Le vin : Définition et généralités
Le vin est une boisson obtenue par la fermentation, totale ou partielle, du jus de raisin, issu du fruit de la vigne.
Ceci est la définition donnée par l’Organisation International de la Vigne et du Vin (O.I.V.), basée en France. Ce texte s’est inspiré d’un décret rédigé en 1907 par la Répression des Fraudes stipulant que le vin provient « exclusivement de la fermentation alcoolique de raisin frais ou du jus de raisin frais ». Mais, puisque dans plusieurs pays producteurs, parfois plus anciens que la France (mais aussi en France), le vin peut être produit à partir de raisins séchés, on a un peu modifié ce premier texte.
Le seul petit problème de cette définition est que certains pays considèrent encore que le terme « vin » s’applique à des boissons issues de la fermentation du jus de tout fruit, voir de toute plante et céréale. On parle en Chine ou au Japon, par exemple, de « vin de riz », ailleurs de « vin de framboise » ou d’autre fruit. Dans ce cas on adjoint le nom du produit en question au terme vin.
Quant on utilise le terme « vin » seul, il est donc généralement entendu que le fruit est le raisin.
L’histoire du vin
Probablement un peu par hasard, et, sur le plan historique, vraisemblablement dans la région du Caucase, autour de l’actuelle Géorgie, il y a environ 8000 ans.Le vin a été introduit en Europe par la Bulgarie actuelle il y a environ 6500 ans, et en Grèce Antique peu après. Les anciens Egyptiens connaissaient bien le vin comme en témoignent les fresques représentant des scènes de vendanges et les amphores retrouvées dans les tombes des rois et des grands aristocrates. La plus ancienne citation d’un vin spécifique nous vient d’une tombeau égyptien : vin noir, du Mont Liban, avec un millésime et un nom de producteur ou d’importateur !
Plus tard, en Europe, ce sont les phéniciens, les phocéens, des grecs d’Asie Mineure, et les romains qui ont diffusé la culture de la vigne et du vin autour du bassin méditerranéen, puis dans toute l’Europe continentale. On doit son extension dans le monde aux colonisations européennes à partir du XV ème siècle.
Il se trouve que l’équilibre biochimique naturel des raisins mûrs est tel qu’ils fermentent facilement sans adjuvants. Il y a, naturellement présent dans et sur le raisin, assez de sucres, d’acides, d’enzymes, de protéines etc, pour générer une bonne fermentation une fois le raisin un peu écrasé et à condition que la température ambiante se situe, en gros, entre 15 et 35°C. La vigne se trouvant un peu partout à l’état sauvage, on imagine la suite : une fermentation accidentelle dont on a appris empiriquement le mécanisme et que l’on a ensuite répétée puis maîtrisée.
D’où vient le mot « vin » ?
L’origine du terme est, entre autre, grecque, du mot « oinos », lui-même lié au dieu qui est censé avoir apporté aux mortels le secret de ce breuvage, Dionysos. Mais certains pensent que le nom a une origine plus lointaine, dans l’espace et dans le temps, venue de la région qui a probablement vu naître le premier vin, la Géorgie, car le mot géorgien est « ghvino ». En tout cas il est très frappant de voir que la plupart des langues européennes utilisent le même mot pour désigner le vin : les racines antiques, que ce soit le géorgien « ghvino », le grec « oinos », ou le latin « vinum », ont donné « vin » en français, « vino » en italien, « vino » en espagnol, « vinho » en portugais, « wein » en allemand, ou « wine » en anglais. Même en arabe, le mot est « wayn » !
De quoi est composé le vin ?
Essentiellement d’eau, à 85%, mais aussi de près de 500 autres substances parmi lesquelles des sucres, des acides, des esters,des acétates ou des lactates qui se trouvent naturellement dans le jus ou dans la peau des raisins, ou qui sont produits lors de la transformation de ce jus très sucré (le raisin est un des fruits les plus sucrés) en vin, contenant de l’alcool sous forme d’éthanol.
L’éthanol est une forme d’alcool produit par l’action des levures sur le sucre. Le sucre qui est transformé pour faire du vin se trouve à l’état naturel dans le raisin, bien qu’il soit parfois (et dans certains pays, dont la France) autorisé d’en ajouter un peu (technique appelée « chaptalisation »). La quantité d’alcool dans un vin peut varier entre 5% et 16% par volume, mais il existe aussi des vins dits « fortifiés » (auxquels on a ajouté de l’alcool) qui dépassent ces niveaux.
Le vin peut être de couleur jaune (appelé blanc), rosé ou rouge, mais il existe un spectre large de tonalités à l’intérieur de ces trois types. Un vin peut être sec (moins de 4 grammes de sucre par litre), demi-sec (4 à 12 gr/l), moelleux (12 à 45 gr/l) ou doux (plus de 45 gr/l), et, dans certains cas, contenir des quantités suffisantes de CO2 pour produire un dégagement perceptible de gaz (vins effervescents).
Il existe donc une grande diversité de types de vins, sans parler des nuances infimes de styles nées de la diversité des milieux naturels, des très nombreuses variétés de vignes (cépages), et des techniques de vinification qui, on le comprend bien, se sont diversifiées et sophistiquées depuis 8000 ans !
Les arômes et les saveurs du vin
On a vu que le vin est assez complexe chimiquement, même s’il n’a que peu d’ingrédients essentiels, du moins en apparence : sucre, eau, acides et levures (comme agent de transformation). Oui mais c’est tout le reste, toutes les (parfois) microscopiques quantités d’autres substances et leurs combinaisons, avant, pendant et après la fermentation, qui créent les différences entre les vins. Les arômes et les saveurs sont engendrés par des molécules, plus ou moins aromatiques, et plus ou moins grosses, des différentes substances du vin.Un mot de vocabulaire d’abord, car il est essentiel d’être clair sur le sens des mots. Un arôme est quelque chose que l’on sent par le bulbe olfactif, situé au dessus des fosses nasales. Une saveur est perçue dans la bouche. Les deux sont parfois liées, parfois distinctes, car il y a des saveurs principales qui n’ont pas d’odeur (l’acidité, ou le sucre, par exemple). Mais tout cela nous le verrons dans une autre leçon, quand on parlera de dégustation.
Quelles sont les variables qui affectent les arômes et les saveurs d’un vin ? Pour simplifier, il y en a trois.
Le cépage
D’abord il y a les variétés de raisins, ou, plus exactement, des vignes qui produisent des raisins. On les appelle couramment cépages, car un pied de vigne s’appelle aussi un cep. On reviendra sur ce point dans une autre leçon. Si on change de variété, on change de caractéristiques physiologiques de la plante, et donc de raisins. Arômes et saveurs sont donc modifiés en fonction de la variété. Et si on assemble des raisins issus de plusieurs variétés pour faire un vin, on modifie à nouveau sa physionomie.
Le milieu naturel
Deuxièmement il y a le milieu naturel. Soleil, pluie vent, température affectent la croissance et la fructification de toute plante, donc de la vigne. Une même variété de vigne qui pousse sous deux climats différents donnera des raisins et donc des vins assez différents. L’exposition au soleil, mais aussi aux vents et à la pluie, va jouer un rôle important. Puis la nature du sol, et surtout sa capacité à réguler l’eau vers les racines, évacuant le trop plein mais aussi remontant l’eau en période de sécheresse, joue aussi un rôle non négligeable. Ce milieu naturel est souvent nommé « terroir », mais le problème est que ce terme prend des significations différentes en fonction des individus qui l’utilisent. Mis à toutes les sauces, il perd de son sens pour devenir un gadget marketing. Car tous les vins sont évidemment issus d’un « terroir », c’est à dire d’un milieu plus ou moins naturel. Mais ceci est un autre débat que nous aurons un jour.
