Escapade viticole à nos frontières : les vins rouges de Bade et du Palatinat (Allemagne)

Escapade viticole à nos frontières : les vins rouges de Bade et du Palatinat (Allemagne)

La France est cernée par des pays viticoles, certains bien connus comme l’Italie et l’Espagne, d’autres beaucoup moins comme la Suisse ou l’Allemagne. Les Français sont souvent étonnés d’apprendre qu’outre-Rhin on produit des vins et encore plus des grands vins. La faute probablement au peu de curiosité culturelle pour ce pays  mais aussi parce que les vins allemands sont très peu visibles sur le marché français. La production allemande a traversé une mauvaise passe au XX ème siècle mais depuis quelques décennies elle a fait ses révolutions : celle des blancs d’abord avec le retour en grâce de ses grands rieslings, d’une pureté unique au monde, puis plus récemment et plus discrètement celle des rouges. En effet ce pays, que le déterminisme climatique semblait condamner à produire des vins blancs, consacre à présent un bon tiers de sa production aux vins rouges. Les progrès de la connaissance et des techniques, un marché intérieur de plus en plus demandeur de vins rouges de qualité et des vignerons déterminés ont ensemble fait sauter le verrou des supposées contraintes géographiques. A ce petit jeu, le pinot noir (spätburgunder) est le grand gagnant (11 600 hectares) et offre des vins qui forcent parfois le respect, et cela à seulement quelques kilomètres de nos frontières.

Bade : nouvelle frontière du pinot noir

Le Pays de Bade fait face à l’Alsace de l’autre côté du Rhin et depuis Colmar il vous suffira d’une cinquantaine de minutes pour rejoindre Fribourg-en-Brisgau, son ancienne capitale. Bade est la région viticole la plus méridionale d’Allemagne et jouit du climat le plus doux du pays. Elle est l’un des bastions des vins rouges allemands et consacre 35% de son encépagement au seul pinot noir. Ma première rencontre avec un pinot noir local, servi dans un verre traditionnel, sorte de verre alsacien plus épais et plus trapu, ne m’aura pas laissé un souvenir impérissable : robe peu colorée, parfums dilués et surtout cet étonnant mélange de raideur acide et d’épaisseur un peu sucrée. Une première impression un peu inquiétante qui sera vite dissipée lors d’une virée le lendemain dans le Kaiserstuhl, à une vingtaine de kilomètres au Nord-Ouest de Fribourg. Le Kaiserstuhl ( le « trône de l’empereur ») est un massif volcanique situé au milieu du fossé rhénan. Ses coteaux, aménagés en terrasses larges, sont couverts de vignes et coiffés de forêts denses dans lesquelles, d’expérience, il ne fait pas bon se perdre. On y trouve les micro-climats les plus chauds du pays, notamment sur le Badberg connu pour sa réserve d’orchidées rares.

Oberbergen est l’un des villages s’égrenant le long de l’étroite vallée qui serpente à travers le massif.  C’est le fief du domaine Schwarzer Adler, négociant bien connu en vins de Bordeaux et propriétaire d’un domaine viticole d’une soixantaine d’hectares. Deux autres producteurs locaux, Salwey et Heger, s’étaient joints à lui pour une belle dégustation de pinots noirs qui prouvait les dispositions des coteaux environnants à la production de vins colorés, généreux et mûrs, en particulier ceux de Salwey dont la puissance fut une vraie surprise. Wolf-Dietrich Salwey, la soixantaine passée, et son fils Konrad, qui a rejoint le domaine en 2004, sont installés dans la commune voisine d’Oberrotweil. Le père a été le témoin de la montée en puissance des pinots noirs locaux. « Le pinot noir est présent depuis 200 ans mais on a introduit récemment des clones bourguignons plus précoces mieux adaptés au climat de Bade. Depuis le milieu des années 1980, l’usage de la barrique et surtout la recherche d’une bonne maturité, avec des rendements maîtrisés, ont totalement modifié le style des rouges du Kaiserstuhl ». De vins pâles et dilués, on est passé à des vins colorés, plus concentrés, supportant un élevage en fûts et aptes au vieillissement. Pour les Salwey, l’objectif est le fruit plus que la structure, et le style des vins en témoigne : les Eichberg Spätburgunder R 2005 et Kirchberg Spätburgunder Spätlese 2005 montrent une grande maturité, avec une forte empreinte du bois, des notes de fruit noir et d’épices et beaucoup de rondeur.

