Quels vins pour des sushis ?

Quels vins pour des sushis ?

Ce que l’on appelle communément sushi désigne en fait une spécialité japonaise combinant uniquement du riz avec du poisson cru ou des fruits de mer. Lorsqu’une même composition est enroulée dans une feuille d’algue, on parle alors de maki, tandis le sashimi est constitué de fines tranches de poisson cru. Dans la culture nippone, ces mets ont de nombreuses variantes avec leur propre qualification. En dehors du Japon, et en l’occurrence en France, cette cuisine traditionnelle se voit simplifiée pour être déclinée dans les grandes catégories précitées.

Vanté pour ses vertus diététiques, le sushi séduit également par sa manière d’être consommé aisément et sans manières, conçu à la base pour ne faire qu’une bouchée ! Il est ainsi devenu un incontournable des déjeuners rapides et légers, des buffets et autres assemblées conviviales. La prolifération des restaurants « japonais » et autres chaînes témoigne de ce phénomène, même si la manière culinaire qui l’accompagne obéit à une certaine standardisation, issue parfois d’un mode de fabrication rationnalisé.      

Au Japon, les sushis sont traditionnellement accompagnés de thé vert ou de saké, un alcool de riz aux nombreuses variantes. Boisson artisanalement séculaire, devenue industrielle comme partout, la bière est également prisée pour s’accorder avec ces mets. Produit très confidentiellement depuis l’Ere Meiji (XIXème siècle), le vin est consommé dans cette mesure, même s’il est depuis quelques années importé en quantité estimable. Et c’est plutôt la diffusion de la cuisine japonaise à un niveau international qui a suscité les alliances que je vais évoquer.

Des restaurants étoilés comme référence

Conçus culturellement en dehors de tout esprit d’alliance avec le vin, les sushis ne sont pas a priori faciles à marier. En effet, outre l’accord avec la variété de poisson ou de crustacée qui le compose, le vin doit composer avec un riz spécifique (appelé shari), onctueux et assaisonné avec un vinaigre issu lui-même de riz fermenté. Caractérisant le maki, l’ajout d’une feuille d’algue séchée, au goût marin et végétal, complique encore un peu sa tâche. Et si l’on relève le tout de gingembre ou de wasabi, celui-ci indispensable à sa confection, sa mission devient quasiment impossible !

Face à cet « imbroglio » culinaire, j’ai sollicité les conseils de sommeliers on ne peut mieux placés, Kenta Nakasuji, exerçant au micro-restaurant Sushi B (8 places !), l’une des tables japonaises les plus considérées de Paris, et Vincent Javaux, supervisant la sélection des vins des établissements du chef multi-étoilé Yannick Alléno, dont Les Abysses et son « comptoir-à-sushis ». Les deux partagent une haute reconnaissance du guide Michelin, puisque ce sont les seuls restaurants dédiés à la cuisine du Soleil Levant figurant parmi le cercle des étoilés.

Si les deux experts s’accordent pour recommander en priorité des vins blancs plutôt secs, leurs choix diffèrent quant à leurs préférences, qu’ils justifient par la nature des alliances.

Ainsi, sur les poissons maigres (bar, cabillaud, daurade…), Vincent Javaux conseille volontiers un sauvignon ou un chenin de Loire, comme respectivement un Sancerre et un Savennières, ou encore un riesling alsacien. Il voit dans un aligoté bien choisi en Bourgogne une alternative intéressante à un chardonnay de la région, autre cépage très « compatible » avec cette cuisine, ainsi lorsqu’il est à la source un Chablis, ou, en plus plantureux, d’un Meursault. Celui-ci sera alors plus apte à s’harmoniser aux produits de la mer plutôt gras ou consistants, qu’ils soient poissons, crustacés ou coquillages. L’éventail des choix qu’il énumère s’étend à bien d’autres régions sans trop d’exclusive, jusqu’à un rolle (ou vermentino) de Provence, en l’occurrence un Bellet du pays niçois.     