L’homme
Enfin vient la variable la plus importante, l’homme, son esprit, son savoir et ses outils. Il est évident qu’un raisin de la même variété et issu de la même parcelle va changer pendant sa phase de maturation sur la vigne. Si on le cueille le 1er septembre, ce raisin aura un autre goût que si on le laisse mûrir sur la vigne un mois de plus, car la concentration en sucre aura augmenté et l’acidité aura baissé, pour ne parler que des substances de base. Puis l’ensemble des techniques de vendanges, de transformation (durée et température de fermentation, type de contenant, etc.), de stockage et même de conditionnement, vont avoir leur part d’influence sur les arômes et les saveurs d’un vin.
La fermentation
Nous allons nous pencher aujourd’hui sur le processus de transformation qui, partant d’un jus de raisin, permet d’obtenir ce que nous appelons «vin».Les agents de cette transformation sont des organismes unicellulaires appelés levures. Ces organismes peuvent se trouver naturellement dans l’air, ou provenir soit du chai, soit du vignoble. Parfois ils se déposent sur les peaux des raisins. Mais on peut aussi les cultiver, après avoir sélectionné une souche particulièrement adaptée à ses besoins.
Il y a beaucoup d’espèces de levures, et beaucoup de variétés dans chaque espèce, un peu comme pour la vigne. L’espèce de levure la plus souvent utilisée dans la fermentation du pain, de la bière et du vin s’appelle saccharomyces cerevisiae. Mais il y en a bien d’autres qui peuvent, localement, jouer un rôle dans la fermentation, surtout dans les premières phases, car beaucoup de variétés « sauvages » ne supportent pas des degrés d’alcool supérieurs à 5. Les différentes espèces ont besoin de plus ou moins d’oxygène pour bien fonctionner.
Comme la plupart des organismes vivants, les levures ont besoin de carbone, d’azote et d’autres substances pour vivre et se reproduire. Elles trouvent le carbone dans le sucre du raisin, tandis que les acides aminés du même raisin apportent de l’azote. Glucose et fructose fournissent donc de l’énergie aux levures, qui se reproduisent très vite si la température se trouve, en gros, entre 15 et 35° C. Les sucres sont transformés, par un processus très complexe, en alcool éthylique et en CO2. On laisse généralement ce dernier s’évaporer dans l’atmosphère, sauf si l’on souhaite produire un vin pétillant. Lorsque les levures ont transformé tout le sucre, elles meurent, floculent, et tombent au fond du récipient formant ce qu’on appelle les « lies ». Cette transformation prend généralement quelques jours, mais peut s’étaler sur quelques mois lorsqu’il y a beaucoup de sucre, une population de levures faible, trop d’oxygène, une température trop faible, ou d’autres facteurs qui peuvent ralentir la fermentation. On estime qu’il faut près de 17 grammes de sucre par litre pour générer 1% d’alcool. Un raisin qui va servir à élaborer un vin titrant 13% doit contenir plus de 200 grammes de sucre par litre.
D’où vient la couleur du vin ?
Vous savez qu’on peut faire du vin avec des raisins noirs (dont la couleur oscille du rouge clair au violet foncé), et blancs (vert pâle à ambre, en réalité). Il existe aussi quelques variétés (comme le Poulsard du Jura) rosées, de peau comme de pulpe.Mais la quasi-totalité des variétés de raisins utilisées pour faire du vin, qu’ils soient noirs ou blancs, ont une pulpe (et donc un jus) presque incolore, en tout cas très pâle. Avec ces raisins on peut obtenir des vins presque noir en couleur, et d’autres qui seront pourpres, rouges foncés, rouges plus clairs, rosés, ambrés, jaune paille, or vert, vieil or, verts, à peu près tout ce que vos voulez sauf bleus ! Le secret se cache dans la peau des raisins noirs (ou rouges), puis, pour les nuances, dans la maturité de ces raisins et dans les détails du processus de transformation.
Pour faire un vin blanc, le jus suffit. On presse les raisins dès leur arrivée au chai, on écarte les peaux, et on fait fermenter le jus. Puisque les jus de presque tous les raisins sont incolores, il est même possible de faire un vin blanc avec des raisins noirs. L’exemple le plus connu se trouve en Champagne, qui est planté pour plus de deux tiers de cépages noirs, mais qui produit presque uniquement du vin blanc. Sachez qu’un vin blanc fait uniquement avec des raisins noirs s’appelle un « blanc de noir ».
Mais pour faire un vin rouge, il faut inclure les peaux dans le processus. On peut mettre les raisins par grappes entières dans la cuve. C’est ce qui se passe dans certaines régions, notamment en Beaujolais. Les peaux seront progressivement brisées sous le poids des grappes, aidant le départ de la fermentation. On décidera de laisser ou non entrer de l’oxygène (cuve ouverte ou fermée) selon la nature des raisins, du style de vin à produire, et d’autres considérations techniques. Pour la plupart des vins rouges, avant de les mettre en cuve, on brise la peau des raisins (foulage). Cela encourage le contact et les échanges rapides entre peaux et jus, libérant, sous le double effet de la chaleur et de l’alcool (et avec un effet de montée progressive des deux) les molécules colorantes contenues dans la peau des raisins noirs. Si la fermentation alcoolique ne dure en générale que quelques jours, cette phase de contact entre peaux et jeune vin se prolongera souvent pendant une semaine ou deux, afin d’extraire davantage de couleur, mais aussi des saveurs, comme par exemple les tanins dont nous vous parlerons dans une future leçon. On appelle cette phase « macération », comme pour la préparation d’un infusion, et on peut même la débuter avant la fermentation, en retardant celle-ci en maintenant une température très basse dans la cuve, par exemple.
Enfin, pour faire un rosé, il faut utiliser, du moins en partie, des raisins rouges, en limitant la durée du contact entre peaux et jus. Mais il existe plusieurs techniques pour faire un vin rosé. Nous les verrons la semaine prochaine.
Le vin rosé
Vous vous rappelez que, pour l’essentiel, la couleur d’un vin dépend de la peau du raisin.Pour certains rosés (appelés rosés de presse) on obtient la couleur par contact uniquement pendant la phase de pressurage. Mais pour la plupart d’entre eux (rosés de saignée), on met les raisins dans la cuve, puis on retire le jus au bout de quelques heures, quand on estime qu’il est suffisamment coloré. La fermentation a lieu comme pour un vin blanc, sans les peaux. Enfin il existe, notamment en Champagne, le cas de rosés qui sont fait par assemblage entre un peu de vin rouge et une grosse majorité de vin blanc.
On peut penser qu’il suffit, pour produire un vin rosé, de faire d’abord du vin rouge et du vin blanc puis de les mélanger ! C’est assez logique mais c’est interdit pour la plupart des vins d’appellation. C’est autorisé en Champagne et dans quelques autres cas. La plupart des champenois utilisent cette méthode pour produire leurs rosés car, outre le fait qu’elle permet d’utiliser les cépages blancs (essentiellement le chardonnay), elle assure aussi une plus grande stabilité de la couleur pendant la deuxième fermentation en bouteille. On appelle cette technique « assemblage ». Généralement l’assemblage incorpore entre 5% et 15% de vin rouge. Bien entendu, s’agissant d’un vin d’appellation contrôlée, tous les ingrédients doivent venir de la même appellation !
L’autre technique importante pour produire un rosé est celle dite de la « saignée ». On part de raisins rouges que l’on foule avant de les mettre en cuve. Puisque l’on recherche moins de couleur que pour un vin rouge, on va écourter de beaucoup la phase de macération pendant laquelle le jus s’imprègne de la couleur au contact des peaux : entre quelques heures et quelques jours, selon la nature des raisins, parce que les variétés sont plus ou moins riches en pigments colorants, et selon la couleur souhaitée par le vigneron. Une fois la couleur obtenue, on retire les peaux et la fermentation se poursuit comme pour un vin blanc.
