La guerre du vin

La guerre du vin

Aux XVII ème et XVIII ème siècles, partisans des vins de Champagne et de Bourgogne se sont livrés à une passe d’armes médicale et littéraire, connue sous le nom de « Querelle des Vins ». Médecins et poètes ont ainsi croisé le fer avec pour objectif le statut de premier vin du Royaume.

La goutte du roi

En 1693, à la cour de Louis XIV, un événement a priori anodin joue le rôle de détonateur : la disgrâce d’Antoine d’Aquin, médecin personnel du roi, et son remplacement par Guy-Crescent Fagon, son second. Le conflit entre les deux s’était cristallisé autour du vin à utiliser dans les préparations destinées à soulager le roi de la goutte et de ses fièvres. D’Aquin militait pour les vins (non mousseux) de Champagne, Fagon pour ceux de Bourgogne. Le renvoi de d’Aquin signifiait la défaite du Champagne, ce que le roi n’accepta qu’à contrecœur : « Sur la fin de ce mouvement de goutte, dont la douleur et l’incommodité avaient mieux persuadé le roi que toutes les raisons que j’avais souvent eû l’honneur de lui représenter pour l’engager à quitter le vin de Champagne et à boire du vin vieux de Bourgogne, il se résolut à vaincre la peine qu’il lui faisait au goût, et d’essayer s’il s’y pourrait accoutumer [1]» écrit Fagon en 1694. Son choix est purement médical car il convient lui-même que le Champagne est « beaucoup plus agréable » que le Bourgogne qu’il prescrit mêlé de quinquina et d’épices ou à appliquer sous forme de bains à la jambe gangrenée de Louis XIV…

Mais même gangrenée, cette jambe est royale, et c’est tout ce qui importe pour les Bourguignons car les moindres faits et gestes du roi ont valeur de modèle. Ces derniers tiennent donc leur revanche car l’épisode intervient dans un contexte de compétition entre ces deux régions qui se partageaient depuis plusieurs siècles le privilège d’abreuver les rois. Pour la Bourgogne, il s’agit de récupérer un leadership que lui conteste depuis un siècle la Champagne dont les vins rouges et rosés ont fait une percée à la cour grâce à l’entremise d’aristocrates propriétaires de vignobles.

Les médecins

Dès 1650, Bourguignons et Champenois avaient commencé à croiser le fer à coup de thèses médicales. Ces premières joutes passent plutôt inaperçues mais lorsqu’en 1694 le roi entre en scène la querelle prend une autre ampleur. En 1696, les Bourguignons attaquent : « le sang engendré par le vin de Reims…picotte les parties nerveuses et rend sujet aux débordements, aux fluxions d’humeur, à la goutte ». Gilles Culotteau réplique pour les champenois et montre en exemple un vigneron de la Marne marié à 110 ans… En 1702, le médecin Jean-Baptiste de Salins y va de sa thèse, « Défense du vin de Bourgogne contre le vin de Champagne », qui devient un succès de librairie. François Mimin, un rémois, le réfute en jouant sur la fibre poétique « Sa couleur est si vive que le diamant le plus pur ne brille pas davantage aux yeux; quelquefois, le rouge est si vermeil qu’on le prendrait pour des rubis distillés ». Salins ne se démonte pas et prend à parti le terroir : « Pour avoir de bon vin, il faut que le terroir ne soit ni trop sec ni trop gras, que l’exposition soit plutôt au levant et au midi qu’au couchant, et que le lieu ne soit point trop éloigné de la ligne équinoxiale. Toutes ces conditions se rencontrent dans le terroir de Beaune; mais pour le vin de Reims, il n’en va pas de même… ».

Et les poètes

Cette controverse devient une question nationale : « Bientôt la querelle devint une espèce de guerre civile qui, après avoir divisé les deux provinces, passa jusque dans la capitale, et partagea en quelque sorte la nation… Prosateurs, rimailleurs, poètes latins de collège, tout, jusqu’à quelques beaux esprits même, écrivit et prit parti pour ou contre la Bourgogne[2] ». Les poètes s’emparent joyeusement de la question. En 1711, le bourguignon Bénigne Grenan ouvre les hostilités dans une ode sur Le vin de Bourgogne : « On sait qu’il (le vin de champagne) brille aux yeux, qu’il chatouille le cœur / Qu’il pique l’odorat d’une agréable sève. Mais craignons un poison couvert. L’aspic est sous les fleurs ». Charles Coffin réplique pour les champenois : « Equitable censeur, je veux bien toutefois / Bourgogne, t’accorder l’estime qui t’est due / Pourvu qu’à l’avenir une honte ingénue / Te force à rendre hommage au nectar Champenois », et poursuit plus loin : « Ciel, fais que désormais puni de sa folie / Quiconque insultera l’honneur du Sillery[3] / N’abreuve son gosier d’autre vin que d’Ivry[4] / Ou d’un cidre éventé ne suce que la lie. ». Ces vers valurent à son auteur 48 bouteilles de vins de Champagne envoyées par la ville de Reims, ce qui, selon Legrand d’Aussy, « ne fit qu’animer de plus en plus les combattants dans chaque parti. Pendant plusieurs années Paris fut inondé en pièces, en vers et en prose… ».

Poètes et médecins continuent à croiser le fer au XVIII ème siècle mais les passions s’essoufflent dès les années 1730. En Champagne une révolution est en cours avec la naissance des vins mousseux et bientôt une nouvelle guerre des vins opposera partisans et opposants de la bulle.

[1] G-C Fagon, Journal de Santé de Louis XIV

[2] Legrand d’Aussy, Histoire de la vie privée des Français, 1782

[3] Sillery : un cru de la Montagne de Reims

[4] Ivry produisait jadis des vins peu estimés

Commentaires (2 )

  • Pour s’entendre d’Aquin Pour s’entendre d’Aquin aurait pu proposer à Fagon de rajouter au vin de Champagne un peu de Pinot Noir de Bourgogne et ils auraient inventé …Le Rosé

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