Serge Renaud et le «French Paradox» : l’homme qui valait plus d’un milliard de bouteilles
Un mois est passé depuis la mort de Serge Renaud, le 28 octobre en Gironde, et je trouve qu’il est grand temps de lui rendre hommage. Son travail a participé à l’augmentation considérable de la consommation de vin rouge dans de très nombreux pays, et surtout en Amérique du Nord et en Asie.
Fils de vigneron, né à Cartelègue en Haute Gironde, ce professeur à l’Université de Bordeaux et à l’INSERM Lyon a conduit de nombreuses études sur les régimes alimentaires de différentes populations. Rappelez-vous le régime crétois… Une autre étude, devenue aussi très célèbre, a mis en évidence la longévité surprenante d’un échantillon d’habitants du Sud-Ouest de la France, et ce malgré leur régime riche en matières grasses (confit, cassoulet, foie gras, etc). Souvent, de telles études ne font pas grand bruit, mais Serge Renaud a très bien expliqué aux médias les implications et conclusions de ses travaux.
Le 17 novembre 1991, Serge Renaud fut interviewé dans l’émission de télévision américaine «Sixty Minutes», un programme très regardé aux USA. Renaud y expliqua qu’il y avait un paradoxe apparent dans le fait que les Français vivaient plus longtemps que les Américains, alors qu’ils consommaient davantage de matières grasses. Puis il établit une corrélation avec une consommation modérée mais régulière de vin rouge plutôt tannique (la population française étudiée vivait dans le Sud-Ouest où le tannat est bien présent) pour expliquer la longévité des Gascons et la réduction significative de leur taux de mortalité causée par des maladies cardio-vasculaires. En 1991, la consommation du vin aux USA était de 2,3 milliards de bouteilles par an. En 2011, ce chiffre était de 3,7 milliards, et les Etats-Unis sont devenus le premier marché mondial de vin.
Il est peut-être plus aisé de mesurer l’impact précis de l’étude de Renaud (et de ses conclusions) sur le très court terme. Dans le mois qui a suivi cette émission, les ventes de vin rouge ont augmenté de 44% dans les supermarchés américains. Mais l’impact du « French Paradox » ne fut pas réservé à ce seul marché, pas plus qu’il n‘a été confiné au court terme. Lors de mes déplacements en Asie entre 1996 et 2001, une question revenait sans cesse : « quel vin rouge faut-il boire pour vivre plus longtemps ?». Car ce qui marche aux USA est souvent rapidement repris dans les marchés asiatiques, très sensibles culturellement au « manger magique », notamment au Japon et en Chine. Nous connaissons bien aujourd’hui le poids croissant de ces pays dans le marché mondial du vin, et sans être exclusifs, les travaux de Serge Renaud ont incontestablement joué un rôle important.
L’étude de Serge Renaud a ouvert la voie à une série d’autres études sur des corrélations possibles entre une consommation modérée de vin (surtout rouge, au grand dam des producteurs de blancs !) et différents « avantages » pour la santé, et ceci n’est pas le moindre de ses acquis. Aujourd’hui le Français vit, en moyenne, toujours plus longtemps que l’américain : 80,7 ans contre 78,2 ans. Mais il est intéressant de noter que cette durée de vie, dans les deux cas, a augmenté de quatre ans pendant les 20 ans qui nous séparent de la publication des études de Serge Renaud. Et Serge Renaud lui-même a montré l’exemple, vivant jusqu’à la veille de ses 85 ans. Le débat sur le fond de tout cela sera pour une autre fois, et pour d’autres compétences que les miennes. Mais, en tout cas, merci bien Serge Renaud !
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