Enfin, pour certains rosés très pâles, on obtient la couleur uniquement pendant la phase de pressurage, qui remplace donc le foulage. On presse les raisins rouges dès leur arrivée au chai, et avec la chaleur ambiante, le jus se « tâche » légèrement. Ces vins s’appellent logiquement « rosés de presse ». Un exemple bien connu est le « vin gris ».
Les tanins dans le vin
Précédemment, j’ai mentionné une substance appelée « tanin ».Le contexte était la manière d’obtenir une couleur plus ou moins foncée dans un vin rouge par macération. Cela consistait à laisser tremper les peaux de raisins noirs dans le jus en fermentation, procédure qui se prolonge en général après la fin de la fermentation. Cependant, lors de cette macération, on n’extrait pas que de la couleur, mais aussi des substances appelées tanins. De quoi s’agit-il ?
Qu’est ce que le tanin ?
Les tanins forment un groupe de substances chimiques. Ils sont naturellement présents dans les écorces de nombreux arbres, mais aussi dans des feuilles (le thé par exemple) et certains fruits, dont le raisin. D’où viennent-ils ? De composés phénoliques très réactifs, dont le principal constituant est le phénol. Ce groupe comprend, en plus des tanins végétaux, des pigments appelés anthocyanes (on retrouve notre colorant principal du vin rouge), ainsi que des composants aromatiques.
Structurellement les tanins ressemblent à ces pigments colorants, les anthocyanes (bleu, violet, rouge foncé), mais ils sont plutôt jaune pâle ou ambré, sauf quand ils sont en présence de fer. Là, ils deviennent presque noirs ! Etant présents surtout dans les peaux de raisins (mais aussi dans la rafle et les pépins) il est facile de comprendre qu’un vin rouge contient bien plus de tanins qu’un vin blanc.
J’ai parlé des arbres. Vous savez sans doute que beaucoup de vins sont élevés dans des récipients faits avec du bois, généralement du chêne. Ces vaisseaux en chêne, de taille variable, contiennent également des tanins, mais d’une autre sorte. Leur effet est donc différent. De plus, ils sont surtout appréciables lorsque le bois est neuf. Une barrique d’un an ou plus délivrera donc très peu de tanins supplémentaires au vin.
L’importance des tanins dans le viellissement d’un vin
Les tanins jouent un rôle important dans le vieillissement d’un vin, particulièrement d’un vin rouge. Mais comme ils communiquent facilement de l’amertume ou de l’astringence (pas exactement la même chose, je vais y revenir), il est important de les maîtriser dans la vinification d’un vin rouge. D’abord les peaux des raisins doivent être bien mures au moment de la récolte, ce qui limitera l’amertume, puis il faut éviter d’extraire trop de tanins de certains types de raisins. Avec le temps, ils se fondent dans le vin en s’agglomérant et en se polymérisant, formant des molécules de grosse taille qui, parfois, se précipitent formant un dépôt dans une bouteille de vin rouge après quelques décennies. Arrivé à ce stade, on ne perçoit plus d’amertume ni d’astringence dans le vin.
Nous percevons les tanins dans un vin rouge jeune, mais aussi dans un thé qui a été longuement infusé. En plus de l’amertume, qui est perçue surtout vers le fond de la langue, il y a une sensation d’assèchement de la bouche : c’est l’astringence, provoquée par les tanins qui agglutinent la salive, l’empêchant de jouer pleinement son rôle de lubrifiant. Mais les tanins n’ont pas d’odeur. On ne peut pas dire qu’un vin sent le tanin.
Enfin, il faut rappeler que le contenu tannique des différentes variétés de raisin n’est pas constant. Certain cépages sont donc plus tanniques que d’autres, comme par exemple le cabernet sauvignon, le malbec, la syrah, le tannat (bien nommé) ou le nebbiolo.
L’acidité dans un vin
L’acidité est un ingrédient essentiel du vin. Sans elle, le vin serait simplement alcooleux (un peu), sucré (plus ou moins) ou tannique (plus ou moins).Les arômes et saveurs de fruit s’expriment essentiellement par de l’acidité dans un vin.
Pour être « politiquement correct » en matière de vin, on parle plus souvent de « fraîcheur » que « d’acidité », mais c’est la même chose, si l’on excepte la sensation due à une température basse. Car l’acidité fait saliver, provoquant une sensation de fraîcheur sur les muqueuses. « Très frais » (voir « très sec ») veut donc bien dire « très acide », mais le mot « acide » possède une connotation péjorative, donc vous ne l’entendrez que très peu dans la bouche d’un vendeur de vin. Ce sont bien les mots qui nous trompent parfois, mais pas nos sensations ! Si vous voulez mesurer l’acidité d’un vin, concentrez-vous sur votre salivation, et vous verrez que même certains vins très sucrés peuvent aussi être très acides.
L’acidité d’un vin provient généralement d’acides organiques naturellement présents dans le raisin, particulièrement l’acide tartrique, qui est le plus important, devant l’acide malique (malus = la pomme). Si on trouve de l’acide malique dans beaucoup de plantes et de fruits, l’acide tartrique est bien plus spécifique au raisin. L’acide citrique est plus rare dans le raisin.
Il est permis, dans certaines conditions, d’ajouter de l’acide à un vin. On emploie généralement l’acide tartrique. Cette pratique est assez courante dans des pays et régions chaudes. Curieusement elle est même autorisée en Bourgogne : on se demande pourquoi. Mais ces ajouts sont minimes et censés aider le vin à trouver un bon équilibre. A mon sens, il est préférable d’aider le raisin à trouver cet équilibre par de bonnes pratiques viticoles, mais ça, c’est une autre histoire.
En tout cas, l’acidité est un constituant essentiel dans un vin, autant pour la sensation d’équilibre et de fraîcheur qu’elle apporte, que pour limiter l’action des bactéries, dont la plupart ne peuvent survivre dans des solutions aussi acides que les vins. Sans acidité donc, pas de bon vin !
Le sucre dans le vin
Après avoir parlé de tanins et d’acidité, nous allons aborder un autre ingrédient essentiel du vin : le sucre. On peut même dire qu’il est le constituant le plus important, car, sans lui, il n’y aurait pas de vin !Commençons par distinguer le sucre du raisin et le sucre du vin. Comme on l’a vu précédemment (sur la fermentation), il faut du sucre pour faire un vin, car c’est sa transformation en ethanol sous l’action des levures qui est à la base de tous vins.
D’où vient-il ?
Pour l’essentiel du raisin lui-même, qui contient du sucre comme tous les fruits. Il en contient même beaucoup plus que la plupart des autres fruits. C’est d’ailleurs pourquoi il se prête aussi bien à la production de boissons alcoolisées.
Les sucres font partie d’un groupe de substances organiques plus vaste qu’on appelle les « hydrates de carbone ». Glucose et fructose sont les noms des deux principaux types de sucres « libres » dans le raisin. Ils sont le résultat de la photosynthèse opérée dans les feuilles de la vigne, qui fait monter le sucrose vers les raisins pendant la phase dite de maturation. Le glucose est formé de sucrose et de fructose. Cette accumulation graduelle de sucres dans les baies s’accompagne de leur gonflement par accumulation d’eau apportée par les racines. Mais, à un moment donné, la concentration des sucres se fait plus rapide que l’arrivée d’eau. Lorsque cette concentration approche ou dépasse un niveau d’environ 200 grammes par litre, on estime que le raisin est mûr, car, une fois transformé, ce sucre est capable de produire au moins 12% d’alcool (il faut environ 17 grammes de sucre pour produire un degré d’alcool). Evidemment le niveau de concentration recherché varie selon les types et styles de vins (5% à 15%), et les choses sont bien plus compliquées que cela pour d’autres raisons, mais voici, en résumé, la petite histoire du sucre dans le raisin.
