Combien vaut un vignoble ?

Combien vaut un vignoble ?

L’achat en 2011 du domaine de Château Miraval par le couple d’acteurs Brad Pitt et Angelina Jolie a jeté un éclairage spectaculaire sur une tendance alors récente, celle d’acquisitions de propriétés viticoles par des célébrités extérieures à l’univers du vin. Ce phénomène très médiatisé avait eu cependant des antécédents, mais qui étaient le fait d’entreprises, d’hommes d’affaires ou d’investisseurs institutionnels, à l’instar du groupe d’assurances AXA, pionnier dans le genre, puisqu’il avait commencé en 1987 à constituer un enviable portefeuille de fleurons de Bordeaux et de Bourgogne. Les prix astronomiques atteints par ces domaines correspondent à ce que les anglo-saxons qualifient de « Trophy Assets », une allusion très explicite à la notion de trophée, autrement dit des biens considérés pour leur valeur somptuaire, qui défient quelque peu les enjeux de la logique économique. En effet, au cours de la dernière décennie, on estime que quelques 100 millions d’€ * ont été nécessaires pour acquérir le fameux Clos des Lambrays, un Grand Cru bourguignon de moins de 9 ha, tandis que les 7,5 ha de son homologue, le Clos de Tart, ont été acquis pour plus de 200 millions d’€ * !

Très voyantes, à la fois par la notoriété des acquéreurs et le prestige attaché à ces vignobles, ces mutations ne constituent toutefois que la partie émergente et toute marginale d’un marché qui se pratique toutefois sur des bases bien réglées, celles du coût à l’hectare, dont il est rendu compte ci-dessous. Cependant, au-delà de cette unité de surface, la vente de vignoble reste, dans bien des cas, en correspondance avec celle d’une entière propriété, incluant un bâti et parfois des terres attenantes non cultivées. Dans cette considération, les cas de figure sont nombreux et font l’objet d’un marché à part entière qui attire autant des investisseurs œuvrant déjà dans la filière du vin que de non-professionnels. Sur la foi d’un spécialiste des transactions de domaines viticoles, l’éventail des types d’acheteurs est relativement large, chacun étant motivé par son propre projet. Dans cette typologie, il apparaît que les « néo-vignerons » représente environ 60 % de la clientèle, dont 30 % sont de nationalités étrangères, en grande majorité européennes.

Le prix des vignes à l’hectare par région (référence : année 2020)

Les chiffres qui émaillent l’état des lieux qui suit émanent de la SAFER, ou plutôt des SAFER, puisque leurs compétences sont régionales. Il s’agit de sociétés de droit privé, mais agréées par l’Etat pour réguler le tissu rural et par conséquent les exploitations viticoles. Leur statut les autorise à intervenir sur le marché foncier et même à exercer un droit de préemption visant au respect du code rural. Entre autres prérogatives, elles doivent veiller à la sauvegarde du caractère familial des exploitations et à la lutte contre la spéculation foncière. Je souligne ces deux aspects, car ils concernent de manière cruciale les mutations des propriétés viticoles.

En me référant strictement aux données communiquées par les SAFER, j’ai dressé une synthèse significative du prix des vignes dans les principales régions viticoles sur la base des transactions opérées en 2020 au sein de chaque appellation. Pour un confort de lecture, mon propos est rédigé au présent, car si les ventes sont effectivement révolues, leur montant est toujours d’actualité en attendant que soient publiés les chiffres pour l’année 2021.

Alsace

Moins bien loti en Grands Crus que le Haut-Rhin, le département du Bas-Rhin a également une moindre cote sur le plan foncier, soit 107 700 € l’hectare contre 126 400 €. A ce niveau de prix, les vignes alsaciennes se situent dans la frange supérieure de la moyenne nationale.

Beaujolais

Le vignoble présente deux versants bien distincts qui se traduisent par des prix à l’avenant et très contrastés. Alors que les AOC Beaujolais et Beaujolais Villages se cantonnent à des prix avoisinant les 10 000 €/ha, ceux des crus culminent à 100 000 €/ha en Moulin-à-Vent, avec dans l’intervalle des cotes soutenues/respectables de 87 000 €/ha en Fleurie, 65 000 €/ha en Brouilly, Côte de Brouilly et Morgon, pour ne citer que les plus demandés.

