Escapades Gardoises (3)
Cette étape-ci rassemble deux domaines presque voisins, situés sur la commune de Domazan. Cette proximité n’est pas seulement géographique, puisque le mode de conduite des vignes les rapprochent, s’agissant d’une viticulture en mode biologique. L’un d’eux, Château des Coccinelles pour ne pas le nommer, fait d’ailleurs parti des pionniers de cette pratique et pourra bientôt se prévaloir d’un demi-siècle d’expérience. Soumis à cette même discipline, Château de Bosc s’en est imposé une autre, celle des vins sans sulfites ajoutés. Non content d’en faire son credo, il a été en outre un novateur en la matière, prenant en cela le contre-pied de leur vocation réputée éphémère en mettant en œuvre une méthode probante pour leur assurer une stabilité à l’épreuve de temps.
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Château de Bosc
La demeure incarnant le domaine a bien l’allure d’un château, surtout qu’elle s’inscrit dans un parc arboré et ordonnancé comme il se doit. Sa vocation viticole ne se devine pas, puisque l’endroit abrite avant tout un musée des plus singuliers, dédié au vélo et à la moto, avec des modèles de choix dont l’un d’eux a valeur de monument historique ! Ce n’est pas tout, car d’autres curiosités et des activités ludiques s’y agrègent pour former un ensemble touristique où les enfants ne sont pas oubliés, ni d’ailleurs l’art sculptural dont les œuvres émaillent le parc. Quant au vin, sa présence au sein du château est en catimini et se contente d’une seule pièce en guise de caveau d’accueil. Aujourd’hui retiré, Claude Reynaud ne s’est donc pas contenté d’être vigneron, assouvissant et partageant une passion pour les deux roues, qui s’est étendue bien au-delà de leur univers.
Avant de faire du château un tel lieu de ralliement et en quelque sorte l’épicentre de son vignoble, Claude Reynaud était établi à Castillon-du-Gard, travaillant une superficie importante de vignes éparpillées sur plusieurs communes. L’acquisition en 2000 du Château de Bosc lui a permis de recentrer son activité sur la quinzaine d’hectares entourant la demeure, à laquelle s’ajoutent quelques parcelles situées dans les environs, le tout implanté sur un terroir de choix, ayant droit à l’appellation Côtes du Rhône Villages Signargues. Œuvrant en mode conventionnel, le domaine amorce une profonde mutation dans ses méthodes tant viticoles que vinicoles à partir de 2005 sous la houlette de Guillaume Reynaud, son fils et successeur. Fait peu commun, ce changement concerne d’abord l’élaboration des vins, avec le choix résolu de les produire sans ajout de sulfites. Le vigneron explique tout simplement ce parti par sa propre intolérance à cet intrant. En cela, il ne se réclame d’aucune des mouvances qui rassemblent nombre de vignerons ralliés à cette cause. Sa méthode relève d’ailleurs de pratiques où le fait de la nature reste sous contrôle. Il en est ainsi pour la phase de fermentation, amorcée par des levures sélectionnées à partir de raisins du domaine, de préférence à l’action spontanée des souches indigènes.
Après une longue phase d’expérimentation, les premiers vins sans sulfites ajoutés voient le jour en 2010, tandis que la méthode s’applique à l’intégralité de la production depuis 2016. Le constat de leur bonne tenue dans le temps a incité Guillaume Reynaud à le clamer haut et fort par la mention « sans sulfites de garde » apposée sur les étiquettes à partir du millésime 2013. S’il revendique l’épithète « de garde », il le fait avec raison, puisqu’il conserve de précieux témoins de son parcours à risques, à savoir une collection confidentielle de bouteilles constituée depuis 2010, l’année probatoire de sa méthode. Cette notion de garde n’a pas trouvé meilleur plaidoyer qu’un traité rédigé avec clarté et conviction par son père : « Vins bio et sans sulfites, mythe ou réalité ? »*. Une conception des vins aussi intègre ne saurait se passer d’une viticulture en mode biologique, dont la certification a été acquise en 2012. Cependant, le domaine ne se contente pas d’arborer simplement ce label, et s’astreint à entretenir une riche biodiversité dans l’environnement de ses vignes.
