Escapades Gardoises (4)
Après un temps d’interruption, j’ai repris mes escapades dans le Gard, toujours avec mon fidèle compagnon de route et de dégustation, Jean-Jacques Chevalier. Une fois n’est pas coutume, le présent épisode rend compte d’une seule étape faite en Costières de Nîmes dans un tout jeune domaine, puisque ses premiers vins ont vu le jour en 2021. Portant fièrement le nom de son vigneron, le Domaine Antoine Armanet incarne les dons sous-estimés de cette appellation et un acteur hors-pair qui a su les révéler en si peu de temps, avec beaucoup de brio et dans une manière toute personnelle où l’originalité tient une grand place. Découvrons-le…
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Domaine Antoine Armanet
Situé sur la commune de Garons, connue pour abriter l’aéroport de Nîmes, le domaine invite également à un envol, mais à destination d’un monde épicurien en décollant d’un tarmac bien verdoyant, celui de vignes peu ordinaires. En effet, sa singularité commence là, celle d’une propriété qui a également été le site d’une pépinière viticole, permettant ainsi à notre vigneron d’exercer son talent et son inspiration à partir d’une diversité de cépages peu commune. Fait d’un seul tenant de 18 ha, son vignoble bénéficie en outre d’une certaine homogénéité de terroir dont la nature argilo-calcaire, déjà enviable, est doublé de sous-sols loin d’être arides, les nappes phréatiques se situant dans un horizon proche, venant parfois chatouiller les racines de la plante, à moins de 2 m de la surface du sol. En plus de cet avantage qui constitue l’un des atouts majeurs des Costières de Nîmes, il en partage la couverture caillouteuse, avec même des galets roulés, dont on sait les vertus en viticulture méditerranéenne dans le cycle de maturation et en matière de régulation hydrique de la plante.
A l’origine était une pépinière…
D’origine savoyarde, Antoine Armanet est venu dans la région de Nîmes à l’âge de 15 ans, accompagnant alors son père qui avait un projet d’oliveraie auquel il s’associe rapidement. Tout en continuant son activité d’oléiculteur, il voit naître en lui une passion pour le vin qui doit beaucoup à sa rencontre de Marc Kreydenweiss, une figure de la viticulture alsacienne, adepte et militant de la biodynamie, venu s’installer dans les Costières en 1999. Fort de trois années de stages auprès de cet éminent vigneron, Antoine y acquiert un savoir-faire et un « amour du métier », selon ses propres termes, et trouve l’opportunité d’acquérir un vignoble pas comme les autres. Précédemment cadre d’une pépinière, son domaine possède un matériel végétal de premier ordre avec des vignes-mères, c’est-à-dire des plants de référence agréés pour la multiplication des pieds de vignes (porte-greffes) ou des cépages (greffons). Certaines d’entre elles atteignent le demi-siècle, tandis que l’âge moyen des vignes est estimable avec ses 35 ans. Il va presque sans dire que ce patrimoine est entretenu par son exploitation en bio, tandis que son fruit est vendangé en majorité à la main. Outre des ceps de cette qualité, le vignoble est riche de 15 variétés de cépages que le vigneron prend soin d’utiliser en respectant le schéma classique propre à l’AOC locale ou au gré de ses intuitions pour concocter des compositions originales, labellisés pour la plupart en Vin de France.
Heureuse qu’elle fut, l’acquisition d’un tel vignoble était doublée de celle de la cave attenante, un bâtiment aux dimensions respectables, sans grâce architecturale, mais efficient pour l’ensemble des tâches. Le vigneron le reconnaît lui-même en parlant « d’une cave de travail, pas pour faire des photos ». Son équipement reflète une approche du vin où les artéfacts sont minimisés, privilégiant les contenants « neutres » en matière d’élevage, cuve classique ou ovoïde* en béton au détriment du fût de chêne, réservé à certaines cuvées tout en restant d’un usage modéré. Dans un même esprit, les vinifications s’amorcent en levures indigènes et privilégient la méthode douce, les « infusions » étant préférées aux extractions énergiques et sont suivies de longues macérations, s’agissant des rouges. Toujours dans le but de produire des vins intègres, Antoine limite au mieux l’ajout de soufre (sulfites) en se contentant de la juste dose pour les prévenir de tout altération, tandis qu’il agit sans concession pour ses cuvées « Pura Vida », bien nommées, car intégralement dénuées de cet intrant.