Bordeaux

Le profil du Bordelais traduit la hiérarchie des nombreuses appellations qui le composent, avec de très forts contrastes de prix, en relation avec ses disparités en matière de notoriété. La palme tarifaire revient logiquement aux appellations communales, là où Pauillac se distingue d’entre tous les Grands Crus Classés du Médoc avec 2,8 millions d’€ pour un hectare portant son estampille. Sur la Rive Droite, Pomerol donne sa réplique sous forme d’une cote à la hauteur de son enviable réputation, soit 2 millions d’€. A côté de ces terres rares, les plus humbles où fleurit le nom simple de Bordeaux valent en moyenne 13 000 €/ha, tandis que des appellations plus notoires affichent des prix en conséquence : 34 000 €/ha en Graves et 40 000 €/ha en Médoc. Quant au vignoble de Saint-Emilion, sa cote reflète la valeur de son rang, puisque 300 000 € sont nécessaires pour y acquérir une même unité de surface. Dans ce tableau, certaines inégalités de sort s’avèrent particulièrement flagrantes. Ainsi dans les Graves, lorsque l’on compare l’appellation régionale (AOC Graves) et son élite Pessac Léognan avec ses Crus Classées, le rapport des prix est presque de 1 à 20, soit respectivement 34 000 €/ha contre 600 000 €/ha.

Bourgogne

Prestige absolu et rareté des terres se conjuguent pour consacrer indubitablement la Bourgogne des Grands Crus où, avec 6,8 millions d’€, le coût de l’hectare est au faîte de l’ensemble des vignes françaises ! C’est le département de la Côte d’Or qui abrite ces vignobles convoités, dont la catégorie juste inférieure, celle des Premiers Crus reste à des prix extrêmement élevés, l’hectare s’y négociant à 1,7 million d’€ l’hectare en blanc, et 730 000 € en rouge. A sa suite, le decrescendo qui s’opère n’est cependant sans jamais inférieur à 350 000 €, cela pour une surface équivalente en rouge d’appellation communale de la Côte de Beaune. Les secteurs annexés à cette Bourgogne élitiste, Côte Châlonnaise, Mâconnais et Chablisien, affichent quant à eux des grilles tarifaires plus « raisonnables », d’où émergent évidemment leurs fleurons, ainsi Pouilly-Fuissé (240 000 €/ha), Chablis (180 000 €/ha) et Chablis Premier Cru (400 000 €/ha). Quant à leurs rouges de premier ordre (Givry, Mercurey, Rully), leur cote est moindre, avec une moyenne donnée à 110 000 €/ha.

Champagne

En Champagne, le schéma du prix à l’hectare est on ne peut plus simple, puisque l’ensemble de son aire délimitée obéit un peu moins à une hiérarchie des crus qu’à un niveau global ayant pour repère le million d’€. En effet, mis à part une petite partie (environ 10 % de la surface totale) située dans l’Aisne et dont la valeur à l’hectare est de l’ordre de 860 000 €, et le vignoble de l’Aube (23 % en surface) coté autour de 930 000 €, toute les vignes situées dans la Marne dépassent 1 millions d’€, plus nettement dans la Côte des Blancs où l’on atteint le chiffre confortable de 1,59 million d’€.

Languedoc-Roussillon

Région remarquable par son renouveau et un dynamisme qui ne cesse de s’y exprimer, le Languedoc-Roussillon reste paradoxalement une terre où il est encore possible d’investir sans disposer de moyens démesurées, loin de là. Ainsi, hormis Pic Saint-Loup, un cru incarnant sa réussite de manière éloquente pour mériter à présent une cote de 60 000 € à l’hectare, quasiment toutes les vignes échangées restent sous le seuil des 25 000 €, y compris des appellations en effervescence comme les Terrasses du Larzac (24 500 €/ha). Une même sagesse des prix caractérise le Roussillon, où se démarquent ses terroirs les plus enviés, ceux de Banyuls et Collioure, au sein desquels l’hectare s’échange pour 20 000 €.