Concevant une approche plus globale, Kenta Nakasuji affectionne plus singulièrement le gruner veltliner, cépage dominant dans les blancs d’Autriche, le melon de Bourgogne qui fait le Muscadet-sur-lie et même un vin japonais fait d’une variété indigène, le koshu. Plus particulièrement, il fait accompagner les coquilles Saint-Jacques et les crevettes d’un blanc légèrement doux, et typiquement d’un pinot gris d’Alsace avec des sucres résiduels.

Wasabi, gingembre, feuille d’algue, l’art de faire avec…

Quand il s’agit de tenir compte du gingembre et du wasabi, condiments redoutables pour les vins, Vincent Javaux s’en remet au doigté du maître sushi tokyoïte, Yasunari Okazaki, pour leur assurer une confection toute personnelle afin de préserver du discernement à des papilles autrement mises à rude épreuve. Sur le même sujet, Kenta Nakasuji trouve dans un Alsace un compromis acceptable avec le gingembre, tandis qu’il sélectionnerait un Bordeaux à base de cabernets pour amadouer le tempérament du wasabi. Sur ce dernier choix, il est rejoint par son confrère qui, au-delà de cet accord, va jusqu’à proposer le second vin d’un cru classé de Margaux.     

Un autre élément à considérer dans les accords est la feuille d’algue formant l’enveloppe du maki. Au comptoir des Abysses, on conseille un champagne « extra-brut » car, outre son effervescence, il s’avère plus apte à révéler l’aspect iodé de sa minéralité, qui va rejoindre celui rendu par l’algue. Masayoshi Hanada, le maître sushi opérant au Sushi B, confectionne ses makis avec une feuille à peine grillée, que son sommelier honore par un choix inattendu, celui d’un pinot noir âgé, en l’occurrence un Bourgogne patiné par le temps.   

Confidences de sommeliers    

Pour sortir des mariages réussis ou de raison, les deux sommeliers m’ont confié des propositions d’accords originales, fondées sur leur propre expérience des vins étrangers. Dans cette approche, Vincent Javaux préconise tout logiquement un riesling d’Outre-Rhin et plus spécifiquement de Moselle, à condition qu’il soit sec, et nous oriente vers l’Espagne, avec un albariño de Galice, dans l’appellation Rias Baixas. Pour sa part, Kenta Nakasuji avoue que son « mariage préféré » avec des sushis reste étonnamment un pinot noir provenant d’Allemagne, où il est appelé spätburgunder, son choix portant sur des expressions d’un style léger et à boire jeunes.    

Restez curieux !

Le fait d’avoir souligné les cépages sous-entend que leurs vins peuvent avoir d’autres origines que celles indiquées, à condition qu’ils présentent un équilibre sur la fraîcheur, voire même un peu de verdeur. Le critère de rondeur sera d’autre part apprécié avec des produits ayant davantage de substance et de gras. Dans un esprit d’ouverture, un sauvignon ou un chardonnay du Chili serait envisageable, surtout s’il provient de l’appellation Valle de Casablanca, réputée pour ses blancs. Plus proches de nous, les fringants vinhos verdes du Portugal feraient également l’affaire, a fortiori ceux issus d’alvarinho, identique à l’albariño espagnol, cité précédemment. Si l’on s’écarte des chemins tous tracés, le vignoble français réserve de bonnes surprises, ainsi les Côtes de Gascogne avec leurs blancs vifs, charmeurs et désaltérants, des qualités bienvenues pour s’allier avec des sushis. Et si l’on tient absolument à boire un rouge, et à défaut de se procurer un spätburgunder, on appréciera un pinot noir d’Alsace, au caractère proche de son homologue allemand.

L’auteur de l’article :

Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».

Crédit photo : Nicolas Lobbestael

Commentaires (2 )

  • Dal zovo laurent

    Mohamed, Merci pour cet article bien fouillé. Je vais tester plusieurs accords proposés. personnellement j’adore l’accord avec un Rancio sec du Roussillon blanc.
    Au plaisir,
    laurent

    • Merci Laurent pour tes compliments ainsi que pour cette pertinente suggestion, à rapprocher de celle d’un Xérès Fino, recommandé par certains prescripteurs.

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