Vins de copains
La gamme des vins reflète une orientation singulière du domaine en ce sens que ceux produits en Costières de Nîmes n’ont pas de représentation privilégiée, y compris en volume, s’agissant simplement de trois cuvées correspondant aux couleurs canoniques de l’AOC : blanc, rosé et rouge. On y distingue alors plusieurs expressions hors norme qui laissent libre cours tantôt à l’imagination, aux convictions ou à l’ambition de son vigneron. Sauf exception, elles sont revendiquées en Vin de France. Parmi elles figurent des cuvées qualifiées d’éphémères par leur auteur, conçues distinctement à l’occasion de chaque millésime et discontinuées par la suite. En 2022 c’était le cas du « Petit Cru Pas Classé », un intitulé qui parle de lui-même pour désigner un vin sans prétention. D’un caractère convivial, il est le fruit de beaucoup de grenache et d’un peu de syrah récoltés et vinifiés de manière à l’assurer d’une fraîcheur de constitution suggérant sa vocation. Ainsi élaboré, il ne titre que 13 % vol., ce qui devient rare en ces temps de réchauffement climatique et souligne une résolution majeure du vigneron, celle de vendanger à une juste maturité des raisins pour se garder de degrés trop élevés. En 2023, « La Petite Grenache » lui succède sous un nom de baptême tout aussi explicite, dans un même genre abordable où le grenache ainsi traité dévoile un caractère salivant qu’on lui méconnait et qui le rattache aisément à la catégorie « vin de copains », tout comme son prédécesseur.
Vins des Costières
En conformité avec son esprit franc-tireur, Antoine Armanet use d’un rébus pour nommer sa lignée de Costières de Nîmes, en l’occurrence « A 108 ». Il se fera d’ailleurs un plaisir de le déchiffrer à ceux qui le lui demanderont ! Sous ce nom de code, il décline un rosé qui ne manque ni de chair ni de gourmandise pour s’inviter plutôt à table qu’au bord d’une piscine. C’est en tout cas sous ces traits que se livre le 2023, un rosé vineux, dit en d’autres termes. Le blanc « A 108 » répond à une conception qui s’ajoute aux nombreuses particularités du domaine, à savoir que sa composition est faite à-même les parcelles à sa naissance, en l’occurrence une de grenache et une de rolle. Un assemblage à peu près équitable de leurs raisins a engendré un 2023 où leur fusion s’est accomplie au bénéfice d’un profil aromatique littéralement conquérant. Si le qualificatif de haute séduction peut résumer l’impression laissée par ce blanc, c’est une attrayante expressivité qui définirait les qualités du rouge « A 108 ». Issu d’un assemblage atypique, sans une once de grenache et unissant marselan, mourvèdre et syrah, il ne perd pourtant pas de vue l’identité d’un Costières dans son allure. Ce choix de cépages participe de la fougue qui caractérise son fruit et esquisse incidemment sa forme. Bel archétype de l’AOC, il l’est aussi par sa richesse de goût et une structure bien appréhendée pour satisfaire une consommation précoce, ce à quoi invite son 2023.
Créations
C’est sous le vocable de « Pura Vida » que sont placées deux cuvées sans sulfites ajoutés. Rassemblant roussanne et viognier, la composition du blanc est pour moitié effectuée à la vigne suivant la méthode pratiquée pour le blanc « A 108 », décrite précédemment. Fermenté en cuves, son produit est très partiellement élevé en fûts, ce qui lui a procuré un toucher de matière d’un raffinement confondant, sans entamer l’intégrité du fruit ni un caractère minéral bien marqué. C’est ainsi que se livre le 2023.
L’essence du rouge « Pura Vida » provient d’une syrah à peine mâtinée de carignan et gagne sa personnalité à travers un élevage élaboré utilisant plusieurs types de contenants, entre fûts et cuves. Bien que jeune, le 2023 permet d’apprécier son abord gourmand sous l’influence probable du carignan. D’autre part, sa nature dynamique caractérise un style où la matière ne fait pourtant pas défaut, témoignant ainsi d’un bel équilibre d’ensemble. Le 2022 reproduit ce schéma avec un même brio malgré la déficience du carignan cette année-là, au dire du vigneron. Dans ces deux expressions, les structures sont efficacement apprivoisées et rajoutent à leur délectation.
Ce sont de vénérables malbecs, âgés de quelques 50 ans, qui forgent « J 221 », un rouge pas si énigmatique que son intitulé puisque ce cépage s’y exprime sans ambages, de surcroît sous un atour floral qui laisse imaginer un parfum de violette. Cet abord engageant ne laisse en rien deviner une suite en bouche substantielle dont l’effet de pesanteur est parfaitement jugulé par un fruit éclatant et pour le moins délicieux, à l’instar de « Pura Vida ». Dans cette réussite, il faut aussi voir une vinification habile, faite en partie de raisins en grappes entières, tandis qu’un élevage en fûts non moins adroit a façonné avantageusement un ensemble sans détriment pour l’impression de pureté qui s’en dégage, malgré un usage de fûts très récents, mais pas neufs.