Loire

Région estimée, surtout pour ses blancs, la Loire peut se prévaloir d’une certaine sagesse dans les mutations de son foncier viticole. C’est d’ailleurs la réputation de ses blancs, Sancerre en tête, qui occasionne les prix les plus élevés. Avec 220 000 € l’hectare, cette appellation renommée partage d’ailleurs l’engouement qu’elle suscite avec ses voisines du Cher, certes à un moindre niveau, puisque sa dauphine, Menetou-Salon, est placée à 80 000 €. Cette logique concerne également Pouilly-Fumé (157 000 €/ha), vignoble situé dans leur mouvance. Cela dit, les rouges ligériens suscitent une demande bien moins soutenue, car seules les vignes en Saumur-Champigny et Saint-Nicolas-de-Bourgueil émergent de l’ensemble (respectivement 63 000 et 52 000 €/ha).

Provence

En Provence, l’attrait pour la région de la part d’investisseurs rejaillit exclusivement sur les Côtes de Provence de sa zone littorale, où la vigne à l’hectare a quasiment doublé en valeur entre 2013 à 2020 pour atteindre aujourd’hui 100 000 €, un prix qui représente également le double de celui pratiqué sur les autres secteurs de l’appellation. Seules des vignobles riches de leurs singularités égalent ou excèdent ce niveau, ainsi Cassis (100 000 €) et Bandol (125 000 €). Quant aux principales AOC régionales, leur cote reste bien en dessous de ce cercle privilégié, les Coteaux d’Aix-en-Provence et les Coteaux Varois en Provence affichant respectivement des prix de 35 000 et 32 000 €.

Sud-Ouest

Appréciée pour sa gastronomie, cette vaste région parsemée de vignobles, chacun se prévalant d’une personnalité, parfois affirmée, se situe malgré cela dans la moyenne basse des prix du foncier viticole. Même riche d’une assise historique, Cahors voit ses vignes négociées à seulement 11 000 €/ha. Avec 15 000 €/ha, Madiran n’est pas mieux loti, malgré l’émulation que ce vignoble avait suscitée au temps de son émergence. Fait remarquable dans ce contexte, les Côtes de Gascogne se hissent à leur niveau malgré un statut modeste d’IGP, et se prévalent d’un prix de 14 000 €/ha.

Vallée du Rhône

La Vallée du Rhône jouit d’une très bonne réputation, tout spécialement à travers ses crus, et notamment le plus célèbre d’entre eux, Châteauneuf-du-Pape, où l’hectare se vend pour 450 000 €. En parallèle, les appellations septentrionales affichent des prix en rapport avec un même prestige, doublé d’une véritable rareté des vignes. Ainsi, Cornas et Côte-Rôtie s’échangent respectivement à 500 000 et 1,15 million d’€ pour un hectare. En descendant dans la hiérarchie, c’est Gigondas qui se détache (210 000 €/ha) de l’ensemble, suivi de Crozes-Hermitage (140 000 €/ha), Saint-Joseph (120 000 €/ha) et Vacqueyras (100 000 €/ha). Une inégalité certaine caractérise le statut des autres crus du sud de la région, 80 000 € étant la somme nécessaire pour acquérir un hectare sur Cairanne, Rasteau ou Beaumes-de-Venise (rouge), alors que la cote d’une vigne équivalente sur Lirac est d’à peine 30 000 €, soit au niveau d’un Côtes du Rhône Villages avec nom de commune, du moins dans le département du Vaucluse (28 000 €/ha).


* Il s’agit d’approximations, les montants réels n’ayant pas été communiqués officiellement. En tout cas, ce sont ceux diffusés par la presse économique (Les Echos).

Crédits photos (dans l’ordre des régions) : Bourgogne d’Aujourd’hui – Rando Vélo – Alain Doire – Laurent Dal Zovo – Office de Tourisme d’Aix-en-Provence – Office de Tourisme de Gaillac – Concours de Vins d’Orange

Je tiens à remercier le service communication de la Fédération Nationale des SAFER, et plus particulièrement Delphine Golfier, pour avoir prêté son entier concours à la réalisation de cet article.

L’auteur de l’article : Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».

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