En quittant le Kaisersthul vers l’Est, on arrive dans le Brisgau, sous-région la plus chaude de Bade. Les vignobles s’étirent vers le Nord parallèlement au Rhin. Les terrasses volcaniques couvertes de loess laissent ici la place à des coteaux calcaires plus doux. Bernhard Huber est installé à coté du village coloré de Malterdingen. Vigneron allemand de l’année pour la revue Gault et Millau en 2007, il a bâti sa notoriété sur ses pinots noirs. Depuis 1987, année de ses premières mises en bouteille, il a eu le temps d’affiner le style de ses vins, très différents de ceux du Kaiserstuhl voisin. Le boisé reste présent dans les jeunes vins mais ils possèdent davantage de structure et de finesse, avec des vendanges plus précoces si nécessaire pour conserver la vigueur tannique et l’acidité des raisins. La dégustation qui remontait jusqu’au millésime 1990 prouve la très belle aptitude au vieillissement des vins : le Spatburgunder Reserve 2001 est intense et juteux, le 1997 très complexe, frais et ferme.

Incursion dans le sud du Palatinat

Une heure de route sépare Bade du Palatinat, situé au Nord-Ouest, sur la rive gauche du Rhin. La seconde région viticole d’Allemagne (à moins d’une heure de route de Strasbourg) consacre à présent 40% de sa production aux vins rouges à partir de cépages comme le dornfelder, le portugieser, le spätburgunder et le kerner. La production est longtemps restée médiocre, surtout dans la partie Sud, celle de la « route du vin méridionale ». Cette sous-région qui ne manque pas d’atouts, un climat doux et ensoleillé et des sols calcaires profonds, a vu surgir dans les années 1980 une génération de vignerons talentueux. Parmi eux, Hansjörg Rebholz, du domaine Okonomierat Rebholz, installé à Siebeldingen. Il continue dans la voie tracée par son père, disparu brutalement en 1978, avec un parti pris biologique (biodynamique depuis peu) et un grand soin apporté à la vigne, ce qui lui permet de ne pas chaptaliser. Juste à côté du chai, Hansjörg Rebholz montre en souriant le tracé de l’ancienne frontière avec la France qui rappelle que la région fût un éphémère département français, baptisé Mont-Tonnerre, au début du XIX ème siècle. Car il est francophile et entretient des complicités avec la Bourgogne, à Chambolle-Musigny en particulier dont les vins l’inspirent. Ses cuvées de pinot noir s’en rapprochent et montrent beaucoup de délicatesse, un côté floral très prononcé, un boisé bien intégré et de belles structures toniques et fermes, qui font de beaux vins (crus Im Sonnenschein et vom Muschelkalk) évoluant bien comme le splendide Spätburgunder Gold 1997.

C’est encore un autre style que celui rencontré à Ilbesheim, à la pointe Sud du Palatinat, où sévit la joyeuse Südpfalz Connexion, une association de 5 jeunes vignerons, amis et unis par la même vision du vin. Ce sont avant tout des spécialistes du riesling et du pinot blanc, mais l’attrait pour les cépages rouges est là aussi manifeste. Le pinot noir est toujours le plus en vue, avec une mention pour les vins de Peter Siener mais on n’hésite pas à expérimenter : Sven Leiner (Weingut Liener) s’échine même à planter du tempranillo (cépage rouge espagnol) sur des coteaux bien exposés, avec un résultat surprenant. Un culot et une créativité qui sont de bon augure pour l’avenir des vins rouges allemands.

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