Prodige d’originalité, la « cuvée test », ainsi nommée par son auteur, ne réunit pas moins de 7 cépages rouges et blancs assemblés à même leurs parcelles et fermentés ensemble. Le résultat est non moins surprenant, surtout par un registre aromatique fortement muscaté alors qu’il s’agit d’un vin rouge ! La raison à cela est une composition qui fait la part belle à trois variétés de muscats : à petits grains, d’Alexandrie et ottonel. Ce bouquet saisissant a d’ailleurs laissé pantois l’ami Jean-Jacques qui y a retrouvé des senteurs de sa jeunesse, au temps où son père faisait du vin doux de muscat… Ces arômes déconcertants ont un effet indubitable sur son entière expression, influençant les saveurs en conséquence et faisant presque oublier la catégorie du vin, c’est-à-dire « un vin de copains » selon Antoine, qui précise d’ailleurs qui leur est dûment réservé, pour dire qu’il n’a pas vocation à être commercialisé, surtout qu’il ne représente que quelques 300 bouteilles…
Mes vins préférés :
A 108 > Costières de Nîmes blanc 2023
Littéralement parfumé et élégant, il exhale tour à tour une verve subtile de notes florales, de graines de fenouil et de zeste d’agrumes, sous l’influence d’un net accent mentholé.
Modelée par un courant de fraîcheur, la bouche gagne du volume et sa matière des courbes gracieuses, tandis que les saveurs donnent un écho fidèle aux arômes et se respirent autant qu’elles se délectent pour ensuite imprégner le palais à n’en plus finir. Ses racines minérales se traduisent par un grain tendre doublé d’amers nobles et d’une sensation saline.
A 108 > Costières de Nîmes rouge 2023
Son approche olfactive distingue une ligne de fraîcheur suggérée par une dominante réglissée mâtinée d’olive noire, à laquelle une sensation fruitée, comme de la cerise, coiffée d’épices douces vient ajouter de l’appétence.
En bouche, la matière épouse largement son appréciable rondeur et s’écoule en souplesse jusqu’à faire ressentir une texture juteuse au goût puissant repris des arômes en les muant en un aspect gourmand, à l’instar d’un coulis. Une structure modérée aux tanins tendres invite à déjà le déguster.
Pura Vida > Vin de France blanc 2023
Au nez, le ton séduisant d’un boisé vanillé respecte et sublime un registre harmonieux mariant senteurs florales (églantine) et subtilement fruitées (abricot, poire), poudré de sensations minérales.
D’un suprême équilibre, la bouche développe une matière caressante qui libère un goût intense, succulent et pénétrant, ressenti comme une essence des arômes. L’incidence du boisé y est ténue, tandis que la minéralité trame d’un grain fin sa perception finale et y ajoute le nerf d’une noble amertume.
Pura Vida > Vin de France rouge 2023
Le signe d’opulence qui distingue l’approche aromatique cède rapidement à une sensation suave et charmeuse où domine la cerise griotte sur un arrière-plan aux notes subtiles de réglisse, d’olive noire et de vanille.
Remarquable, la dynamique d’une bouche substantielle lui procure de l’ampleur et du relief, faisant que sa matière ondule en laissant savourer la générosité d’un fruit mûr, littéralement pulpeux et agrémenté d’épices douces. Admirablement intégrés à son corps, les tanins rajoutent de leur soyeux au raffinement de l’ensemble.
J 221 > Vin de France rouge 2023
Dès son abord, on est saisi par l’éclat et le velouté de senteurs à l’instar d’une conjugaison de baies noires (cassis, mûres) et d’un air floral qui embaume irrésistiblement la violette.
En bouche, la sensation de volupté l’est grâce à une matière pleine et gorgée d’un fruit délicieux qui reprend la nature des arômes sous une forme merveilleusement salivante. Des tanins racés, fins et soyeux, parachèvent une impression finale où persiste le plaisir des saveurs.
Prix des vins cités :
☛ A 108 blanc, rosé et rouge : 13 € ☛ Pura Vida blanc et rouge : 14,50 € ☛ J 221 : 18 €
➤ Chemin du Mas de Colombier 30138 Garons
➤ site internet … ici
A suivre …
* La cuve ovoïde, appelé communément « œuf », est un contenant en béton inspiré de l’amphore antique. Bien que variable, son volume moyen est d’environ 600 litres, qui équivaut au contenu de 3 barriques bordelaises (225 L). Utilisé indifféremment pour la vinification et l’élevage des vins rouges ou des blancs, il assure sa fonction sans qu’on ait à intervenir au cours de ces processus, cela grâce à un mouvement naturel et aléatoire des microorganismes présents dans les vins. Appelé mouvement brownien, ce phénomène a été scientifiquement prouvé.
L’auteur de l’article
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ». |
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