Elle ne serait pas complète si l’on oubliait de mentionner le processus appelé « chaptalisation », du nom d’un chimiste et politicien français de la fin du 18ème et début du 19ème siècle, Jean-Antoine Chaptal, qui fut Ministre de l’Intérieur sous Napoléon. Dans son « Art de faire le vin » publié en 1807, il défendait cette pratique consistant à enrichir le moût de raisin (avant fermentation) par addition de sucre pour augmenter la puissance alcoolique des vins. Cette technique avait, en fait, été découverte par un autre chimiste français, Macquer. Chaptal conseillait l’usage de moût concentré, mais admettait l’efficacité du sucre de canne ou de betterave. Cette technique est encore courante en France, surtout dans les vignobles situés en dehors de la zone méditerranéenne. Elle est en revanche interdite dans des pays comme l’Australie ou l’Italie, comme dans toutes les régions chaudes où l’ensoleillement la rend superflue. Aujourd’hui elle est devenue moins courante, à la fois par les effets du réchauffement climatique, mais aussi grâce à des rendements plus faibles et à de meilleures pratiques viticoles.
La proportion de sucre
Si la totalité du sucre dans le raisin n’est pas transformée en alcool pendant la fermentation, il reste ce qui est appelé du « sucre résiduel » dans le vin.La proportion de sucre résiduel variera énormément en fonction de la concentration en sucre présente avant la fermentation, et de la force des levures qui effectuent la transformation du sucre en éthanol. Ensuite, d’autres facteurs, comme la température et la durée de la fermentation, ou bien l’intensité du milieu alcoolique, vont jouer un rôle.
Un vin « sucré » est appelé plus généralement « demi-sec », « moelleux », « doux » ou « liquoreux », en fonction de sa concentration en sucre résiduel. Même si les règles précises varient un peu en fonction du pays, de la région et du type précis du vin, on peut établir les valeurs suivantes en sucre résiduel pour ces dénominations :
- Sec = moins de 4gr/litre ;
- Demi-sec = entre 4 et 18 gr/litre ;
- Moelleux = entre 12 et 45 gr/litre ;
- Doux/liquoreux = plus de 45 (et souvent bien plus car certains peuvent contenir 200 grammes du sucre par litre).
Il faut insister sur le fait que ces vins sont « naturellement » sucrés. Dans les vins de qualité (vins de pays, vins d’AOC ou les équivalents) il n’est pas permis d’ajouter du sucre, sauf pour la chaptalisation (c’est à dire avant fermentation). Mais cela, à mon humble avis, devrait être interdit aussi ! Les meilleurs vins sucrés sont faits avec des raisins surmûris, et donc naturellement très riches en sucres. La combinaison entre un milieu riche en sucre et de plus en plus alcoolisé a tendance à inhiber l’action des levures, laissant une quantité plus ou moins importante de sucre résiduel dans le vin.
Pour augmenter la concentration de sucre dans le raisin afin d’élaborer ce type de vin, il a y trois grandes techniques:
- On laisse le raisin sur la vigne plus longtemps que pour un vin sec, pratiquant ainsi des « vendanges tardives ».
- Si la météo risque de se gâter (ce qui est souvent le cas vers les équinoxes), on cueille les raisins et on les met à sécher à l’air, protégés par un toit : c’est la technique dite « reccioto » en Italie, ou « vin de paille » en France, par exemple.
- Enfin, dans certaines régions, se développe un petit champignon appelé botrytis cinerea qui attaque les peaux des baies, les rendant légèrement poreuses, ce qui permet à l’eau contenue dans le raisin de s’évaporer , concentrant tout le reste. L’apparence pourrie que prennent les baies explique le terme de « pourriture noble ». Cette technique dépend de conditions climatiques particulières que l’on trouve régulièrement, ou souvent, en Hongrie (Tokay), Autriche (Burgenland), Allemagne (Rheingau et Moselle), France (Alsace, Loire et Bordeaux), mais aussi dans d’autres parties du monde.
On pourrait ajouter une quatrième technique, qui est le mutage. Là, par adjonction d’un part d’alcool (10 à 20% par volume selon le cas), on tue les levures, laissant plus ou moins de sucre non fermenté dans le vin. On appelle ces vins « vins mutés ». Curieusement, et uniquement en France, on les appelle aussi « vins doux naturels », alors que le procédé n’a rien de naturel (raisons dites « historiques »). Les Portos, certains Xérès, les Marsala, les Banyuls, Rivesaltes et Maury en sont des exemples.
Le souffre dans le vin
D’où vient-il ?
Le soufre est un des éléments constituants de la croûte terrestre, contenu essentiellement dans les combustibles fossiles. Lors de leur combustion, le soufre s’associe à l’oxygène de l’air et forme le dioxyde de soufre (SO2). Celui-ci a beaucoup d’usage, dont un usage alimentaire : il est utilisé en œnologie comme dans l’industrie agroalimentaire (fruits secs, charcuteries, moutarde, préparations culinaires, crustacés, céréales, etc.). En matière d’œnologie son efficacité est connue depuis la fin du Moyen Age (décret allemand de 1487). Le soufre a d’abord servi à assainir et à désinfecter les fûts, pratique que les hollandais ont popularisée à partir du XVIII ème siècle. Depuis, et parallèlement aux progrès de la biochimie, son usage dans la vinification s’est diversifié car, outre ses vertus antiseptiques, il est aussi un puissant agent antioxydant, capable de stabiliser le vin, produit éminemment fragile, tout au long du processus de vinification : à la vendange ou à l’encuvage, pour protéger les raisins ou le moût ; avant ou après la fermentation malolactique ; pendant l’élevage ; enfin à la mise en bouteilles. Autres vertus : son faible coût et sa facilité d’emploi car il existe en forme combustible (la mèche déjà mentionnée), aqueuse, de gaz liquéfié, de comprimé effervescent ou de poudre. Bref, ce produit miracle a longtemps fait l’unanimité.
Depuis, de la part des producteurs comme des consommateurs, ce sont plus ses vices et limites qui sont aujourd’hui soulignés. Le premier est médical : au-delà d’une certaine concentration, le soufre présent dans un vin (généralement exprimé en soufre total, car il existe en formes actives, libres et combinées) peut provoquer des maux de tête ou des réactions allergiques chez certains. Le second est gustatif : s’il est excessif, il tasse les arômes d’un vin, et provoque une forme d’irritation ressentie dans le nez, comme une brûlure ou piqure. Il existe donc une règlementation qui encadre son usage. Depuis plus d’une décennie, la tendance est à la diminution en dessous des seuils tolérés par la loi : les dosages moyens observés en France sont inférieurs de moitié à ceux tolérés par la loi. A l’origine de ce phénomène, il faut évoquer les progrès réalisés tant dans le vignoble que dans le chai : meilleur état sanitaire des raisins à la vendange, meilleure hygiène générale dans les chais, ainsi que le recours à d’autres méthodes de protection (gaz inerte).
Comment limiter le souffre ?
Depuis plus de dix ans, des producteurs, qui ne sont pas tous des marginaux, expérimentent différentes techniques pour réduire fortement les doses habituelles de soufre rajouté, voire les éliminer complètement.Ce n’est pas simple sur le plan technique, et cela peut poser des problèmes de stabilité des vins, notamment lors du transport, stockage ou conservation sur plusieurs années. Je dis soufre ajouté car il y a une toute petite production de soufre dans le processus fermentaire, donc aucun vin n’est totalement exempt de soufre. Les déviances qui peuvent apparaître affectent la couleur (en résumé moins de rouge et plus de jaune), les arômes et les saveurs avec une perte de fruit et éventuellement l’apparition de notes de type « écurie », liées notamment à la désinhibition d’une mauvaise levure nomméebrettanomyces bruxellensis (ou d’autres bactéries). Ces effets ont tendance à se développer avec le temps, et si le vin n’est pas en permanence stocké à des températures basses. Dans certains cas, il peut devenir impropre à la consommation.