La gamme de vins emblématique de Château de Bosc est baptisée « Artémis », agréée en Côtes du Rhône et existante dans les trois couleurs. Elle consacre le savoir-faire, l’exigence, mais aussi le style qu’affectionne Guillaume Reynaud. Elaborés sans ajout de sulfites, le blanc et le rosé sont toutefois protégés par un léger sulfitage au moment de leur mise en bouteilles. Quant au rouge, il s’agit bien d’une expression intégralement sans sulfites ajoutés. Dans leur ensemble, ces vins contrastent avec l’identité courante des vins rhodaniens. Ainsi le blanc, déjà atypique car forgé par du viognier, il se distingue par un faible titrage en alcool, à peine 12 % vol. Ainsi constitué, le 2021 n’a certes plus les atours de la jeunesse, mais reflète une expression où tout s’est mué en séduction, harmonie et subtilité, révélant avec justesse les traits du cépage, mûr sans excès, laissant libre cours à l’expression de la fraîcheur, sans perdre de l’intensité d’un goût succulent. Le rosé est également singulier dans son genre, tirant son allure gracieuse d’une composition atypique à majorité de mourvèdre. En tout cas le 2022 met en exergue des qualités de corps ayant vocation à des accompagnements à la hauteur de la sève exquise dont il recèle. Quant au rouge « Artémis », la jeunesse du 2021 n’empêche en rien l’appréciation d’un style complet et très expressif. Produit d’une syrah prépondérante et d’une vinification patiente, il en délivre une riche essence suivant un rendu harmonieux où le plaisir du fruit tient une large place.
A côté de sa gamme ambassadrice, le domaine élabore un rouge en Côtes du Rhône dont l’intitulé – « Cuvée 1872 » – renseigne sur l’année de construction dudit château. Il s’agit bien sûr d’un vin sans sulfites ajoutés, dont la qualité surprend en regard de son prix modeste. Alliant grenache et syrah à parité, il fait valoir un naturel attachant, avec du bouquet, ce qu’il faut de goût (épices, baies noires, réglisse) et de fraîcheur, souple sans maigreur et structuré sans excès, à la mesure de son style gouleyant. Ce sont là les traits qui définissent un 2019 savoureux et sans l’ombre d’une ride. Conçu distinctement par un ajout de marselan à une composition similaire, « Vélocipède » désigne également un Côtes du Rhône rouge qui se différencie en outre par un caractère résolument séducteur qui doit bien sûr à sa jeunesse, s’agissant d’un 2021 où l’on croque le fruit et dont on savoure la chair pulpeuse.
Mes vins préférés :
Côtes du Rhône rouge 2021 – « Vélocipède » – Bio et sans sulfites ajoutés
Le nez dispense un air résolument gourmand sous la forme d’un fruit riche et pulpeux évoquant surtout de la figue confite, agrémenté d’un note fraîche réglissée-mentholée.
En bouche, l’impression de volume canalise à point une matière étoffée et empreinte d’un goût délicieux reproduisant les arômes. Des tanins légers, fruités et salivants concluent agréablement l’expression d’un vin plaisir.
Côtes du Rhône rouge 2021 – « Artémis » – Bio et sans sulfites ajoutés
Sur un ton frais et puissant, non dénué d’élégance, le nez exprime un fruit intense et envoûtant mariant comme des épices douces et des fruits noirs (myrtilles), rehaussés d’une senteur de violette.
D’une ampleur harmonieuse, la bouche se prévaut également d’une texture délicate, juteuse et littéralement délicieuse, dont le fruit donne un fier écho aux senteurs et persiste au-delà d’une structure au grain tendre et soyeux, propre à parachever son ensemble.
