré alcoolique modéré sans défaut de maturité, en rupture avec une série de millésimes généreux. Dans leur évaluation, ils sous-entendent toutefois des résultats hétérogènes, fonction de l’impact et de la nature des perturbations qui ont entaché son déroulement, et des réponses qui ont pu éventuellement leur être données.

Où acheter des Bordeaux 2021 en primeur ? Les adresses que nous recommandons …

Il est possible d’acheter avantageusement des Bordeaux du millésime 2021 dès à présent, alors qu’ils ne seront livrés qu’une fois accompli leur temps d’élevage, généralement en 2024. C’est ce qu’on appelle l’achat en primeur, qui équivaut d’ailleurs à une réservation ferme. Dans son principe, on s’acquitte de son achat au moment de la commande, sans payer de TVA, laquelle sera réglée au moment de la livraison. Comparativement aux prix du marché courant, ce mode d’achat procure toujours un gain, qui varie cependant en fonction de la cote du millésime. Il n’est donc pas chiffrable a priori, mais peut atteindre 30 % dans le cas d’une grande année. Bien que ce soit sa vocation première, ce mode de vente ne concerne pas uniquement les crus classés ou assimilés (Pomerol), et porte également sur des Bordeaux moins prestigieux, à des tarifs évidement plus accessibles.

Pour effectuer des achats sûrs et bénéficier de services attentionnés, voici une sélection d’enseignes pratiquant la vente en primeur, parfois exclusivement. Il faut garder à l’esprit qu’une discipline des prix règne entre elles, faisant qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte le facteur de concurrence. Nous les avions présentées dans notre guide des sites d’achats en primeur ICI


Site ➤ cavissima.com


Site ➤ chateaunet.com


Site ➤ millesima.fr


Site ➤ lagrandecave.fr




* Source principale : « Le millésime 2021 à Bordeaux » sous la direction des professeurs Laurence Geny et Axel Marchal de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de l’Université de Bordeaux, Unité de Recherche Œnologie.

Crédit photos : Union des Grands Crus de Bordeaux, Jean-Bernard Nadeau, Christophe Goussard, Journal du Vin

L’auteur de l’article :

Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».

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