L’Institut Français de la Vigne a mené récemment une série d’expériences sur différents types de vins (couleurs, cépages etc.) pour examiner les possibilités de réduire fortement les doses de soufre sans perdre en qualité dans le vin fini. A titre d’exemple, je vous livre les résultats d’une de ces expériences, pratiquée à Bordeaux sur un vin de merlot issu du millésime 2009. Le vin a été traité en trois lots : un avec un dosage « normal » de soufre, le deuxième avec un dosage réduit de 50%, le dernier sans soufre ajouté. Les deux derniers lots montraient des pertes d’anthocyanes (moins colorés) et se dégustaient moins bien après deux ans de bouteille, aussi bien sur le plan olfactif que gustatif.
Cela confirme deux impressions personnelles que j’ai vécu, dont une, il y a quelques années, en dégustant des vins jeunes et plus âgés à Morgon, chez Marcel Lapierre, qui a été un des pionniers de la vinification sans soufre. En vin jeune, et avec des échantillons stockés chez lui, le vin sans soufre était le meilleur, plus éclatant et intense en saveurs, mais, après quelques années, cette différence s’inversait au profit d’un vin soufré normalement mais légèrement qui apparaissait donc bien meilleur.
Traduit en mode d’emploi pour nos lecteurs, et si vous voulez absolument essayer des vins sans soufre rajouté, dits parfois « vins nature », quelques précautions s’imposent : le vin doit être jeune et avoir été transporté et stocké à des températures inférieures à 14° C. Evitez aussi les vins produits par des vignerons peu regardant sur l’hygiène de leur cave (encore faut-il le savoir). Si certains vins peuvent se montrer délicieux dans leur jeunesse, beaucoup souffrent dans le temps, après transport, stockage et garde plus ou moins longue. En attendant, et outre ces vins sans soufre très prisés dans certains milieux que l’on appellera bobo, la tendance est à la réduction du soufre, et la recherche s’y attèle.
Le bois et le vin
Le bois est devenu un des contenants les plus courants pour certains vins, pendant leur période de maturation, entre fermentation (et parfois aussi pendant) et mise en bouteille.Ces contenants sont de différentes tailles et formes et utilisent différents bois, même si le chêne est très largement dominant de nos jours. Le format le plus connu en France est la barrique, qui peut contenir 205 litres en Champagne, 225 à Bordeaux, ou 228 en Bourgogne. La taille bordelaise est devenue le standard international. Mais il y a aussi des (rares) demi-barriques, comme la feuillette chablisienne (132 litres) et, surtout, des tailles plus grandes (300, 400 ou 600 litres, appelées demi-muid). L’unité de mesure à Bordeaux est toujours le tonneau, qui contenait 900 litres, mais qui n’existe plus physiquement !
Et n’oublions pas les très grands récipients, qui restent immobiles dans les chais en Alsace ou en Allemagne, parfois en Provence et dans le Rhône. On les appelle foudres, et leur contenance est très variable (souvent autour de 1000 litres).
Il ne faut pas oublier qu’à l’origine (du temps gallo-romain probablement), ces récipients en bois avaient trois fonctions : cuvage, stockage provisoire et transport. Les tailles et formes variaient selon l’usage. Ils remplaçaient ainsi les cuves en pierre ou terre cuite et les amphores de transport en terre cuite.
On a découvert, un peu par hasard, que certains vins pouvaient se bonifier pendant leur séjour en bois, par un très lent phénomène d’oxydation. Cela se passe quelque soit l’âge du bois en question, mais le bois neuf n’est pas du tout un phénomène récent, contrairement à ce que l’on peut entendre. Au XVIII ème siècle, un importateur anglais réclama à son fournisseur, Charles de Secondat (le fils de Montesquieu), que tous ses vins soient mis dans des barriques neuves. Il s’agissait alors d’éviter les mauvaises odeurs dues à l’usage de barriques « sales » mais il est certain que le goût des vins était affecté par un stockage en bois neuf et que ce goût a plu. Aujourd’hui, l’élevage en bois est utilisé pour presque tous les vins destinés à une longue garde (disons plus de 10 ans).
Ce goût du boisé (qui, soit dit en passant, n’est pas très prononcé dans les meilleurs vins de garde) a provoqué ce que j’appelle « la dérive de l’aromatisation », qui consiste à ajouter de la sciure, des copeaux, ou des planches de chêne pour simuler le goût donné par une barrique. Cela peut tromper dans un vin jeune, mais pas sur un vin qui a de l’âge. Evidemment la motivation ici est économique, car une barrique vaut autour de 500 euros, et des copeaux, pour un volume équivalent de vin, un euro ou deux.
Le vrai rôle du bois est de mettre en relation le vin avec son ennemi public numéro un, l’oxygène, pour développer sa résistance au temps, tout en l’aidant à arrondir les excès de sa jeunesse. On parlera du vieillissement la semaine prochaine.
Le temps et le vin
La capacité d’un vin à vieillir, en s’altérant sans se détruire, est ce qui le distingue de pratiquement toutes les autres boissons. On fait vieillir le thé, par exemple, mais sous forme sèche. Bien sûr, les alcools vieillissent aussi.Comme les humains, tous les vins ne vieillissent pas de la même manière. On peut dire qu’un des signes d’un « grand » vin est sa capacité à bien vieillir, en dégageant progressivement des arômes et des saveurs d’une complexité croissante, tandis que les aspects « anguleux » ou agressifs du même vin s’arrondissent progressivement.
Cette affaire de grands vins qui vieillissent longtemps était connue des anciens Romains, y compris le fait qu’à un certain moment, un vin était « passé ». Pline l’Ancien débat longuement de la question de l’âge idéal d’un Falernum (entre 15 et 20 ans), et considère qu’on le gardait souvent trop longtemps. Mais on ne connaît pas le goût de ces vins, ni les substances qui y étaient ajoutées (il y en avait). Puis le vieillissement a été oublié pendant environ mille ans (le vin « vieux » – c’est à dire plus d’un an – se vendait à la moitié du prix d’un vin jeune parce qu’il ne se conservait pas bien, sauf les vins liquoreux) pour réapparaître à partir du XVI ème siècle, d’abord en Allemagne, avec des vins doux et acides conservés longtemps en foudres dans des caves froides, puis au siècle suivant en Angleterre, grâce à l’invention de la bouteille de verre fabriquée d’une manière industrielle et sa fermeture avec un bouchon en liège. Ce traitement, d’abord réservé aux champagnes, bordeaux et portos rouges (vins faits uniquement pour le marché anglais au début), fut ensuite progressivement étendu à d’autres vins et d’autres marchés.
Il faut rappeler que le vin « bouché » est resté très minoritaire en France jusqu’aux années 1970 !
Le processus de vieillissement d’un grand vin est très complexe et pas toujours prévisible. Après le stade de sa jeunesse, quand un vin est généralement assez vigoureux et sent le fruit, beaucoup de vins en bouteille se « ferment » ensuite pendant une période qui peut durer plusieurs années. Pendant cette phase ils n’expriment pas grand-chose. Puis ils s’ouvrent de nouveau, avec un bouquet transformé et plus complexe, et souvent avec bien plus de longueur au palais. L’astringence ou l’acidité (ou les deux) se fondent, rendant la texture plus soyeuse et donnant une magnifique richesse de saveurs. Vers la fin de la vie d’un vin, l’acidité ressort de plus en plus.
Evidemment les conditions de stockage sont très importantes si on veut que son vin vieillisse harmonieusement. Mais aussi le type du vin et la manière dont il a été élaboré. Cela fait beaucoup de variables ! Et il ne faut pas croire que les vins rouges vieillissent nécessairement mieux que les blancs. Par exemple, chez Bouchard Père et Fils j’ai dégusté un Meursault Charmes de 1846 qui était encore très bien ! Il en va de même de certains champagnes du début du XX ème siècle. Evidemment ces vins ne ressemblaient pas à des vins jeunes, mais ils étaient encore équilibrés et complexes. Comme des êtres humains qui ont bien vieilli en somme.