Prix des vins cités :
☛ Côtes du Rhône « Cuvée 1872 » : 7,50 € ☛ Côtes du Rhône « Vélocipède » : 9,50 € ☛ Côtes du Rhône « Artémis » blanc, rosé, rouge : 12,50 €
* par Claude Reynaud, aux éditions Libre & Solidaire
➤ 651 Chemin du Bosc, 30390 Domazan
➤ site internet : … ici
Château des Coccinelles
Le Château des Coccinelles porte bien son nom, celui d’un petit insecte mais ô combien symbolique de la biodiversité de l’environnement qu’il occupe. La présence de coccinelles dans les vignes est en effet un signe probant d’une moindre présence de pucerons, l’insecte providentiel étant un sérieux prédateur de ces nuisibles à la plante, encore faut-il l’épargner des pesticides chimiques !
Fondé par Gabriel Fabre en 1928, le domaine a été baptisé ainsi à très juste titre, puisqu’il constitue l’un des foyer du mode bio en viticulture, cela au niveau national, puisqu’il a fait partie des exploitations pionnières à soumettre leur conduite à des pratiques respectueuses de l’environnement. Ces pratiques ont été consignées dans le tout premier cahier des charges du genre, celui de l’association « Nature et Progrès », créé en 1972. C’est en 1978, sous la houlette de René Fabre, fils de Gabriel, que les premiers vins certifiés bio voient le jour sous ce label, lequel anticipait ceux des organismes qui viendront par la suite munis d’une reconnaissance officielle. Depuis, le domaine honore avec constance ce principe, œuvrant désormais sous la certification « Bureau Veritas » avec de surcroît le mérite de l’appliquer à une production conséquence, fruit de quelques 70 ha de vignes.
Aujourd’hui, Paul-Henri Fabre, fils de René, est en charge de la propriété avec son beau-frère, Jean-Baptiste Mangin. Ils exploitent ensemble un vignoble presque entièrement en appellation d’origine Côtes du Rhône, bénéficiant marginalement du terroir de Signargues, dont la consécration officielle fait son chemin. Constitué principalement de grenache et de syrah, son encépagement en rouge est pour ainsi dire classique, tandis que la roussanne a été introduite assez récemment en blanc pour renouveler l’identité rhodanienne dans cette couleur. Classés en catégorie IGP Pays d’Oc, les vins hors appellation sont issus de cépages aussi universels que le chardonnay en blanc et le merlot en rouge. Ils rendent ici des expressions dont les qualités et la personnalité doivent beaucoup à des sols travaillés en bio depuis un demi-siècle. Il en est d’ailleurs ainsi pour l’ensemble de la production, qui se distingue notamment par une remarquable profondeur de goût // tout en s’affiliant. Le blanc 2022 en IGP donne du chardonnay un rendu cristallin et frais, sans défaut de maturité, alors que son homologue en rouge tranche avec ce schéma et interprète le merlot sur une mode opulent, tempéré cependant par un fruit de nature énergique (olive noire, réglisse), le tout sur une allure souple et charnue.
L’importante superficie du vignoble en Côtes du Rhône permet l’élaboration de nombreuses cuvées complémentaires, ce dont nos vignerons ne se privent pas. Ainsi en blanc, où une part très majoritaire de roussanne façonne la joliesse du vin portant la signature du domaine, ainsi qu’en témoigne un 2022 aux senteurs fraîches et délicates, réjouissant au palais par un équilibre achevé entre fraîcheur et matière, doublé d’une sapidité où la minéralité vient apporter son grain de sel, au sens propre comme au figuré ! Issu d’un même assemblage, le grenache blanc venant en appoint, « Icône » diffère par une confection en grands fûts de chêne, appelés demi-muids. Cette technique transparaît à peine dans un 2021 dont l’expression allie harmonieusement fruit et boisé, et se prévaut d’une fraîcheur pénétrante dont l’action filtre à travers l’aspect salivant d’une riche matière.