Les différents types et styles de vin
A ce stade des leçons, j’ai pensé qu’il serait bon de définir deux mots qui résument, entre eux, l’ensemble des différentes catégories de vins. Je vais vous parler de « types » de vin, mais aussi de« styles » de vin.Le type d’un vin signifie sa grande famille d’appartenance, qui dépasse généralement les notions plus détaillées de cépage ou de lieu d’origine spécifique, sans parler des nuances apportées par les différents propriétaires. Un type de vin peut être déterminé par différents paramètres : la couleur, le niveau de sucre, d’acidité, de tannins, d’alcool, ou bien la présence ou l’absence de gaz (CO2).
Par exemple, vins blancs, rosés et rouges constituent trois types de vins différents. Mais vins rouges légers et acides, vins rouges tanniques, et vins rouges chaleureux et ronds forment aussi trois « types » différents à l’intérieur de la grande catégorie des vins rouges. Mais si nous voulons aller plus loin dans les différences précises et fines entre plusieurs vins d’un même type, il faudrait plutôt utiliser le mot style.
Une autre division possible est la présence ou non de sucre résiduel dans le vin. On va parler alors de vins secs ou doux. Avec un peu plus de subtilités, on peut graduer, du plus sec au plus sucré : sec / demi-sec / doux ou moelleux / liquoreux.
Mais certains de ces vins sucrés appartiennent à une autre catégorie typologique, car ils sont élaborés à partir d’un technique spécifique et leur degré d’alcool est plus élevé : il s’agit des vins mutés ou fortifiés. Des exemples sont les portos, ou, en France, les Rivesaltes, Maury ou Banyuls, par exemple. En France la région du Roussillon en est le grand spécialiste même si on produit des vins mutés dans le Languedoc et dans la Vallée du Rhône. Pour rendre les choses plus confuses, on continue à appeler ce type de vin « vin doux naturel », pour des raisons historiques anciennes certes, mais d’une manière totalement inappropriée, car il n’y a pas grand-chose de « naturel » dans le fait d’adjoindre de l’alcool à un moût ou à des raisins en fermentation, ce qui est la technique utilisée.
Enfin il y a le fait pour un vin d’être « tranquille » ou « tumultueux », c’est à dire, dans le deuxième cas, de contenir du gaz en suspension (CO2). Un Champagne fait donc partie du type « tumultueux ». On pourrait aussi pratiquer des divisions selon les grandes options de vinification : par exemple, les vins « boisés » et les vins « non-boisés ».
A part cela, toutes les nuances, plus ou moins grandes, entre plusieurs vins d’un même type, relèvent plutôt du mot « style », et un style est déterminé par trois éléments essentiellement : le climat du lieu de production, le (ou les) cépage(s) utilisé(s), et les choix humains concernant les méthodes de culture et de vinification. Il sera fortement question de tout cela dans nos prochaines leçons.
On pourrait résumer ce cours par une analogie : les types de vins sont l’équivalent des couleurs primaires pour un peintre ; les styles relèvent de mélanges entre ces couleurs primaires pour produire toute les nuances d’une palette. On comprendra aisément par cette analogie imparfaite qu’il y a bien plus de styles que de types.
L’effet des millésimes
Une des caractéristiques des vins est leur faculté à exprimer les spécificités du millésime qui les a vus naître.
L’effet des millésimes sur un vin
Au terme de l’année viticole qui s’achève avec les vendanges, on récolte un raisin qui est le reflet des conditions météorologiques de l’année. La concentration en sucre et en acidité, comme la maturité des peaux et des pépins de chaque raisin, sont directement liées aux données du climat : le soleil favorise la concentration du sucre, la fraîcheur celle des acides tandis que l’humidité déterminera la vigueur de la plante et l’alimentation des raisins en matières nutritives.
La France se situe dans une zone climatique tempérée, dite de transition, où plusieurs influences coexistent (continentales, méditerranéennes et océaniques). Elle est donc davantage soumise aux variations climatiques que certains pays producteurs comme l’Australie ou l’Argentine, où la chaleur et l’aridité constituent des traits dominants. De manière générale, plus les régions sont soumises à un climat frais, plus les différences sont sensibles d’un millésime à l’autre. En France, le chablisien ou la Champagne, par exemple, se trouvent dans cette situation, mais c’est également le cas en Nouvelle-Zélande et dans le Nord-Ouest des Etats-Unis.
Qu’est-ce qu’un bon millésime ?
Dire qu’un millésime est bon, c’est simplement constater qu’au terme du calendrier viticole les raisins sont dans un bon état sanitaire et sont parvenus à un bon degré de maturité, avec la richesse en sucre et en acidité (maturité physiologique) nécessaire pour produire des vins mûrs et équilibrés. On porte aussi actuellement une grande attention à la maturité des peaux et des pépins (maturité phénolique), qui influe directement sur la qualité des tanins des vins rouges. Un bon millésime sera celui qui saura conjuguer, aux moments clés du printemps et de l’été, lorsque le raisin se développe et mûrit, chaleur (pour la concentration en sucre), humidité (nécessaire à la plante) et fraîcheur (pour la concentration de l’acidité dans les raisins). L’équilibre est donc fragile et, en dépit des idées reçues, l’abondance de chaleur et d’ensoleillement n’est pas la garantie d’un bon millésime en France. L’été caniculaire de 1976 n’a pas débouché sur une grande année et 2003 ne donnera sans doute pas de grands vins de garde.
De plus, sur un territoire comme la France, tiraillé entre plusieurs influences climatiques, les données météorologiques d’une année ne peuvent pas être homogènes partout. Une « bonne » année à Bordeaux ne l’est pas forcément en Bourgogne, en Champagne ou dans le Rhône, et inversement. Enfin, à l’intérieur d’une même région, outre l’existence de mesoclimats spécifiques, certains producteurs sauront, par un travail adapté, transcender un « petit » millésime.
Le terroir et ses définitions
Intéressons-nous à un des termes les plus utilisés et les plus vénérés dans le monde du vin, le terroir, et à sa supposée toute puissance résumée par cette idée : « c’est le terroir qui décide de tout dans le style d’un vin ».Désolé, mais c’est essentiellement l’homme, son histoire, ses techniques et ses règles plus ou moins auto-imposées qui déterminent une bonne partie (et probablement la majorité) de ce qui fait le type et le style d’un vin, même si l’environnement joue évidemment un rôle essentiel et incontournable. Mais commençons par un indispensable exercice de définition. Le problème du mot «terroir» est la variabilité de ses acceptions. Pour certains, ce mot signifie le sol et le sous-sol d’une parcelle : cette variation restrictive est souvent utilisée, entre autres, en Bourgogne et dans beaucoup de communications. Pour d’autres, c’est l’ensemble des facteurs environnementaux, au-dessus du sol, à sa surface, et en-dessous de sa surface : c’est la variante intermédiaire. Et pour d’autres encore, il faut y intégrer le cépage, l’homme, les pratiques culturales et les traditions locales : c’est la variante large.
Dans la variation « restrictive », réduire le sens du mot « terroir » à celle de la terre, et particulièrement à la nature chimique et pédologique du sol et du sous-sol, semble oublier ou grandement minimiser l’importance de l’air, du soleil, de l’orientation, de la pente, et de tous les autres éléments qui ont une influence essentielle sur la vie de la vigne.
Dans la version « intermédiaire », on comprend que la vision est plus large, mais se limite volontairement à l’environnement de la plante dans toutes ses dimensions. Vous noterez que je n’emploie pas le mot «naturel» car une vigne cultivée implique la modification du milieu naturel par l’homme : déboisage, amendement des sols, modification des pentes, drainage, construction de murets, plantation de plantes sélectionnées en lignes droites, etc.
Enfin la variante large, qui englobe pratiquement tout ce qui a trait à la production du vin, est si large qu’elle perd tout sens. Si on inclut le cépage dans le concept de terroir on introduit une variable choisie par l’homme, voire imposée par la législation des hommes. Si on inclut d’autres aspects du comportement humain, alors le mot terroir devient un film panoramique dans lequel la technologie, les outils, la croyance, la maîtrise des gestes, l’énergie ou la paresse jouent tous des rôles. Autrement dit, avec une telle acception large, il devient impossible de situer la part du terroir dans le caractère d’un vin, puisque tout y passe. Du coup l’environnement de la vigne n’existerait plus comme élément différenciant.
Pourquoi dit-on «mettre de l’eau dans son vin» ?
Cette vieille expression qui invite à modérer sa colère, ses convictions ou ses prétentions remonte au moins au XVII ème siècle. En 1646, Fleury de Bellingen en donnait la définition suivante :« modérer ses passions, comme la chaleur excessive du vin est tempérée par le meslange de l’eau ».Aujourd’hui, il nous paraîtrait criminel d’allonger notre verre de Château Margaux d’un trait d’eau, mais ce fut l’usage pendant près de trois millénaires. Rappelons que Dionysos, lorsqu’il livra le secret du vin aux hommes, leur enseigna aussi la bonne manière de le boire, c’est-à-dire coupé d’eau, pour éviter que le chaos s’installe ici-bas. Le vin pur était réservé aux dieux de l’Olympe (ou aux barbares !).
Au Moyen-Age, les médecins recommandaient de boire la plupart des vins coupés d’un peu d’eau, pour des questions de sobriété et de digestion, mais dans bien des cas, c’était plutôt l’eau que l’on coupait d’un peu de vin pour la nettoyer et la purifier, même pour les enfants. L’usage a perduré jusqu’au XIX ème siècle ; Napoléon, dit-on, coupait son Chambertin d’un trait d’eau. Même de nos jours, on remarque que la génération de nos grands-parents n’a pas totalement perdu cette vieille habitude.
Le vin était-il meilleur avant ?
On entend souvent dire que « le vin était meilleur avant », notamment chez les paranoïaques de la mondialisation, comme Nossiter dans son film (malhonnête) « Mondovino ». Leur idée générale est que le vin est aujourd’hui « standardisé », par le biais de pratiques et connaissances œnologiques partagées par tous et par l’accélération des échanges internationaux qui provoquerait une homogénéisation des goûts.Je ne crois pas une seconde à cette hypothèse, et je vais essayer d’expliquer pourquoi. Quand on dit « avant », il faut savoir « avant quoi ». Je ne pense pas que nous aurions beaucoup de plaisir à déguster les vins des Romains, par exemple. Il s’agissait soit d’une piquette infâme, soit d’un produit oxydé dont le goût de base était masqué par des adjonctions de sel, de gypse, de résine, d’herbes, d’épices et de miel : une sorte d’apéritif à base de vin. Cela était dû au fait que le vin ne se conservait pas car on ne connaissait ni la bouteille industrielle, ni le soufre. Le vin n’était bon que jeune, ou bien largement modifié.
Les choses ne se sont pas améliorées au Moyen-Age. Les seuls vins qui se conservaient étaient des vins sucrés. Une début de modernisation a eu lieu aux XVII ème et XVIII ème siècles, grâce à l’introduction de la mèche à soufre en Allemagne, puis par les hollandais à Bordeaux, et à l’invention de la bouteille en verre solide par les anglais. Ces deux avancées techniques ont facilité l’émergence de nouveaux types de vins ayant la capacité de bien se conserver, comme le Bordeaux rouge et le Champagne.
Mais la plupart des vins sont restés d’une qualité très médiocre tout au long du XIX ème siècle et même dans la première moitié du XX ème siècle. N’oublions pas que Pasteur n’a découvert le processus de la fermentation que vers 1860, que l’Ecole d’Oenologie de Bordeaux ne dispense des cours que depuis 1905 et que le cursus diplômant d’oenologie ne date que de 1956 en France.
Pour revenir à des temps plus récents, j’ai commencé à travailler dans le vin en 1983, comme caviste. A cette époque, parmi 10 échantillons reçus pour être éventuellement référencés, 7 était franchement mauvais ou sans intérêt. Aujourd’hui quand je déguste un ensemble large d’une appellation donnée, je n’élimine qu’entre un quart et un tiers assez rapidement, puis je fais le tri parmi les autres pour ne retenir que les plus intéressants. Je suis donc convaincu que le vin d’aujourd’hui est infiniment meilleur que le vin « d’avant ».
Maintenant parlons de l’autre volet de la critique, qui est celui d’une standardisation du goût des vins. Si les raisins d’aujourd’hui possèdent un meilleur état sanitaire et qu’ils atteignent un meilleur degré de maturité qu’autrefois (ce qui est le cas le plus souvent), il en résulte une plus nette et juste expression des vins (issus de ces raisins) et des influences que peuvent apporter le milieu naturel qui les a vus naître. Cela encourage donc des différences plus sensibles entre différents types et origines de vins (sans parler d’un plus grand plaisir gustatif), à condition que les fermentations et les élevages soient bien maîtrisés, ce qui est généralement le cas puisque les producteurs sont mieux formés et beaucoup mieux équipés qu’autrefois. Les différences entre les vins d’hier étaient très souvent dues aux différences entre les sommes de leurs défauts. Aujourd’hui, la différence se situe, pas toujours mais très souvent, entre les sommes de leurs qualités.
« Mélanger » des vins, au cours d’un repas, donne-t-il mal à la tête ?
Non, ce n’est pas le mélange d’un peu de blanc et d’un peu de rouge qui vous donnera mal à la tête, c’est surtout le volume total d’alcool cumulé qui a cet effet !Supposons que vous commenciez par un apéritif, puis un verre de blanc, deux de rouge, et pour finir un verre de vin liquoreux ou un digestif. Vous aurez consommé au terme du repas bien plus qu’une demi-bouteille. Selon votre morphologie, la durée de la consommation et la quantité de nourriture absorbée, ce volume d’alcool peut être largement suffisant à créer une légère sensation de malaise ou de mal de crâne que vous n’auriez pas eue si vous vous étiez limité à un verre de blanc et un verre de rouge. Ce n’est donc pas le « mélange » qui est en cause, c’est la quantité d’alcool.
L’origine de ce qu’on appelle la « gueule de bois » n’a pas été complètement élucidée mais il existe plusieurs hypothèses. Trois perturbations apparaissent lors d’une consommation excessive d’alcool : un dérèglement des défenses naturelles, des déficiences en nutriments, et un stress oxydatif. Les rumeurs selon lesquelles la gueule de bois est causée par une déshydratation ont été examinées par les scientifiques et apparaissent comme peu vraisemblables. Beaucoup de symptômes sont ceux de l’hypoglycémie. Une forte consommation d’alcool, surtout dans un délai bref, peut provoquer en retour une hypoglycémie, l’organisme s’adaptant avec un temps de retard et l’alcool entraînant aussi une déshydratation réactionnelle.
Ce n’est probablement pas l’alcool lui-même qui est à l’origine des symptômes de la gueule de bois, mais plutôt les substances contenues dans les boissons comme le méthanol, l’histamine ou les polyphénols. Le méthanol pourrait expliquer tout ou partie des symptômes de la gueule de bois : maux de tête, soif, transpiration et vertiges. Les alcools contenant beaucoup de méthanol (vin, bourbon, brandy) entraîneraient des gueules de bois plus intenses que ceux qui en contiennent peu (vodka) ou pas (alcool pur). Ensuite il y a une grande variation de sensibilité à ces produits selon l’individu : certaines personnes sont très sensibles au soufre, que l’on trouve en plus grande quantité dans les vins blancs que dans les vins rouges. Ces personnes disent ne pas aimer le vin blanc. En réalité, c’est l’effet du soufre qui est en cause, pas le vin blanc. Un vin blanc très faiblement (ou pas) sulfité n’aura aucun effet indésirable. D’autres sont sensibles aux polyphénols que l’on trouve en quantités bien plus importantes dans les vins rouges. L’affaire est donc bien plus complexe qu’il n’y paraît et le meilleur conseil à prodiguer est la modération et le choix attentif de bons vins car le plaisir ne vient pas du volume d’alcool, mais des saveurs d’un vin.