En rouge, la cuvée « Château des Coccinelles », emblématique du domaine, met surtout en valeur ses grenaches, prépondérants dans sa constitution et à la source de son caractère foncièrement épicé et d’un profil généreux qui n’affecte pas cependant un équilibre remarquable, sachant qu’une partie des vignes qui le composent proviennent du terroir doué de Signargues. Son diminutif porte l’intitulé « Domaine des Coccinelles » et le rejoint par sa nature épicée, quoique moins affirmée et dans un contexte de souplesse que sa vocation appelle. Également désignée par le nom du domaine, la cuvée en Côtes du Rhône Villages Signargues allie grenache et syrah à parité pour délivrer une expression d’une richesse et d’une teneur superlatives, le tout sur un équilibre rêvé, dignes d’un cru rhodanien. Son 2019 est campé sur ces qualités tout en suggérant sa jeunesse, perceptible dans son aspect structuré. Le mode d’élaboration « sans sulfites ajoutés » est suivi ici avec expérience, faisant que la cuvée qui lui est dédiée, « Elytres », en donne un vin accompli, d’une allure grâcieuse et fruité à souhait, sans les stigmates observables dans le genre. Le 2020 reflète ce profil avantageux et souligne le savoir-faire du domaine, ce dont témoigne un 2013 confondant par son état de fraîcheur et la complexité gagnée au fil de temps. Les vignerons en sont fiers à juste titre, au point qu’il est encore commercialisé !
Mes vins préférés :
Côtes du Rhône rouge 2020 – Bio
A travers un fort accent épicé, le nez affirme sans détours sa puissance tout en laissant poindre d’autres senteurs énergiques comme du fruit noir, de l’olive noire et du réglisse.
Conjuguant à merveille ampleur et rondeur, la bouche fait encore valoir une appréciable fluidité, doublée d’un goût généreux et savoureux dévoilant comme des fruits rouges (fraise écrasée) mêlés d’épices douces. Encore affirmée, la structure s’apprécie cependant par son veloutée et l’aspect salivant qui l’accompagne.
Côtes du Rhône Villages Signargues 2019 – Bio
D’un abord saisissant, les arômes exhalent avec distinction un air épicé mâtiné de fines notes boisées.
La bouche présente une ampleur à la mesure d’un équilibre fastueux où se déploie le drapé d’une matière fine, juteuse dans sa texture et d’un goût particulièrement pénétrant, révélant comme une traduction sapide des arômes. Sensibles, les tanins font cependant preuve de soyeux et composent avec un fruit épicé rémanent et délectable.
Côtes du Rhône rouge 2020 – « Elytres » – Bio et sans sulfites ajoutés
Le nez se détermine à la mesure d’une longue aération pour exprimer une registre charmeur et autrement attrayant par sa complexité, faite de notes d’épices douces, de fruits noirs, d’olive noire, de garrigue…
La bouche convainc par son élégante rondeur et la souplesse d’une chair tactile aux saveurs bien définies et salivantes sur un registre reprenant largement celui des arômes sur un ton gourmand. Certainement garants de sa longévité, ainsi qu’ils en attestent dans un magistral 2013, les tanins se ressentent sous forme d’une légère astringence, en aucun cas désagréable, et s’accordent avec une sensation finale épicée et délicieuse.
Prix des vins cités :
☛ IGP Pays d’Oc blanc : 10 € ☛ IGP Pays d’Oc rouge : 10 € ☛ Côtes du Rhône blanc : 10 € ☛ Côtes du Rhône blanc « Icône » : 15 € ☛ Côte du Rhône rouge « Domaine » : 9 € ☛ Côtes du Rhône rouge « Château » : 10 € ☛ Côtes du Rhône rouge « Elytres » : 13 € ☛ Côtes du Rhône Signargues : 14 € ☛ Côtes du Rhône rouge « Elytres » 2013 : 22 €
➤ 6 rue des Écoles, 30390 Domazan
➤ site internet : … ici
A suivre …
Crédits photos : Château de Bosc – Château des Coccinelles
Je tiens une nouvelle fois à remercier Jean-Jacques Chevalier pour sa fidèle collaboration à cette série d’escapades.
L’auteur de l’article :
L’auteur de l’article : Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ». |
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