Les avis des médecins sur le vin et la santé
Vue la gravité du sujet, et son importance pour tous les amateurs de vin, je veux y consacrer la leçon du jour, suite aux récentes déclarations du Ministère de la Santé et de l’Institut National du Cancer. Ces déclarations concernaient la consommation d’alcool, celle du vin en particulier, et ses effets, réels ou supposés, sur la santé. Je rappelle que ces déclarations affirmaient que les risques de cancer sont accrus dès la consommation du premier verre quotidien d’un produit contenant de l’alcool.
D’abord les faits
En février dernier, l’INCa a présenté un rapport très controversé par l’ensemble des chercheurs spécialistes du cancer en France. La conclusion de ce rapport était lapidaire, et même excessive : « Le premier verre de vin tue ». Ce rapport a reçu une couverture médiatique importante, parfois critique, parfois complaisante. Dans une interview par le quotidien Le Monde parue le 10 avril, Dominique MARANINCHI, Président de cet institut, affirme de nouveau, sans nuances : « Le vin est alcool, donc cancérigène. » Tout cela ne peut évidemment pas nous laisser indifférents.
Le problème avec l’affirmation telle qu’elle est publiée par le journal en question est que son champ est bien trop large, et ne se base sur aucun fondement scientifique réel. De plus, beaucoup d’éminents médecins et scientifiques, dont certains ont voué leur vie à la recherche contre le cancer, ne sont pas du tout d’accord avec les conclusions qui le sous-tendent. Entre autres, ces conclusions « négligent » de mentionner d’autres causes possibles (voire probables) de cancer. Je n’en citerai que deux : la pollution atmosphérique et les résidus de pesticides et autres produits nocifs présents dans une bonne partie de nos aliments.
Je rappelle, pour mémoire, que la consommation du vin en France a été divisée par trois depuis 50 ans. Pendant la même période, le nombre de cancers a été multiplié par trois. Curieux paradoxe français, me semble-t-il !
Ce rapport de l’INCa n’était pas basé sur une étude récente, ni sur une étude spécifique, mais sur un rapport américain, dit méta-étude, sorti en 2007. Depuis, une autre étude, également américaine mais bien plus précise, a modifié de manière significative (en ôtant un nombre élevé de certains cancers) les chiffres utilisés dans la méta-étude, car on a pu attribuer la cause de certains cancers, et avec certitude, à d’autres facteurs que l’alcool. De cela, le rapport de l’INCa ne dit curieusement rien, car il semble être motivé par autre chose que la stricte vérité scientifique et statistique.
Il faut évidemment rappeler que, depuis 15 ans, de nombreux rapports dans le monde entier ont fait ressortir que, dans certains contextes, une consommation modérée de vin, particulièrement de vin rouge, surtout pendant un repas, pouvait avoir des effets préventifs contre certaines maladies. D’abord contre des maladies cardio-vasculaires, mais aussi, peut-être, contre la maladie d’Alzheimer et certains cancers.
Vue la publicité donnée au rapport publié par le Ministère de la Santé, voici quelques avis contradictoires qui méritent largement votre attention.
Des avis contraires
« Une étude sans queue ni tête, sans réel fondement scientifique. C’est scandaleux de publier des choses pareilles. Tout cela inquiète l’opinion publique et me choque profondément. […] Hier encore, les études mettaient en exergue le bénéfice d’une consommation modérée de vin pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires. Le revirement auquel on assiste traduit une volonté d’hygiénisme bien pensante. Une très large part du milieu médical refuse ce terrorisme sanitaire… On peut faire dire ce qu’on veut à ce qu’on veut. »
Professeur Bernard Debré, chef du service urologie de l’hôpital Cochin (Midi-Libre, février 2009)
« C’est absurde. A forte dose, l’alcool facilite certains cancers digestifs mais un ou deux verres de vin par jour, sûrement pas. Le vin, c’est utile. A dose modérée, le vin rouge se révèle non seulement bon mais sain. Il contient une substance qui s’appelle le resvératrol, issu de la peau du raisin rouge, l’unique source. Il a été largement démontré que c’est un puissant anticancéreux. »
Professeur Lucien Israël, cancérologue, professeur à Paris XIII (Le Figaro, 5 mars 2009)
« Il n’existe pas de données suffisantes pour affirmer que la consommation modérée de vin rouge, au cours des repas, soit associée à un risque accru de cancer. Bien au contraire, on sait qu’elle est bénéfique contre les maladies cardio-vasculaires, et il reste fort possible qu’elle le soit aussi contre le cancer. […] En ce qui concerne le vin rouge en particulier, son effet protecteur est nettement plus marqué lorsque celui-ci est consommé dans un contexte précis : au cours d’un repas, et particulièrement dans le cadre d’une diète méditerranéenne. […] Par ailleurs, il reste vrai aussi que dans certains cancers, l’alcool, et le vin rouge en particulier, est associé à une réduction du risque. […] On connaît aussi de nombreux exemples où les recommandations nutritionnelles pour la santé, aussi affirmatives, voire péremptoires, qu’elles aient pu être, se sont révélées fausses, et même dangereuses. C’était le cas, en France, de l’injonction d’abandonner l’huile de colza dans l’alimentation humaine. […] Il faut se rappeler aussi qu’il est facile d’arriver à des conclusions erronées lorsqu’on analyse un facteur alimentaire particulier (comme la consommation de vin) en dehors de son contexte culturel et alimentaire. »
David Servan-Schreiber, professeur clinique de psychiatrie, auteur d’« Anticancer : prévenir et lutter grâce à nos défenses naturelles » (le site de D. Servan-Schreiber, guerir.fr, 24 mars 2009)
« Le vin contient aussi de l’alcool. Ah ! Voilà le mal, le danger que pointent certains, et non des moindres parfois même chez nos confrères, les médecins partisans de l’alcool zéro, donc de la suppression totale du vin. Gardons notre bon sens. En faisant partie de notre alimentation, le vin la complète et contribue à son équilibre. Cet équilibre alimentaire essentiel, que l’on a malheureusement oublié en lui donnant peu d’importance et beaucoup trop à l’aspect sanitaire de notre alimentation. Revenons donc alors à une alimentation saine et équilibrée et buvons sans scrupules, régulièrement mais modérément ce breuvage divin, source de bonne humeur et de santé. »
Professeur Christian CABROL, professeur de chirurgie cardio-vasculaire (conférence lors du colloque « Vin et Santé » ; Lorgues, 28 juin 2007)
« J‘avoue ne pas très bien comprendre sur quelles connotations scientifiques exactes s’appuient ces recommandations. […] Il s’appuie sur un document de référence issu du WRCF publié fin 2007, mais ne produit aucune étude nouvelle comme annoncée par les promoteurs de l’opération. […] l’INCa ne se prononce pas sur les risques cancérigènes des pesticides contenus dans les fruits et légumes qu’il recommande de consommer. […] A des doses modérées, l’effet fruit du vin est supérieur à l’effet alcool chez l’homme. »
Docteur Dominique Lanzmann, chercheur à l’INRA, auteur d’une étude « Cancer et alcool » (Sud-Ouest, mars 2009)
Voilà. Chacun fera son opinion sur ce sujet. Je pense surtout qu’il n’y a pas de certitudes à avoir dans cette affaire, sauf qu’une consommation excessive de vin est bien entendue nocive pour la santé, et qu’une consommation modérée est d’abord source de plaisir immense, parfois aussi d’enrichissement culturel, ce qui n’est pas si mal pour bien vivre sur Terre. Et si tous ces experts nous rassurent quant aux bénéfices d’une telle consommation (entre un et trois verres par jour), je suis enclin à les croire !
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